Jaysingh Kumaria s’est converti au catholicisme il y a quinze ans. Il vivait heureux et paisiblement sa nouvelle foi jusqu’à il y a quelques semaines, lorsque, pressé de choisir entre sa religion et sa vie, il a préféré sauver sa vie. Jaysingh Kumaria, un aborigène de l’Etat de Maharashtra, ainsi que 250 autres catholiques du village de Rajouri, une localité du district de Buldhana, s’est déclaré hindou, contre son gré, pour échapper aux menaces de militants hindouistes qui leur promettaient la mort s’ils continuaient à professer leur foi catholique. Les villageois étaient si convaincus que les extrémistes hindous mettraient leur menace à exécution qu’ils ont demandé à leur curé de ne plus venir au village.
Pour le P. Joseph Puthenkulam, curé de la communauté catholique de Rajouri, cet incident est « malheureux », mais il dit comprendre la situation qui est celle de villageois dont il s’occupe depuis quinze ans et qu’il a accompagnés durant tout ce temps. Jaysingh Kumaria témoigne quant à lui de la « peine » qu’il ressent à demander au prêtre de ne plus venir les visiter. Il se souvient que ce sont eux qui l’avaient invité à venir parmi eux, lorsqu’ils avaient quitté leur Etat pour venir dans le Maharashtra, en quête de terres à cultiver. Le prêtre, aujourd’hui âgé de 77 ans, avait fondé une école dans leur village pour scolariser leurs enfants et construit une église. Aujourd’hui, après les menaces des militants hindouistes, les habitants de Rajouri, des aborigènes, n’ont nulle part où aller s’ils veulent conserver leur foi catholique et ils redoutent d’être ostracisés par les habitants des villages voisins s’ils n’abandonnent pas leur religion. Les extrémistes hindous ont en effet incité les villages voisins à faire pression sur les habitants de Rajouri et ces derniers ont besoin d’eux pour trouver à s’embaucher comme travailleurs agricoles ou encore pour trouver des époux et des épouses à leurs enfants.
Selon une dépêche de l’agence Ucanews (1), les problèmes à Rajouri ont commencé, le 17 janvier dernier, lorsqu’un religieux hindou s’est installé sur une colline à 10 km du village et a commencé à prêcher contre le christianisme. Avant de disparaître une semaine plus tard, il s’est assuré que des militants hindouistes relayaient ses prêches et menaçaient du pire les villageois au cas où ils ne se « reconvertiraient » pas. « Personne ne sait qui il est, quel est son vrai nom et d’où il vient, mais il a réussi à mettre le feu aux poudres au sein des populations aborigènes qui se sont rangées aux côtés des extrémistes hindous contre leurs propres frères », explique Girish Dandke, responsable de l’école de Rajouri, un catholique âgé de 39 ans et un des rares habitants non aborigènes du village.
Le P. Puthenkulam rapporte qu’il a demandé la protection de la police pour les habitants de Rajouri. « L’école est propriété de l’Eglise et je crains que les fanatiques la détruisent, empêchant ainsi l’accès à l’éducation des enfants du village », précise-t-il. Le responsable local de la police de son côté déclare que les habitants « ne doivent pas céder à quelque pression que ce soit » et dit qu’il prendra les mesures qui s’imposent si un seul des villageois vient porter plainte et déposer par écrit. Les villageois expliquent pour leur part qu’ils n’envisagent pas de porter plainte, tant les pressions qu’ils subissent sont fortes. Jaysingh Kumaria ajoute que la protection de la police ne résoudrait pas le problème. Selon lui, les villageois peuvent supporter les pressions physiques, s’il faut en passer par là pour défendre leur foi, mais ils ne peuvent rien contre l’ostracisme social ambiant. « Nous ne savons pas si nous devons enterrer ou brûler nos morts. Je ne sais pas ce qui nous attend », dit-il, sous-entendant que porter un mort en terre sera signe de leur appartenance au christianisme et déclenchera donc les foudres des hindouistes.
Pour les responsables locaux de l’Eglise catholique, la situation est sans issue. « On ne peut rien faire s’ils voient leurs fils et leurs filles ostracisés par les autres », déclare Mgr Edwin Colaço, évêque d’Amravati. Tout comme le P. Puthenkulam, l’évêque refuse de reprocher aux villageois leur décision de ne plus se dire catholiques. « Ils sont pauvres, sans recours et, dans la société où ils vivent, ils ne peuvent sortir du système dans lequel ils vivent », explique-t-il, ajoutant qu’il est facile pour l’Eglise de leur demander de rester fermes dans la foi mais que c’est là un choix « difficile ». Quel que soit leur choix, l’évêque dit que l’Eglise sera toujours à leurs côtés. Ils pourront formellement « agir comme hindous, mais, dans leur conscience, ils seront toujours chrétiens », dit-il, ajoutant que de telles tentatives pour obtenir des « reconversions » ne datent pas d’aujourd’hui (2). Mgr Colaço a dénoncé les faits dans un courrier au gouvernement de l’Etat du Maharashtra ainsi qu’au ministre de l’Intérieur de la Fédération indienne, à New Delhi.
A Nagpur, au siège du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, Corps national des volontaires), les responsables de l’organisation extrémiste hindoue démentent être impliqués dans cette affaire. L’un d’eux a déclaré que les aborigènes chrétiens étaient toujours les bienvenus « s’ils désirent revenir dans le bercail hindou ». « Sur le fond, ils sont attirés au christianisme par les missionnaires et nous connaissons de nombreux exemples où ils réalisent leur folie et où nous arrangeons le ‘gharvapsi’ (retour à la maison), les programmes de reconversion », a précisé le responsable.
(1) Ucanews, 23 février 2005
(2) Voir EDA 261, 270, 272, 291
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