Canada: Sauver le mariage comme institution fondamentale reconnue par l'État

ROME, Mercredi 13 juillet 2005 (ZENIT.org) – Au nom de la Conférence des évêques catholiques du Canada, le cardinal Marc Ouellet, archevêque de Québec et primat de l’Église au Canada, et Mme Hélène Aubé, de Gatineau, ont présenté un mémoire sur le projet de loi C-38 (redéfinition du mariage) aux membres du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles (cf.http://www.cecc.ca/PublicStatements.htm?ID=1688).

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Mémoire de la Conférence des évêques catholiques du Canada
Présenté au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles le 13 juillet 2005

Au nom de la Conférence des évêques catholiques du Canada, je tiens d’abord à remercier les honorables membres du Sénat pour cette occasion qui nous est offerte de présenter notre vision du mariage et de la famille dans le cadre des débats entourant le projet de loi C-38. Inspirée de convictions humaines et spirituelles communes à l’ensemble de la population canadienne, cette vision se défend sans recours à la religion.

Depuis novembre 2002, nous sommes intervenus à temps et à contre-temps pour convaincre les membres du Parlement de ne pas redéfinir l’institution du mariage au profit des personnes d’orientation homosexuelle qui méritent, par ailleurs, en tant qu’êtres humains le respect de tous leurs concitoyens.

Contrairement à ceux qui cherchent à nous renvoyer dans la sphère religieuse chaque fois que nous prenons la parole, nous sommes convaincus que le débat actuel est avant tout un débat social sur la nature et la valeur du mariage. C’est pourquoi nous avons fait valoir des arguments fondés sur la loi naturelle et sur le sens commun, et nous les survolerons rapidement dans ce mémoire.

Alors que nous arrivons au terme d’un processus politique qui risque fort de dénaturer le mariage et d’entraîner des conséquences largement imprévisibles mais assurément négatives sur la société canadienne, nous nous tournons vers vous dans l’espoir que vous freinerez l’adoption de cette loi injuste.

UN PROJET DE LOI QUI DIVISE PROFONDÉMENT LE PAYS

Au pays, des voix nombreuses se sont élevées pour dénoncer le projet gouvernemental qui ne correspond pas aux besoins réels ni aux attentes légitimes de la population du Canada. Beaucoup estiment qu’il est fondé sur une fausse compréhension de l’égalité fondamentale entre les personnes. Sur une fausse compréhension de la dignité humaine. Sur une fausse compréhension des droits des minorités. Sur une mauvaise interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés. Et sur une compréhension tronquée de la liberté de religion. Nous sommes de ceux-là.

Cet immense malentendu risque d’entraîner le Canada sur une pente glissante, contraire au bien commun de ses citoyennes et citoyens, car il menace l’institution naturelle qui est le fondement le plus solide de la famille, elle-même unité de base de la société. Nous ne parlons pas d’une réalité anodine, mais de la pierre angulaire de notre structure sociale.

Ni l’État ni les religions n’ont inventé le mariage ni déterminé ses composantes naturelles. Ils n’ont fait que réglementer une réalité qui existait bien avant eux, reconnaissant par-là que les caractéristiques inhérentes à cette réalité —la stabilité du couple, ainsi que la procréation et l’éducation des enfants— assuraient le bien commun de la société.

Aujourd’hui, les enjeux du projet de loi C-38 ne portent pas seulement sur la définition et les fondements du mariage tels que célébrés depuis des temps immémoriaux et reconnus par toutes les cultures. C’est aussi l’avenir du mariage comme institution sociale fondamentale qui est remis en cause, de même que l’importance pour la société du rôle irremplaçable d’un mari et d’une épouse dans la conception et l’éducation des enfants. Or, leur alliance garantit un environnement stable à la vie de famille, une continuité entre les générations et des modèles parentaux impliquant un père et une mère.

UNE DÉFINITION TRONQUÉE QUI DÉNATURE LE MARIAGE

En bonne logique, toute définition comporte un genre et une différence spécifique. Aristote définit l’homme, par exemple, comme un animal (genre) raisonnable (différence spécifique). Or, la définition du mariage comme une «union de deux personnes à l’exclusion de toute autre» exclut la différence spécifique du mariage qui est son constitutif essentiel à savoir la différence sexuelle, l’union d’un homme et d’une femme. C’est une définition tronquée, applicable peut-être aux anges qui sont de purs esprits, mais pas adéquate pour les êtres humains qui sont par nature sexués et complémentaires.

La redéfinition proposée par le projet de loi C-38 ne favorise pas l’évolution du mariage, mais rompt irrévocablement autant avec l’histoire humaine qu’avec le sens et la nature même du mariage. Ne nous faisons pas d’illusions : il s’agit d’une distorsion de l’institution naturelle du mariage. Si ce projet de loi est adopté, on appellera mariage ce qui ne sera qu’un pseudo-mariage, une fiction, une imitation et, pour employer les mots de l’honorable sénatrice Hervieux-Payette, une imposture.

On aura beau, pourtant, semer la confusion en modifiant indûment la définition des mots, cela ne changera rien à la réalité objective du mariage —une institution hétérosexuelle dans son essence.

Pour nous et pour une majorité de Canadiens, le mariage demeurera une alliance d’amour pour la vie entière entre un homme et une femme, à l’exclusion de toute autre personne. Une union possédant la capacité naturelle d’engendrer de nouvelles vies et dont les buts sont le bien du couple, ainsi que la procréation et l’éducation d’enfants. Une relation qui satisfait, certes, des besoins individuels, mais qui est ordonnée au bien commun et qui, à cause de cela, mérite la préférence et la protection de l’État. Le gouvernement porte en effet la responsabilité de privilégier et d’encourager ce type d’union, puisque le mariage d’un homme et d’une femme assure un avenir à la société et constitue l’environnement idéal pour l’épanouissement des enfants.

UNE FAUSSE INTERPRÉTATION

DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

En s’appuyant sur la Charte canadienne des droits et libertés et sur les décisions de la Cour suprême et de tribunaux inférieurs, les promoteurs du projet de loi C-38 prétendent que la définition universelle du mariage viole le droit à l’égalité de la minorité canadienne composée de partenaires de même sexe, bafoue leur dignité et engendre une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Mais qu’en est-il vraiment?

Pour répondre à cette question, nous reprendrons ici une réflexion de Gérard Lévesque, philosophe québécois et chercheur autonome en Éthique et en Philosophie du droit : « La fausse conception de l’égalité que se font les tribunaux les amène à une fausse conception de la discrimination : le fait de concevoir l’égalité comme étant une parfaite identité fait percevoir toute différence comme anormale et discriminatoire. Cette fausse perception de la discrimination empêche de faire de la Charte la lecture qui convient ».

« L’on ne doit pas considérer comme discriminatoire et injuste le fait d’accorder à quelqu’un un traitement ajusté à sa situation véritable. Et pas non plus le fait d’accorder à des personnes un traitement ou un statut différents en raison de différences réelles. Au contraire, en agissant ainsi, on agit en toute justice et de façon équitable. Une application sensée de la Charte canadienne des droits et libertés permet de légiférer en conformité avec ces principes. Par exemple, l’article 15 de cette Charte interdit (…) la discrimination fondée sur la race, la religion, le sexe, l’âge, l’état mental. Et la même Charte stipule que tout citoyen canadien a le droit de vote. Néanmoins, l’article 3 de la Loi canadienne des élections n’accorde pas ce droit de vote à ceux qui ne sont pas considérés avoir atteint l’âge de faire des choix politiques importants (…). Par où l’on voit que, si l’interprétation de la Charte devait ignorer des différences qui s’imposent, son application se ferait
sans discernement et, qui plus est, de façon contraire au bien commun » (document privé, février 2005).

Il faut donc comparer l’union hétérosexuelle et l’union homosexuelle pour voir si elles sont parfaitement identiques ou si elles présentent des caractéristiques qui justifient qu’on les traite et qu’on les nomme différemment. Personne ne met en doute que des partenaires de même sexe puissent s’aimer véritablement et vouloir partager leur vie ensemble. Si l’on réduit le mariage à une relation intime entre adultes consentants, il n’y a aucune raison de le leur refuser. Et il ne suffit pas qu’un groupe pense ainsi le mariage pour que ses membres aient un droit à une reconnaissance légale et donc publique.

Le mariage, nous l’avons vu, est beaucoup plus qu’une relation d’interdépendance entre adultes consentants. Il vise bien davantage que le bien et l’épanouissement des partenaires. Il possède un autre élément constitutif, soit le potentiel procréateur de l’homme et de la femme qui s’y engagent. Or, la relation sexuelle entre deux hommes ou entre deux femmes n’est pas équivalente à la relation sexuelle entre un homme et une femme, puisqu’elle ne possède pas la capacité biologique d’engendrer de nouvelles vies. Il faut ajouter aussi qu’on ne peut attribuer raisonnablement la même valeur aux deux types d’union du point de vue de l’éducation des enfants. Les enfants ont un droit prioritaire à naître d’un acte d’amour de leurs parents et à vivre en communion profonde avec un père et une mère.

Il n’est donc pas injuste ni discriminatoire de nommer et de traiter différemment deux réalités aussi intrinsèquement différentes aux plans anatomique et psychoaffectif. Au contraire, il serait injuste et discriminatoire à l’égard des couples hétérosexuels mariés de les traiter de façon identique. L’État doit accorder un traitement privilégié à l’homme et à la femme qui se marient. Non pas à cause de l’exclusivité, de la dépendance, de la durée ou de la nature sexuelle de leur union, mais à cause de sa fonction vitale de procréation et de sa fonction de socialisation qui encourage la complémentarité entre homme et femme pour le plus grand bien de leurs enfants.

« En privilégiant le mariage entre un homme et une femme, l’État affirme que c’est dans le meilleur intérêt de la société que les enfants naissent et grandissent dans une communauté familiale où ils découvrent que leur identité biologique et historique est issue de l’union amoureuse de leurs parents, qui chacun place les besoins des autres avant les siens. En faisant la promotion du mariage comme union exclusive d’un homme et d’une femme, l’État protège les droits des enfants et encourage les valeurs d’engagement, de maîtrise de soi et de diversité nécessaires pour préserver la société » (commentaire du professeur R.M.R. Schmid de l’Université Oxford, publié dans Zenit, 12 juillet 2004, trad. de la CECC).

Si les partenaires de même sexe sont exclus du mariage, ce n’est pas à cause de leur orientation sexuelle, mais à cause de l’absence entre eux de la complémentarité sexuelle qui définit la différence spécifique du mariage. Pour cette raison, ils sont naturellement inaptes à la procréation et moins aptes à l’éducation de la prochaine génération de citoyens —critère déterminant de l’intérêt public.

Affirmer l’existence d’une différence entre l’union hétérosexuelle et l’union homosexuelle n’est pas une discrimination injuste contre les partenaires de même sexe. C’est ce que reconnaissait la Commission des droits humains de l’ONU en 2002 en refusant d’entendre une plainte contre la Cour d’appel de Nouvelle-Zélande qui venait de réfuter l’idée (Quilter v. New Zealand (A.G.) (1997) ICHRL 129) que l’interdiction de discrimination basée sur l’orientation sexuelle impliquait un droit au mariage entre partenaires de même sexe. La Cour d’appel avait déterminé que « toute différence de traitement n’est pas discriminatoire ».

Par ailleurs, l’argumentaire des promoteurs du « mariage » homosexuel en faveur de l’égalité des droits repose aussi sur une fausse conception du respect de la dignité humaine. L’égalité et la dignité des personnes ne dépendent pas de leur race, de leur religion, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur état civil. Leur dignité et leur égalité se fondent sur le simple fait qu’elles appartiennent à la race humaine. Pour respecter leur dignité, ni l’État ni la société ne sont obligés d’entériner légalement leur «style de vie» qui n’a pas de raison d’être reconnu publiquement comme valeur sociale.

Un maître de la philosophie politique, Pierre Manent, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris l’explique bien : «Il est possible, dans notre régime, de satisfaire la plupart des revendications des homosexuels, ou de ceux qui s’expriment en leur nom. Mais pas toutes. Ou plutôt une seule est impossible à satisfaire. Il est impossible que le corps politique «reconnaisse» leur «style de vie» : aucun «style de vie» n’est «reconnu» par notre régime. C’est pourquoi il est libéral. Mais il «reconnaît» le «mariage hétérosexuel» ? Certes, et pour une bonne raison : ce mariage produit des enfants, c’est-à-dire des citoyens, et cela relève de l’intérêt public» (Cours familier de philosophie politique, Gallimard, 2001, 324-5).

Pour ce qui est de la protection des droits d’une minorité, il faut rappeler qu’une minorité n’a pas de droits pour l’unique raison qu’elle est une minorité. Ce sont les membres de cette minorité qui ont des droits, et ces droits sont soit absolus, soit conditionnels. Citons comme exemple de droit absolu, le droit à la vie. Et comme exemple de droit conditionnel, celui de pratiquer la médecine à condition d’avoir obtenu un diplôme en médecine. Le droit au mariage, reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme, est aussi un droit conditionnel. Il est réservé aux personnes qui remplissent les conditions naturellement requises et rattachées à ce droit, dont la complémentarité sexuelle.

À l’heure où le gouvernement s’apprête à redéfinir le mariage en invoquant la nature évolutive de la Constitution canadienne, sans doute faut-il aussi rappeler un principe fondamental qui doit présider à l’élaboration des lois pour qu’elles soient justes et méritent ainsi l’appui et le respect des citoyennes et citoyens.

Les lois sont établies pour faire respecter l’ordre social. Or, un ordre social n’est valable que s’il respecte l’ordre inscrit dans la nature humaine elle-même. À partir du moment où des lois contredisent cet ordre naturel, elles deviennent injustes et risquent alors de provoquer divisions et dissensions, engendrant plutôt un désordre social.

La Charte canadienne des droits et libertés se réfère justement dans son préambule à « la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». Cette référence n’est d’aucune façon confessionnelle. Elle s’inscrit dans le cadre de la tradition classique du droit qui reconnaît un droit supérieur établissant ce qui est dû à chaque personne humaine du fait qu’elle est humaine. Ce droit trouve sa source dans la nature humaine et ne découle pas de la volonté des juges et des gouvernements. Il s’agit du droit naturel —un droit dont les composantes sont plus universelles et immuables que les réalités sociales et culturelles, qui changent avec le temps.

Le droit au mariage dont parle la Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 16) se fonde sur le droit naturel et n’évolue pas avec les mentalités. L’évolution du droit positif ne peut être considérée comme un progrès de civilisation que lorsqu’elle respecte le droit naturel. Une saine interprétation de la Charte exig
e cette référence au droit naturel qui découle de son préambule.

CONSÉQUENCES NÉFASTES SUR LES ENFANTS

Nous sommes également très préoccupés par l’impact prévisible d’une redéfinition du mariage sur les citoyens les plus vulnérables : les enfants canadiens. On ne peut faire fi de leurs besoins et de leurs droits en s’imaginant que la société de demain n’en subira pas le contre-coup. Avant de procéder à une telle réingénérie sociale, considérons l’impact qu’a eu le divorce sur quelques générations d’enfants.

Issus de l’union d’un homme et d’une femme, les enfants ont besoin d’un père et d’une mère, ils ont le droit de connaître leurs parents biologiques et d’être éduqués par eux. On sait trop bien la souffrance de ceux qui sont privés de cette possibilité; pourquoi, alors, créer volontairement d’autres situations contraires au bien-être des enfants, qui ont besoin de la double figure de l’homme et de la femme, qui jouent auprès d’eux des rôles différents et complémentaires cruciaux dans leur processus de croissance et dans la structuration de leur personnalité.

L’adoption du projet de loi C-38 créerait deux catégories d’enfants : ceux qui auraient droit à une éducation assurée par leurs deux parents biologiques et ceux qui se verraient privés volontairement de ce droit. Une telle discrimination n’est ni juste ni souhaitable. Dans une opinion datée du 22 janvier 2004 et intitulée « Homosexual Parenting : Is It Time for Change? », l’American College of Pediatricians (ACP) conclut que « la littérature scientifique concernant le parentage homosexuel est limité. L’environnement au sein duquel les enfants grandissent est absolument critique dans leur développement. À la lumière des recherches disponibles, l’ACP croit qu’il est inapproprié, potentiellement périlleux pour les enfants et dangereusement irresponsable de changer la prohibition séculaire relative au parentage homosexuel que ce soit par adoption, famille d’accueil ou par manipulation reproductive. Cette prise de position s’enracine dans les meilleures recherches scientifiques disponibles ». Pour sa part, l’Association espagnole de pédiatrie vient d’affirmer, en se basant sur un rapport faisant état de centaines d’études à travers le monde, que « le noyau familial composé de deux pères ou de deux mères est clairement dangereux pour l’enfant ».

Imposer l’uniformité au nom de l’égalité serait poursuivre l’érosion du mariage et de la famille en diminuant l’importance de l’union d’une femme et d’un homme, d’une épouse et d’un époux, d’une mère et d’un père. La société doit faire tout ce qui est possible pour que les enfants puissent avoir un père et une mère qui vivent ensemble dans une relation empreinte de stabilité et d’amour.

Par ailleurs, l’impact éducatif des lois sur les mentalités est indéniable. Si la loi canadienne devait désormais enseigner que le mariage est l’union de deux personnes, une majorité de Canadiennes et de Canadiens risqueraient de voir leurs libertés de conscience, de religion et d’expression sérieusement menacées par l’imposition d’une « orthodoxie » contraire à leurs valeurs.

Il est vrai que la version amendée du projet de loi C-38 affirme à l’article 3.1 « que nul ne peut être privé des avantages qu’offrent les lois fédérales ni se voir imposer des obligations ou des sanctions au titre de ces lois pour la seule raison qu’il exerce, à l’égard du mariage entre personnes de même sexe, la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, ou qu’il exprime, sur la base de cette liberté, ses convictions à l’égard du mariage comme étant l’union entre un homme et une femme à l’exclusion de tout autre personne ».

Mais, cet article du projet de loi C-38 concerne uniquement les lois fédérales. Rien ne nous assure que toutes les provinces verront à le faire appliquer sur leur territoire, puisque les lois sociales et les lois qui concernent l’éducation sont de leur ressort. On peut même en douter, car bien que la Charte protège déjà les libertés de conscience et de religion, on assiste dans les provinces qui reconnaissent la validité du mariage entre partenaires de même sexe à des poursuites contre des personnes et des groupes qui ne partagent pas cette vision des choses imposée par les tribunaux. Faudra-t-il se résoudre à être victimes de discrimination lorsqu’on tient à la définition universelle du mariage et que l’on veut éduquer, enseigner et prêcher en accord avec notre foi et notre conscience? Faudra-t-il que les parents acceptent comme inévitable que l’école et les médias transmettent une vision du mariage contraire à la leur?

MENACE CERTAINE POUR LA LIBERTÉ

DE CONSCIENCE ET DE RELIGION

Le projet de loi C-38 affirme que la liberté religieuse sera protégée et que, dès lors, les célébrants et commissaires au mariage n’auront pas à célébrer des mariages qui vont à l’encontre de leurs convictions. Non seulement savons-nous qu’il faudra compter sur la bonne volonté des provinces pour assurer ce droit, mais il ressort clairement des débats entourant la possible redéfinition du mariage que le concept de liberté religieuse est incompris par une majorité d’intervenants.

En effet, la liberté religieuse ne se limite pas à la liberté de célébrer ou non des mariages entre partenaires de même sexe. La liberté de religion, qui est intrinsèquement liée à la liberté de conscience et d’expression, ne concerne pas seulement les autorités religieuses, mais l’ensemble des citoyens. Et ces libertés doivent pouvoir s’exprimer sur la place publique dans leur vie de tous les jours.

Or, on a pu constater un phénomène extrêmement préoccupant au cours des dernières années. Ce phénomène est particulièrement bien décrit par le professeur Schmid, qui constate que quiconque manifeste son désaccord avec le mariage entre partenaires de même sexe se voit taxer d’homophobie : « Faudra-t-il se résoudre à ce que l’existence d’unions homosexuelles signifie la disparition du droit à la liberté de conscience face aux actes homosexuels? Verrons-nous les objecteurs de conscience marginalisés dans la vie publique?

« Déjà, on accuse d’homophobie quiconque s’objecte en conscience au « mariage » homosexuel; on ridiculise sa peur pathologique et sa soi-disant irrationnalité. Parce que la condamnation du comportement homosexuel concerne les actes et non les personnes, il est complètement faux de conclure que toute opposition aux unions homosexuelles indique un manque de respect et de considération pour les personnes.

« Si l’on affirme que l’homosexualité est à ce point inhérente à la personne humaine qu’il est impossible de désapprouver moralement des actes homosexuels sans discriminer contre la personne, il faut aussi reconnaître que l’objection de conscience est à ce point inhérente à la personne humaine qu’on ne peut la rejeter sans discriminer contre la personne.

« Affirmer que les croyances religieuses ne doivent pas mener à la discrimination à l’égard des personnes en leur refusant le droit de se marier, c’est poser un faux problème. Car tous les arguments apportés par les croyants ne peuvent être réduits à leurs croyances religieuses. La contribution des croyants au débat public sur les unions homosexuelles ne peut pas être rejetée sous prétexte qu’elle est fondamentalement irrationnelle et biaisée. Cela reviendrait à leur nier leur égalité en tant que citoyens.

« On ne peut pas permettre que dans les débats politiques certaines personnes accusent les opposants au mariage homosexuel d’être irrationnels, de mauvaise foi et haineux. Si, au nom de la vérité, les arguments rationnels peuvent être rejetés parce qu’ils sont synonymes d’objec
tions de conscience, et si, au nom de la justice, on fait taire l’objection de conscience, alors la liberté n’est pas pour tous » (ib.)

Ces tentatives d’intimidation à l’égard des personnes qui ne partagent pas la vision étatique du mariage risquent bien de se multiplier après l’adoption du projet de loi C-38. Lorsque l’État aura imposé une norme nouvelle affirmant que la conduite sexuelle homosexuelle est un bien social, ceux qui s’y opposeront pour des motifs religieux ou pour des motifs de conscience, seront considérés comme bigots, anti-gais et homophobes. Ils risqueront alors des poursuites judiciaires.

Je cite ici encore Pierre Manent : «Précisément parce que notre régime est un régime de liberté, et pour qu’il puisse le rester, nous n’avons pas le droit d’exiger de nos concitoyens qu’ils approuvent nos «styles» ou «contenus de vie» : ce serait tyrannie» (Ib. 326).

En réclamant le mariage, les personnes de même sexe recherchent une reconnaissance sociale. Or, nous le répétons, la reconnaissance sociale dépend du service que rend un citoyen à l’État. Contrairement au partenaires de même sexe, les couples hétérosexuels transmettent naturellement et le plus souvent la vie. En donnant de nouveaux citoyens à la société, ils rendent un service essentiel à l’État, ce qui justifie un statut spécial pour leur union.

En accordant le droit au mariage aux partenaires de même sexe, on leur demanderait de s’afficher socialement de façon différente à ce qu’ils sont réellement. Ce serait affirmer qu’il leur faut ce statut pour être jugés dignes de considération, ce qui irait tout à fait à l’encontre de l’objectif du projet de loi C-38.

L’État n’a aucun intérêt à reconnaître et même institutionnaliser les relations adultes consensuelles fondées sur l’orientation sexuelle, les préférences sexuelles, les pratiques culturelles et les convictions religieuses des citoyens et citoyennes. Il se doit cependant par souci de l’intérêt public de protéger l’institution du mariage et de la famille qui est la pierre angulaire de la société et la meilleure garantie de son avenir.

CONCLUSION

En conclusion, nous réitérons avec force qu’il serait injuste et contraire au bien commun de redéfinir le mariage dans le sens du projet de loi C-38. Une telle loi dénature le mariage et détruit la reconnaissance publique que l’État doit accorder, dans l’esprit de la Charte et par respect du droit naturel, à l’union d’un homme et d’une femme à l’exclusion de toute autre personne.

En réclamant le mariage, les personnes de même sexe recherchent une reconnaissance sociale qu’il serait injuste de leur accorder de cette manière, puisque leur union ne remplit pas la condition essentielle de complémentarité sexuelle et d’ouverture naturelle à la procréation des enfants qui caractérise l’institution matrimoniale.

Vouloir à tout prix cette reconnaissance légale et sociale au détriment des valeurs communes du mariage et de la famille dans la société canadienne entraînerait des conséquences désastreuses qu’on expérimente déjà et qui mettent en danger non seulement la liberté de conscience et de religion mais aussi la qualité future de l’éducation publique et privée.

L’État doit protéger le droit prioritaire à la liberté de religion non seulement pour les ministres du culte mais pour toute la population. Il doit faire respecter le droit et la justice concernant les personnes et les unions homosexuelles, mais sans céder aux mouvements culturels excessifs qui menacent les valeurs fondamentales du mariage et de la famille.

Nous comptons sur vous, honorables sénateurs qui pouvez voter en toute liberté de conscience, et nous faisons appel à vous au nom d’une majorité de canadiens et canadiennes : Sauvez l’institution fondamentale du mariage ! Votre institution parlementaire en sortira plus crédible et plus fidèle à la Charte canadienne des droits et libertés qui est susceptible d’une interprétation plus juste que celle soutenue par ce projet de loi.

Marc Cardinal Ouellet
Archevêque de Québec et Primat du Canada
Au nom de la Conférence des évêques catholiques du Canada,
Comité sénatorial sur le projet de loi C-38 concernant certaines conditions de fond du mariage civil
13 juillet 2005

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ZENIT Staff

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