Ce que l'Afrique peut apprendre de l'Europe et l'Europe de l'Afrique (II)

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Mgr Grab fait le bilan du Symposium des évêques d’Afrique et d’Europe

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ROME, lundi 22 novembre 2004 (ZENIT.org) – Du 10 au 13 novembre s’est déroulé à Rome le Symposium des évêques d’Afrique et d’Europe, organisé par le Conseil des Conférences Episcopales Européennes (CCEE) et le Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar (SECAM).

Dans cet entretien à Zenit, le président du CCEE, évêque de Coire (Suisse), Mgr Amédée Grab, fait le bilan du Symposium. Nous publions ci-dessous la deuxième partie de l’entretien. La première partie a été publiée dimanche (cf. Zenit, 21 novembre).

Zenit : Ce symposium avait pour but non pas tant de discuter de l’aide que l’Europe peut offrir à l’Afrique, mais d’essayer de développer de nouvelles expériences de collaboration et de nouvelles formes de communion. Selon vous quelle contribution importante le Continent africain peut-il apporter au Vieux Continent du point de vue humain et de l’évangélisation ?

Mgr Amédée Grab : On a beaucoup parlé de ces choses surtout dans les groupes de travail et les résultats n’ont pas encore été publiés par manque de temps. En envoyant les Actes du Symposium aux participants on inclura également les diverses relations de ces groupes.

Ce thème a été au centre des discussions non pas tant pour idéaliser cet événement missionnaire de retour, dans lequel l’Afrique nous donne ses prêtres, au moment ou nous commençons à en manquer beaucoup, mais plutôt pour en tracer les limites et voir les difficultés. Il est bon que les européens accueillent la profonde générosité de la contribution que peuvent donner les africains qui viennent chez nous.

Au début, certains pensaient que ces prêtres venaient pour trouver des conditions de vie moins dures et plus confortables ; puis avec le temps, grâce au ministère de prêtres vraiment ouverts mais fortement enracinés dans la foi et pleins de zèle, les gens se sont rendus compte que cette contribution pouvait revitaliser de nombreux secteurs de notre pastorale.

Samedi, une sœur du Nigeria a exposé cela de manière assez claire, proposant également d’intensifier la présence des sœurs africaines chez nous, dans les hôpitaux, dans les maisons pour personnes âgées, afin de porter ainsi la fraîcheur et la sincerité d’une contribution pleinement chrétienne.

Il est important que cette motivation ne disparaisse pas. Mgr Onaiyekan le disait au cours de l’émission de télévision de Rai Uno « A sua immagine », et il affirmait : il est vrai que de nombreuses personnes luttent pour la justice, luttent pour la défense des droits de l’homme, mais si moi je le fais en tant que chrétien je dois dire que je le fais envoyé par Jésus Christ, pour porter non seulement des éléments de solution à des problèmes humains, au niveau moral et matériel, mais pour annoncer l’Evangile.

Et ainsi je pense que de nombreux africains peuvent nous rendre, à nous européens, quelquefois un peu fatigués, cette vision de foi, cet enthousiasme pour Jésus.

Zenit : De là le sens de l’encouragement que vous a adressé le Saint-Père lors de l’audience au Vatican, sur le fait de cultiver « le contact personnel avec le Christ », à la lumière de l’Année de l’Eucharistie, et dans l’élan missionnaire toujours renouvelé que ce Sacrement sous-entend…

Mgr Amédée Grab : Oui, le Saint-Père a dit cela déjà à plusieurs reprises et de manière très claire dans l’Encyclique « Ecclesia de Eucharistia », et puis d’une façon magnifique dans la Lettre apostolique « Mane nobiscum Domine ».

Il le répète à chaque occasion, comme il l’a affirmé hier aux évêques reçus en audience, une audience que personne n’oubliera, parce que tous n’ont pas l’occasion de voir souvent le Saint-Père. Aux côtés des quelque 70 à 80 évêques, se trouvaient en effet également présents 80 laïcs qui ont participé aux travaux du Congrès, en plus des personnes chargées du secrétariat.
Ils étaient nombreux à être très émus, soit parce que c’était la première fois, soit parce qu’ils ont vu avec quelle clarté, avec quelle conviction le pape disait ces choses.

Zenit : Y a-t-il des points qui n’ont pas pu être abordés faute de temps ?

Mgr Amédée Grab : Il était impossible d’aborder tous les sujets parce que l’Afrique est très variée, à tel point que quand les évêques africains se retrouvent tous ensemble ils cherchent souvent à le faire à Rome.

Je me rappelle il y a 11 ans quand le pape avait lancé l’idée d’une Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique, proposant Rome comme lieu de rassemblement, il y eut en Europe des réactions de désillusions ; on ne comprenait pas la raison de cette volonté de centrer toutes les initiatives sur Rome, alors qu’il aurait été beaucoup mieux de réunir l’Assemblée en Afrique.

Toutefois, il est beaucoup plus facile pour les évêques africains, s’ils sont nombreux ou tous présents, de se retrouver à Rome, que dans un lieu quelconque en Afrique. La diversité des situations n’a ainsi pas été autant ressentie aux cours de ces journées de Symposium. Elle a parfois été évoquée. Dans un travail de groupe par exemple, un évêque d’Afrique du Nord a affirmé qu’il ne voyait pas se refléter sa propre réalité dans le débat.

Il est vrai qu’un évêque qui à la charge de quelques centaines de catholiques dans un diocèse ou se trouvent des millions de musulmans ne vit pas dans les mêmes conditions qu’au Rwanda ou au Nigeria. Il crée par conséquent une situation dans laquelle le témoignage est presque la seule possibilité de rester là, ainsi que prier et être témoin de la charité selon les possibilités locales. Et il est également évident que la situation des évêques d’Afrique du sud, qui d’ailleurs n’étaient pas présents, n’est pas celle du Rwanda ou du Congo ».

Puis on a cherché naturellement à ne pas insister sur ce qui peut être problématique puisque dans la perspective, dans l’élan de cette assemblée, ou l’enthousiasme transpire également dans le communiqué final, il serait hors de propos d’affirmer : « Toutefois, il arrive que… ».

Aucun évêque européen n’aurait imaginé affirmer qu’un prêtre africain vient chez nous pour étudier et ne repart plus parce qu’il n’a pas le courage de rentrer, tout comme aucun évêque africain n’aurait imaginé se faire l’écho de reproches relatifs au paternalisme ou à l’autoritarisme de quelques missionnaires européens en Afrique, etc..

On ne parle pas de ces choses, d’une part parce qu’elles sont dépassées par les progrès qu’ont effectués les jeunes Eglises en Afrique, et aussi du fait du renouveau des mentalités des européens après le Concile, même si les difficultés demeureront toujours, et d’autre part, parce que ceux qui ont l’intention de mettre sur pied un grand projet ne s’arrêtent pas à des problématiques locales, encore à débattre et à résoudre.

Zenit : Nous avons entendu que quelqu’un s’était même improvisé animateur et artiste de cabaret lors des moments de repos des travaux de l’Assemblée…

Mgr Amédée Grab : Oui, il y a eu une démonstration très variée de talents et de dons ! Et il est bon que les évêques africains aient apporté un peu de leur spontanéité et de la joie propre à leur continent et à leurs peuples, même s’ils sont pauvres et se trouvent au milieu de tant de difficultés. Pour nous, souvent trop sérieux, ou trop préoccupés ou encore trop confiants, il est merveilleux de voir des confrères ouverts à la joie et à la patience.

Mon bilan final du Symposium, malgré la fatigue, est en effet celui d’un profond bonheur, parce que c’est un signe de l’amour du Seigneur que nous
nous soyons retrouvés. Il en est de même pour le climat dans lequel ensemble nous avons prié, débattu, mangé et qui a semblé véritablement caractéristique de ce que nous souhaitions.

Zenit : Avez-vous quelques expériences personnelles liées à l’Afrique, ou quelques anecdotes qui vous ont touchées de manière particulière ?

Mgr Amédée Grab : Non, j’ai l’expérience de nombreux évêques missionnaires qui viennent me voir, j’ai leurs expériences personnelles, mais je n’ai jamais eu d’expérience propre en Afrique, bien que je me sois toujours intéressé à ce Continent. Je connais l’Afrique à travers ce que je lis, ce que j’entends. Et puis il y a les contacts avec nos missionnaires, les personnes qui rentrent.

Je peux citer par exemple dans mon diocèse, un prêtre décédé il y a un an, qui a dirigé des séminaires et enseigné pendant quarante ans en Afrique, et écrit une summa de l’histoire religieuse de l’Afrique.

Certaines expériences de vie m’ont vraiment marqué. Il y a 10 ans après la guerre fratricide au Rwanda, un jeune religieux est venu me voir, me demandant de l’aide. Il m’a raconté qu’il avait vu ses parents et 10 de ses frères et sœurs tués sous ses yeux. Il était le seul survivant.

Avoir chez moi un jeune qui pleurait la mort sanglante, violente et barbare, sous ses yeux, de 14 ou 15 personnes et qui demeurait l’unique survivant, m’a beaucoup enseigné. Et ce qui m’a frappé le plus a été sa volonté de persévérer dans la foi au Christ, et le fait, comme je le remarquais, qu’il avait totalement pardonné.

Certains pourraient juger les Africains comme des personnes souriantes et insouciantes, parce qu’ils ne ressentent pas les situations tragiques selon les critères des européens formés à la philosophie de Nietzsche et autres. Les Africains ressentent les situations tragiques mais ils sont également capables de pardonner.

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ZENIT Staff

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