Synthèse de la deuxième prédication de carême du père Cantalamessa

« Grâce à l’Eucharistie nous devenons ‘concorporels’ au Christ »

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CITE DU VATICAN, Vendredi 25 février 2005 (ZENIT.org) – Dans sa deuxième prédication de carême, le père Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale, exhorte les fidèles à communier fréquemment pour être unis au Christ. « Grâce à l’Eucharistie nous devenons « concorporels » au Christ », déclare-t-il.

Toujours hospitalisé, le pape a dû renoncer à assister à cette deuxième méditation de carême en compagnie de ses collaborateurs de la curie romaine, dans la chapelle « Redemptoris Mater » du palais apostolique du Vatican. Cette méditation est la suite de la réflexion du père Cantalamessa sur l’hymne eucharistique « Adoro te devote » qu’il a déjà développée au cours de l’Avent (cf. Zenit 5, 12, 19), ainsi que la semaine dernière dans la première prédication de carême (cf. Zenit, 25 février.

Nous publions ci-dessous une synthèse de cette deuxième méditation, proposée par le père Cantalamessa.

O mémorial de la mort du Seigneur!

L’Eucharistie présence de l’incarnation et mémorial de la Pâque

La cinquième strophe de l’Adoro te devote, est, théologiquement, la plus riche de tout l’hymne. Elle dit :

O mémorial de la mort du Seigneur,
Pain vivant qui procure la vie à l’homme,
Procure à mon esprit de vivre de toi
Et de toujours savourer ta douceur.

En quatre vers brefs, l’auteur résume l’essentiel de la vision eucharistique de Paul et de Jean. L’Eucharistie en tant que mémorial de la mort du Seigneur » est le trait qui caractérise la tradition paulinienne (cf. 1 Co 11, 24 ; Lc 22,19) ; l’Eucharistie en tant que « pain vivant » est celui qui caractérise la vision de Jean (cf. Jn 6, 30 ss).

La perspective paulinienne accentue l’idée de sacrifice et d’immolation, faisant de l’Eucharistie l’annonce de la mort du Seigneur et l’accomplissement de la Pâque : « Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 26) et que « le Christ, notre Pâque, a été immolé » (1 Co 5, 7) ; la perspective de Jean accentue l’idée de l’Eucharistie comme banquet et comme communion : « Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson » (Jn 6, 55). L’une explique l’Eucharistie à partir du mystère pascal, l’autre, à partir de l’incarnation ; si en effet la chair du Christ donne la vie au monde c’est parce que « le verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14). Les deux dimensions de l’Eucharistie comme sacrifice et comme sacrement, pas toujours faciles à unir, sont réconciliées entre elles.

Les deux visions de l’Eucharistie, celle paulienne centrée sur le mystère pascal et celle de Jean, centrée sur l’incarnation du Verbe, ont donné lieu depuis l’antiquité à deux théologies et deux spiritualités eucharistiques diverses et complémentaires : l’Alexandrine et l’Antiochienne. Si nous voulons aujourd’hui explorer les richesses renfermées dans l’une et l’autre des visions, il n’y a pas de meilleurs moyens que de s’approprier des résultats de cette période très riche de la pensée chrétienne.

La vision alexandrine de l’Eucharistie est étroitement liée à une certaine manière de comprendre l’incarnation et en est comme le corollaire.

« Et le verbe s’est fait chair : il ne dit pas qu’il s’est fait dans la chair, mais, à plusieurs reprises, qu’il s’est fait chair, pour en démontrer l’union… Qui mange donc, la sainte chair du Christ a la vie éternelle : la chair porte, en effet, en elle, le verbe qui est Vie par nature ».

Ici, tout assume un caractère extrêmement concret et réaliste. Qui mange le corps et boit le sang du Christ, se trouve « uni et mêlé à lui, comme la cire unie à la cire ». Comme le levain fait fermenter toute la masse, ainsi une petite portion de pain eucharistique remplit tout notre corps de l’énergie divine. Il est avec nous et nous en lui, précisément comme le levain est dans la pâte et la pâte dans le levain. Grâce à l’Eucharistie nous devenons « concorporels » au Christ.

La conséquence pratique de tout cela est une urgente exhortation à la communion fréquente, un point, celui-là, pour lequel l’autorité de saint Cyrille est souvent évoquée, par la suite contre les jansénistes. Il suffit de lire La vie en Christ de Cabasilas, pour se rendre compte jusqu’à quel point cette vision de l’Eucharistie a façonné la spiritualité successive de l’Eglise orthodoxe.

De la vision de Jean, nous pouvons mettre en valeur d’autres éléments devenus entre temps de grande actualité. Un de ceux-là est l’insistance sur le service qui pousse l’évangéliste Jean à placer le lavement des pieds là où les synoptiques placent l’institution de la Cène ; un autre est celui qui met en lumière le rôle du Père dans l’Eucharistie. « Non, ce n’est pas Moise qui vous a donné le pain qui vient du ciel, mais c’est mon Père qui vous le donne, le pain qui vient du ciel, le vrai » dit Jésus aux juifs (Jn 6, 32).

L’Eucharistie constitue également pour les Antiochiens, le revers sacramentel de la christologie, le lieu où sa richesse apparaît le mieux et où l’on ressent moins le danger de « nestorianisme ». Théodore de Mopsuestia écrit :

« En premier lieu, il faut savoir qu’en mangeant cette nourriture nous accomplissons un sacrifice. Il est certain qu’avec cette nourriture et cette boisson nous faisons mémoire de la mort de notre Seigneur et nous croyons que ces éléments sont le souvenir de sa passion ».

L’Eucharistie est présentée, depuis le début, sous son aspect sacrificiel. Plus que présence réelle d’une personne, elle est vue comme mémorial d’un événement, la mort et la résurrection du Christ. Tout est centré sur le mystère pascal :

« Avec l’aide de ce mémorial, de ces symboles et de ces signes, nous nous approchons avec douceur et joie du Christ ressuscité des morts. Nous nous pressons contre lui, nous l’étreignons, parce que nous le voyons ressuscité et nous espérons participer à sa résurrection ».

Nous pouvons aujourd’hui contempler et actualiser également cette deuxième vision patristique de l’Eucharistie à la lumière de la doctrine du corps mystique et du sacerdoce universel de tous les baptisés. La doctrine du corps mystique nous assure que, lors de la messe, l’Eglise n’est pas seulement celle qui offre le sacrifice, mais également celle qui s’offre en sacrifice avec son chef ; « dans ce qu’elle offre, l’Eglise s’offre également elle-même » disait Augustin. A son tour, la vérité du sacerdoce universel permet d’élargir cette participation à tous les fidèles, pas seulement aux prêtres.

La prière de conclusion de la cinquième strophe de l’Adoro te devote est aussi simple qu’elle est profonde. Littéralement elle dit : « Procure à mon esprit de vivre de toi et de toujours savourer ta douceur ». La première partie de la phrase s’inspire clairement de Jean 6, 57 : « De même que le Père qui est vivant, m’a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange lui aussi vivra par moi ».

La préposition « par » (en grec dià) a ici valeur de cause et d’effet ; elle indique dans le même temps un mouvement de provenance et un mouvement de destination. Elle signifie que qui mange le Corps du Christ vit « de » lui, c’est-à-dire à cause de lui, de la force de la vie qui provient de lui, et vit « en vue de » lui, c’est-à-dire par sa gloire, son amour, son royaume. Tout comme Jésus
vit du Père et par le Père, ainsi, nous faisant participer au saint mystère de son corps et de son sang, nous vivons de Jésus et par Jésus.

L’Eucharistie a toujours été un des lieux privilégiés de l’expérience mystique et c’est à ce niveau que nous conduit l’Adoro te devote quand, à la fin, il nous fait nous demander de « savourer la douceur » du Christ dans l’Eucharistie (et te illi semper dulce sapere). A partir du Vème siècle, dans de nombreuses églises de la chrétienté l’on chantait, pendant la communion, le chant : « Gustate et videte quoniam suavis Dominus « (Ps 34, 9) : « Goûtez et voyez comme Yahvé est bon ». L’Ave verum se termine également par l’exclamation : « O Iesu dulcis, o Iesu pie, o Iesu fili Mariae ! », « O doux Jésus, o pieux Jésus, o Jésus fils de Marie ». Mais le texte qui résume le mieux ce thème de la douceur de l’Eucharistie est l’antienne du Magnificat des Vêpres de la fête du Corpus Domini : « O qual suavis est Dominus spiritus tuus : O combien est doux ton esprit, Seigneur ! Pour démontrer à tes fils ta bonté, tu combles de biens les affamés avec le pain très doux descendu du ciel, tandis que tu renvoies, les mains vides, les riches arrogants ».

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ZENIT Staff

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