« Vivez comme des fils de la lumière… » : Mgr Vingt-Trois à Notre Dame de Paris

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CITE DU VATICAN, Mardi 8 mars 2005 (ZENIT.org) – « Vivez comme des fils de la lumière… » : voici le texte intégrale l’homélie de Mgr Vingt-Trois, nouvel archevêque, à Notre Dame de Paris, samedi 5 mars 2005.

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« Vivez comme des fils de la lumière… »
Une bonne nouvelle.

Exceptionnellement, aujourd’hui, j’ai voulu faire moi-même la proclamation liturgique de l’Évangile habituellement confiée au ministère du diacre. Je manifeste ainsi devant vous le sens premier du ministère apostolique qui m’est confié parmi vous : proclamer la Bonne Nouvelle du Salut. C’est en vue de cette annonce que Jésus a choisi et appelé ses disciples. C’est cette mission qu’Il leur a confiée au moment de les quitter. C’est pour son accomplissement qu’Il a constitué son Église et qu’Il lui a envoyé son Esprit à la Pentecôte. C’est pour travailler à cette annonce que nous sommes choisis et appelés au ministère d’évêques, de prêtres et de diacres. C’est pour participer à cette annonce que l’évêque confirme les baptisés dans l’Esprit-Saint.

Tous, ministres ordonnés et laïcs de l’Église du Christ, nous sommes engendrés à la vie par l’acte de miséricorde et de salut accompli en Jésus-Christ : « Il m’a envoyé proclamer la Bonne Nouvelle aux pauvres ! » (Luc 4, 18). Tous nous sommes appelés à signifier par notre vie à quel point Dieu a aimé le monde, Lui qui a envoyé son Fils, son Unique, pour sauver le monde. (cf. Jean 3). Nous sommes les témoins de la miséricorde de Dieu envers l’homme. Non seulement nous annonçons cette miséricorde par des gestes et des paroles, mais nous en donnons le signe vécu à travers nos propres vies. En effet, Dieu manifeste la puissance de son amour en se servant de femmes et d’hommes pécheurs et faibles pour en faire les témoins de l’absolu de l’amour, de l’amour définitif accompli dans un don de soi total et perpétuel, que ce soit dans la consécration pour le service de l’Évangile ou dans le don conjugal.

Frères et Sueurs de l’Église à Paris, cette merveilleuse espérance, vous en avez donné un signe éclatant dans la capitale avec « Paris-Toussaint 2004 ». Non seulement vous avez dressé sur le parvis de la cathédrale, l’église mère au cœur de l’antique Cité, la croix de l’arbre de vie, mais surtout vous avez voulu aller au devant des hommes vos frères par toutes sortes d’initiatives apostoliques. Non seulement vous avez annoncé le pardon, mais surtout vous l’avez vécu dans la Journée du Pardon. Non seulement vous vous êtes répandus dans la grande ville, mais vous avez voulu mieux connaître les chances qu’elle représente pour l’évangélisation d’aujourd’hui. Bref, de toute sorte de manières, vous avez éprouvé la puissance de l’Évangile et la joie de la foi et vous avez développé le goût de partager cette joie avec notre monde du XXI° siècle.

En arrivant à Paris, je le sais, je m’inscris dans la tradition séculaire de ces témoins de la foi depuis saint Denis et sainte Geneviève jusqu’aux apôtres d’aujourd’hui dont les noms sont encore inconnus de la notoriété médiatique mais dont les espérances et les labeurs sont inscrits déjà dans la longue série des témoins de la vie comme serviteurs de l’espérance. Comment évoquer des exemples sans en oublier trop ? J’y renonce. Mais comment ne pas au moins nommer la Bienheureuse Sueur Rosalie Rendu ou le Bienheureux Frédéric Ozanam, tous les deux apôtres de la Charité du Christ dans notre ville ? En évoquant leur patronage, je pense à toutes celles et à tous ceux qui sont aujourd’hui des apôtres de la solidarité selon l’Évangile et qui vivent la compassion de Dieu auprès des personnes exclues ou marginalisées.

« Est-ce bien lui ? »

Comment ne pas vous dire mon émotion, partagée avec ma chère Maman, au moment où je deviens le 140° archevêque de Paris ? Emotion de me retrouver dans cette magnifique cathédrale, sans cesse embellie par les générations successives, trente six ans après y avoir été ordonné prêtre par le cardinal Marty et dix sept ans après y avoir été consacré évêque par le cardinal Lustiger. Avec vous, je veux lui renouveler l’expression de la gratitude du diocèse pour les vingt quatre années de son ministère épiscopal à Paris et ma reconnaissance personnelle pour tout ce que j’ai reçu de lui.

Quelle émotion d’avoir entraperçu parmi vous tant de visages connus ; certains un peu flétris par les ans comme le mien, d’autres connus enfants et qui ont atteint leur maturité. Emotion plus forte encore devant tous ces visages inconnus qui représentent ce soir les chrétiens de la capitale auxquels je suis envoyé, laïcs de toutes conditions et celles et ceux qui sont consacrés dans la vie religieuse. Emotion de voir ces cardinaux et ces évêques qui se joignent à notre prière et dont la présence manifeste l’unité du collège apostolique et l’amitié fraternelle qui nous unit.

Emotion de la présence d’une couronne de prêtres, des séminaristes qui sont les prêtres de demain. Chers Frères prêtres, je connais votre persévérance et votre dévouement pastoral. Si votre vie n’est pas toujours comprise ou estimée dans notre société, sachez du moins que votre archevêque veut être prêt à vous écouter dans votre expérience et à vous soutenir dans votre mission. Vous les diacres ordonnés pour le service, vous savez que je compte sur votre ministère, encore nouveau dans notre Église. Emotion enfin des visages tourangeaux, prêtres, diacres, séminaristes, religieuses et laïcs qui ont voulu m’accompagner jusqu’au bout de leur amitié et qui m’ont symboliquement accompagné pour entrer dans cette célébration.

Monseigneur le Nonce apostolique, vous êtes maintenant un familier et un ami de nos diocèses. Je vous prie de bien vouloir transmettre au Saint Père l’expression de ma gratitude pour la confiance qu’il me manifeste en me confiant cette mission. Veuillez l’assurer de notre affection et de notre prière constante dans l’épreuve qu’il traverse avec tant de foi et de persévérance ! Dites lui, s’il vous plaît, combien son témoignage nous impressionne et nous conforte dans la foi.

Frères et Sœurs, je serai votre porte-parole pour saluer et remercier de leur participation à notre célébration : Madame Chirac dont la présence honore toute notre communauté diocésaine, Monsieur le Ministre de la Culture et de la Communication, M. le Préfet de la Région Ile de France, M. le Maire de Paris, M. le Préfet de Police, Mesdames et Messieurs les élus et les représentants des hautes autorités administratives, militaires judiciaires et universitaires.

Mesdames et Messieurs, permettez-moi de voir ce soir en votre présence un peu plus qu’un signe de courtoisie auquel je suis très sensible, mais la reconnaissance de la place légitime de la communauté catholique dans notre état laïc et de sa contribution à la cohésion et à la paix de notre société comme de son apport spécifique à notre patrimoine français et européen, à sa vitalité présente.

Enfin je veux adresser un salut particulier et fraternel aux évêques et aux représentants des autres communautés chrétiennes qui se joignent à notre prière et avec lesquels j’aurai toujours la détermination nécessaire pour progresser encore sur le chemin de l’unité visible de l’Église du Christ. Je remercie de leur message d’encouragement les responsables des communautés juives de Paris et de France, ainsi que M. le Recteur de la Mosquée de Paris.

Combien de fois me suis-je dit : pourquoi moi ? Il m’est venu à l’esprit que le choix de David pouvait m’aider à comprendre comment je suis arrivé ici. « Dieu ne regarde pas comme les hommes, car les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. » Sans doute, selon des critères très raisonnables, un autre que moi, plus grand, plus fort, plus doué, – et peut-être plus beau ? – eût-il mieux convenu à une si haute responsabilité. J’en suis le premier convaincu. Mais le processus du choix et de l’onction de David nous montre comment Dieu fit comprendre à Samuel que les sept fils présentés ne correspondaient pas à son projet et qu’il fallait che
rcher celui qui était aux champs à garder le troupeau. Nous savons que l’interprétation symbolique doit être maniée avec précaution. Je ne la pousserai donc pas plus loin pour savoir si mon troupeau tourangeau correspond à celui de David, ni si j’ai de beaux yeux ! … Pour ma sérénité, et peut-être la vôtre, je retiendrai simplement que les critères du choix de Dieu diffèrent sensiblement des nôtres et que, dans la foi, nous devons suivre l’exemple de Samuel et nous y conformer sans état d’âme. C’est ce que je m’efforce de faire et ce que je vous invite à faire avec moi dans la confiance en Celui qui mène toutes choses. Je souhaite me donner totalement à la mission que me confie l’Église, appuyé sur la prière de tout le peuple de Dieu qui est à Paris, la vôtre.

Il est ainsi des événements dans le cours de nos existences personnelles, comme dans la vie de l’Église ou dans l’histoire des peuples, qui manifestent l’action de Dieu et qui nous invitent à reconnaître sa Sagesse et notre ignorance de ses finalités et de ses moyens. C’est ce que provoque chez les habitants de Jérusalem la guérison de l’aveugle de naissance qu’ils connaissaient bien pour l’avoir vu mendier dans leur voisinage. L’évangile de Jean nous rapporte cette guérison en tirant pour nous des enseignements très précieux dont je ne retiendrai que quelques uns.

« Que dis-tu de lui ? »

L’évènement crée le questionnement. La guérison extraordinaire et mystérieuse déclenche ce que nous appellerions dans notre jargon moderne une crise des identités. Celui qui a été guéri est-il bien le même qui était aveugle ou quelqu’un qui lui ressemble ? Et celui qui l’a guéri qui est-il ? Vient-il de Dieu comme l’affirme le récit évangélique en évoquant la piscine de « l’Envoyé » ? Est-il, comme l’affirment les pharisiens, un pécheur qui guérit le jour du Sabbat ? Mais un pécheur pourrait-il accomplir de pareils signes ?

Sans pousser au-delà l’analyse du texte, nous pouvons essayer de comprendre ce qu’il nous dit aujourd’hui. Par le baptême, nous avons été lavés à la piscine de l’Envoyé et nos yeux se sont ouverts. Si nous sommes fidèles à la lumière qui nous fut donnée, et qui est le Christ lui-même, nous ne sommes plus des errants cherchant vainement les chemins de leur vie ou des mendiants incapables de subvenir à nos besoins. Dorénavant nous sommes des clairvoyants et nous pouvons avancer dans l’existence en sachant où nous allons.

C’est à quoi se préparent dans notre Église les 264 catéchumènes adultes et les 110 jeunes catéchumènes qui seront baptisés à Pâques. Pour leurs proches, leurs relations, leurs collègues de travail ou d’étude, rien ne sera changé dans leur apparence ? Ils seront toujours les mêmes et pourtant, très vite, il apparaîtra qu’ils conduisent leur vie selon une lumière nouvelle. Heureux seront-ils si on peut se demander à leur sujet s’ils sont bien eux-mêmes ou s’ils ne sont pas quelqu’un qui leur ressemble !

Heureux sommes-nous baptisés dans le Christ si notre manière de vivre suscite la même question ! Immergés dans notre société, nous y menons la même vie que nos contemporains, mais nous sommes habités par une lumière qui doit transparaître dans nos mœurs et nos engagements et qui peut conduire ceux qui nous entourent à s’interroger sur cette clairvoyance inattendue. Sont-ils les mêmes ou bien quelqu’un qui leur ressemble ? Heureux sommes-nous si, malgré nos faiblesses et notre péché, il arrive que nous puissions susciter la question de notre entourage : « Que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? »

Finalement la question suscitée par la lumière qui irradie notre vie est celle de son origine. Et cette question c’est à chacun de nous qu’elle est posée, ouvertement ou discrètement, mais toujours comme une question de la liberté personnelle devant des signes qui disent quelque chose sur le sens de l’existence et sur la destinée de l’homme. Qui t’a changé ? Qui a renouvelé ta vie ? Qui t’a donné cette liberté souveraine devant ce monde ? Contrairement à ce que pensent beaucoup de nos contemporains, l’évangélisation et l’apostolat ne relèvent pas du prosélytisme. Ils sont d’abord une réponse à la question suscitée par des vies menées selon la lumière du Christ.

Ce serait une déviation et même une perversion de la mission de l’Église de la modeler sur les méthodes du marketing ou de la propagande. Nous sommes bien porteurs d’une parole et d’un message et nous n’avons pas l’intention de les camoufler pour nous conformer aux modes dominantes ou à la pensée correcte. Mais le premier moyen de communication de cette parole et de ce message, c’est notre manière de vivre qui devient source d’interrogation. Qu’importe au monde que nous aimions les pauvres et que nous les servions si nous ne vivons pas un réel détachement des biens ! Qu’importe au monde que nous soyons pour la paix entre les peuples si nous y travaillons par les moyens de la violence et de la force contre le droit ! Qu’importe au monde que nous appelions à la fidélité de l’amour si nous ne sommes pas résolus à nous donner tout entiers, sans esprit de retour !

Mais si nous « vivons comme des fils de la lumière », selon l’invitation de Paul, alors, avec le Christ nous devenons lumière du monde et lumière pour le monde. Notre foi chrétienne n’est pas une adhésion idéologique à un message ou à un système de valeurs, fussent-elles évangéliques. Elle est adhésion à une personne, et plus qu’une adhésion, une identification et une communion avec la personne de Jésus-Christ, Jésus de Nazareth, que nous confessons comme Celui qui nous a ouvert les yeux et qui est la lumière de notre vie.

Peut-être, comme l’aveugle guéri de l’Évangile, sommes-nous malhabiles à le présenter et à le faire connaître. Peut-être sommes-nous des témoins balbutiants. Peut-être sommes-nous encore des disciples pécheurs et imparfaits. Mais du moins une chose est devenue claire à nos yeux guéris : c’est Lui qui les a ouverts et c’est Lui la seule source de notre vision et de notre lumière. Et c’est illuminés par Lui que nous entrons sereinement et résolument dans les débats de notre temps, non pour y faire triompher une organisation particulière de la société, mais pour partager le trésor que nous avons reçu par pure grâce. Nous en sommes convaincus, ce trésor est source de progrès dans la dignité humaine et facteur de relations sociales plus équitables, plus justes et plus sereines.

En annonçant la primauté du droit sur la force, la primauté de la miséricorde et du pardon sur la justice et la vengeance, la primauté de l’être humain de la conception à la mort sur son instrumentalisation au service des désirs particuliers, la primauté de la fidélité sur l’instabilité affective, nous ne plaidons pas pour une revendication confessionnelle particulière. Nous ne faisons rien que de rappeler les conditions fondamentales de l’équilibre humain dans une société et d’encourager nos contemporains à vivre selon l’aspiration profonde de leur désir d’être heureux, mais en acceptant les conditions de ce bonheur et en prenant les moyens nécessaires pour y parvenir.

Frères et Sœurs, il y aurait beaucoup à dire sur tout cela, mais nous avons quelques années devant nous pour partager la joie de la foi et je ne veux pas prolonger ce soir. Soyez en paix devant tous ceux qui savent tout sans avoir rien vu et laissez voir ce que Dieu fait en vous, pour vous et avec vous. N’ayez pas de fausse pudeur, encore moins de honte ! Vous avez été guéris. Avec confiance, suivons l’exemple de l’aveugle guéri : prosternons-nous devant Lui et disons-lui : « Je crois Seigneur ! ».

Vivez en fils de la lumière ! Marchez en enfants de la lumière !

Amen !

+ André VINGT-TROIS
Archevêque de Paris

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ZENIT Staff

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