ROME, Lundi 27 mars 2006 (ZENIT.org) – « Congélation, implantation, adoption d’embryons » : autant de thèmes qui recouvrent une réalité bouleversante et à propos desquels le Père Alain Mattheeuws, jésuite, docteur en théologie morale et sacramentaire de l’Institut Catholique de Toulouse offre cette contribution à la réflexion, que nous présenterons en quatre volets.
Le P. Mattheeuws est actuellement professeur à l’Institut d’Etudes Théologiques de Bruxelles. Il donne également des cours au « Studium » du diocèse de Paris et dans d’autres facultés. Il aborde un thème délicat de la recherche bioéthique en théologie morale. Il a été appelé à participer au dernier synode des évêques.
Il répondra entre autres à la question : « Condamner l’adoption des embryons, n’est-ce pas incohérent avec le message de l’Eglise concernant le respect de la vie et son caractère sacré ? ». Voici le troisième des quatre volets de cet entretien (cf. Zenit, 23 et 24 mars).
Q : Mais il ne s’agit pas d’une maternité de substitution, mais bien plutôt de suppléance : l’enfant d’ailleurs est déjà là, déjà disponible à être « adopté » et désireux d’être sauvé de la congélation.
P. Mattheeuws : Il est vrai que la femme qui « adopte », accueille l’enfant pour le porter et le mettre au monde. Cet embryon, qui lui est génétiquement étranger parce que « venant d’ailleurs » ne sera pas « porté » par ou pour une autre femme. Il est « accueilli » pour lui-même. Il ne s’agit pas identiquement du même cas que celui d’une mère de « substitution ». Elle n’est pas, au niveau de l’intention, de ces « mères porteuses » qui portent l’enfant pour une autre, pour de l’argent, pour un membre de la famille. Mais le terme de « suppléance » ne doit pas faire illusion et nous tromper sur le caractère « objectif et personnel » de l’acte d’une femme qui accepte ce type de maternité. C’est l’enfant issu d’une autre « relation » qu’elle accepte dans l’intimité de son corps.
La perfection de l’accueil d’un enfant est inscrite au cœur de l’acte conjugal, dans l’écrin de la fidélité conjugale et de la maternité responsable. Donum vitae nous dit que tout enfant a droit « à être conçu et mis au monde dans le mariage et par le mariage » (II,2). Par ailleurs, quand cette Instruction refuse la maternité de « substitution », elle affirme qu’est liée à la dignité de l’enfant le droit « d’être conçu, porté, mis au monde et éduqué par ses propres parents » (II,3 : je souligne). On pressent l’enjeu moral et le développement théologique quand on note qu’ici l’Instruction admet aussi une participation du père à la gestation et à la mise au monde… Cela signifie que les valeurs conjugales et parentales sont en cause ensemble. A l’horizon de cette problématique se trouve encore et toujours cette compréhension neuve et exigeante du « lien indissoluble des deux significations de l’acte conjugal ». Cette exigence morale et spirituelle n’est pas toujours comprise ni vécue dans l’accueil de l’enfant. Mais ce qui n’arrive pas dans l’accueil d’un enfant à cause des événements ou d’un manque de conscience ou d’amour des parents, ne doit pas être provoqué sous l’apparence d’un bien à obtenir.
Q : L’enjeu ne se situe-t-il pas au niveau de la paternité/maternité, mais aussi de la signification du terme « procréation » ?
P. Mattheeuws : Selon certains « le respect réciproque du droit de devenir père et mère seulement l’un par l’autre » (Donum vitae II A 1) concerne uniquement l’acte de procréer un nouvel être humain. Cette « loi », disent-ils, mise en évidence par l’Instruction, ne concerne pas l’accueil dans son foyer d’un enfant qui existe déjà. Il est bien clair que l’adoption d’un enfant est un acte positif en soi. La question est de savoir si la méthode « invasive » qui consiste à placer des embryons congelés dans le corps de la femme peut être qualifiée d’acte d’adoption. Une comparaison phénoménologique montre que ce n’est pas le cas. La relation au corps chez la femme (mère) et chez l’homme n’est pas la même. Qu’est-ce qu’être père et mère sinon coopérer non seulement en son corps, mais aussi en son cœur, à l’avènement à l’existence d’un être nouveau, l’accueillir et le porter tel qu’il est pour l’enfanter à la vie et à la vraie vie ? Si l’on restreint la paternité ou la maternité à un acte purement ponctuel, on ne rend pas compte de l’ensemble de la tradition catholique sur le bonum prolis et educationis ou la finis procreationis et educationis. La maternité engage le corps, non seulement dans l’instant de l’acte conjugal, mais dans la grossesse, l’enfantement et l’éducation. La paternité y est associée également de par le lien conjugal. C’est l’unité du couple, le « une seule chair » (Gn 2,24), qui accueille ensemble le don de Dieu qu’est tout enfant. L’engagement des parents l’un vis à vis de l’autre consiste à concevoir, porter, mettre au monde. Cet engagement assume l’enfant dans la « durée ». On ne peut parler d’adoption, c’est-à-dire de suppléance parentale, qu’après l’enfantement.
Q : Vous semblez accorder beaucoup d’importance à la femme, à son corps : sa liberté consciente et désireuse de sauver des enfants congelés ne peut-elle s’engager dans un tel acte positif ?
P. Mattheeuws : Comment sauver ces enfants ? A quel prix ? J’entends bien la question. On peut donner sa vie pour autrui et pour Dieu : la mort alors n’est pas un suicide. Elle est un don de soi qui apparaît nécessaire, juste et bon. Des situations héroïques ont toujours existé dans la vie des hommes et dans l’histoire de l’Eglise. Mais ce dont nous discutons, c’est de la portée d’un acte à promouvoir ou non à l’intérieur de la vie d’un couple et plus particulièrement de la vie d’une femme. Nous sommes appelés à prendre soin de notre prochain et à le sauver dans la mesure de nos moyens : mais toujours par un acte de don de soi qui soit bon, digne et juste. Adopter des enfants correspond-il à la volonté bonne de Dieu ? Devons-nous promouvoir cet acte, dire qu’il est moralement « bon » ? Peut-on demander ou proposer à des femmes le « sacrifice » de porter un enfant embryonnaire pour le sauver ?
La femme, davantage si elle est mariée, n’a pas un droit absolu sur son corps. Personne d’entre nous d’ailleurs. Son être est essentiellement personnel, corps, cœur et esprit. Cette unité personnelle ne peut devenir un pur « instrument » de « survie pour l’embryon congelé ». Le corps de la femme, dans son unité personnelle, ne peut être une « solution médicale » à une question délicate. Je ne suis pas favorable à l’ectogenèse, mais je note ce paradoxe : tant qu’un « utérus artificiel » n’existe pas, la rationalité scientifique et la générosité sincère s’accommodent rapidement ou facilement d’une solution qui « instrumentalise », qu’elle le veuille ou pas, la femme. Le berceau anthropologique de tout être humain est l’acte conjugal qui lui permet, dans le phrasé unitif de ses parents, d’advenir à l’existence et d’y faire ses premiers pas. L’acte conjugal est le symbole corporel et prégnant de ce qui soutient tout enfant embryonnaire dans l’être. Le lien de tout enfant embryonnaire avec le corps conjugal de sa mère, de ses parents, appartient à la dignité de son être. On ne peut le « remplacer », s’y substituer. Corporellement, la femme qui accueille en elle un enfant embryonnaire congelé pose un acte qui n’est pas le sien : l’acte d’une autre, d’un couple. Cet acte n’est pas délégable.
Q : Vous semblez condamner l’adoption des embryons : n’est-ce pas in
cohérent avec le message de l’Eglise concernant le respect de la vie et son caractère sacré ?
(à suivre)