Ce que l'Afrique peut apprendre de l'Europe et l'Europe de l'Afrique (I)

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Mgr Grab fait le bilan du Symposium des évêques d’Afrique et d’Europe

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ROME, dimanche 21 novembre 2004 (ZENIT.org) – Du 10 au 13 novembre s’est déroulé à Rome le Symposium des évêques d’Afrique et d’Europe, organisé par le Conseil des Conférences Episcopales Européennes (CCEE) et le Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar (SECAM).

Le président du CCEE, évêque de Coire (Suisse), Mgr Amédée Grab, revient dans un entretien à Zenit, sur quelques unes des propositions faites au cours de cette rencontre. Il présente les défis de l’évangélisation en Afrique et souligne la « contradiction » ou « absurdité » de certaines politiques promues par les pays d’Europe concernant l’Afrique.

Nous publions ci-dessous la première partie de l’entretien avec Mgr Grab.

Zenit : Monseigneur, dans votre intervention d’ouverture du symposium vous déplorez un « sentiment de lassitude et de désintérêt au niveau populaire pour le processus d’unification de l’Europe ». Vous proposez comme « rêve » autour duquel les citoyens européens pourraient souder leur engagement et leur passion, celui de vaincre la faim en Afrique. Votre appel a-t-il été entendu au cours du Symposium ?

Mgr Amédée Grab : Il y a eu plusieurs informations confirmant l’attention de nombreux organismes à ce problème. Je pense par exemple à l’intervention de Mgr Ferdinando Charrier, président de la Fondation « Giustizia e Solidarietà ». Il a très bien expliqué comment les évêques italiens ont accueilli l’invitation du pape dans la perspective du Jubilé de l’an 2000 à remettre la dette. Au lieu de ne faire que prêcher et dire que la paix et l’avenir de l’humanité l’exigent, ils ont choisi deux pays, la Guinée Conakry et la Zambie, et ont proposé au gouvernement italien de remettre leur dette.

Non pas dans sa totalité parce qu’ils n’en auraient pas été capables, mais en proposant de racheter et de remettre 10% de la dette de ces pays. Pour y arriver ils ont demandé des offrandes et des dons aux fidèles et sont arrivés en peu de temps à 1,5 million d’euros.

De cette manière, les pays débiteurs qui ont demandé l’annulation de la dette ont pu utiliser cet argent pour promouvoir des œuvres de solidarité, de développement, de progrès.

Tout cela pour ne pas se limiter à dire « voilà l’éponge, effaçons le passé » pour ensuite repartir dans des conditions exactement identiques à celles qui avaient favorisé et fait augmenter la dette. Cet exemple, qui était méconnu des évêques des autres pays, est excellent. L’idée d’avoir imploré le gouvernement au nom du Christ et d’avoir ensuite offert une certaine garantie à la place de celui qui ne peut rien donner, est excellente. C’est une magnifique idée, une idée parfaite.

Et puis il y a d’autres exemples de jumelage avec des diocèses africains. Dans mon pays aussi, en Suisse, ce type de collaboration existe depuis quarante ans, pas seulement pour remédier à des situations catastrophiques comme des cas d’inondations, de sécheresses ou de tremblements de terre, mais aussi pour permettre à ceux qui reçoivent de l’aide de pouvoir s’en sortir seuls. Dans le cadre des organismes de solidarité on évoque très souvent la devise de ne pas se limiter à donner du poisson à l’affamé mais de lui apprendre également à pêcher.

Creuser des puits, donner la possibilité d’exploiter des ressources naturelles dans une région afin de libérer cette région d’une aide qu’il faut renouveler sans cesse et qui la conditionne, est un signe positif.
Mais la nécessité de promouvoir une solidarité plus vaste est également apparue dans l’intervention d’un évêque qui a remarqué que même si la dette internationale de tous les pays d’Afrique était remise, l’Afrique serait encore pauvre, car elle serait toujours aux prises avec les mécanismes qui périodiquement génèrent ce même état d’endettement.

Du côté de l’unification de l’Europe il est bon par ailleurs que les populations s’unissent et que les responsables de la politique, de l’économie de l’avenir que l’on peut organiser, se concentrent autour de certains axes, de certains critères capables de donner une inspiration, une empreinte, car celle-ci manque parfois, dans le processus d’assimilation européen, une inspiration qui ne peut se réduire uniquement à celle d’améliorer le rendement. Ceci n’est pas un idéal.

Zenit : Le conseil, comme l’a proposé l’archevêque de Abuja (Nigeria) également président du SECAM, Mgr John Onaiyekan est de « changer les règles économiques » ? Il ne suffit pas de remettre la dette ou d’offrir de l’argent. Il faut ouvrir davantage les marchés à l’importation de produits venant d’Afrique, ou réduire les prix imposés aux différents médicaments…

Mgr Amédée Grab : Oui, parce que d’une part, on donne des subventions de plusieurs milliards qui sont ensuite reprises en achetant des produits venant d’Afrique à des prix tellement dérisoires que cela ne permet même pas aux gens de survivre.

J’avais abordé ce sujet avec un spécialiste qui m’avait dit : « Voilà ce qu’on a donné », avec chiffres et données à l’appui. « Oui, mais combien est-ce que nous avons reçu ensuite ? » avais-je répondu. C’est-à-dire, directement ou indirectement, quels avantages avons-nous tiré ?

Zenit : L’Union européenne établit d’une part des relations de partenariat économique en Afrique mais d’un autre côté elle déclare vouloir donner 75 millions de dollars à l’UNFPA (Fonds des Nations Unies pour le développement) qui seront ensuite investis dans les pays en voie de développement pour promouvoir la contraception, la « régulation des naissances », l’avortement. Une manière de considérer les êtres humains plus comme des bouches à nourrir que comme des bras capables de travailler et d’apporter une espérance de changement. N’y a-t-il pas une ambiguïté dans cette politique ?

Mgr Amédée Grab : Il n’est pas exclu que certains ne voient pas la contradiction ou l’absurdité de cette façon de faire et que l’idée ne soit pas toujours celle d’une philanthropie humanitaire visant à ne pas favoriser une croissance illimitée de l’humanité, afin que tout le monde puisse continuer à vivre et à manger. On retrouve cette idée, qui se base sur un concept dénaturé de charité ou de bien commun, à tous les niveaux, y compris dans la vie individuelle et privée.

Prenons l’avortement par exemple. Si, grâce à des examens médicaux on prévoit que la vie de l’enfant à naître sera terrible, remplie de souffrances, ne vaut-il pas mieux que ce dernier ne naisse pas ? Si, par conséquent, presque par charité, on empêche sa naissance, parce que dans le cas contraire ce serait le signe d’un amour moindre que d’accepter que cet être puisse vivre une vie de souffrances, on peut dire de la même manière, toujours selon cette même logique déphasée, qu’il n’est pas opportun de laisser grandir le nombre des hommes qui seront mal nourris, malades, qui auront tant de difficultés.

Mais en faisant la promotion d’une société de bonheur, de santé, de rendements assurés, on cultive en réalité non pas les valeurs de l’amour, de la vie, mais de l’égoïsme, des intérêts personnels ou collectifs.

Zenit : Parmi les propositions il y avait aussi celle d' »approfondir la responsabilité commune pour l’évangélisation, la mission, la pastorale dans la nouvelle situation d’un monde globalisé et face aux défis de la sécularisation ». Comment peut-on inculturer l’Evangile et insérer le message évangélique dans le contexte africain ?

Mgr Amédée Grab : Bah, toute culture est à évangéliser. Depuis quelques décennies, au moins depuis Paul VI, il y a ce concept d’évangéliser la culture, l’économie, etc. Je me souviens la surprise de chrétiens déjà âgés qui disaient : « C’est impossible, je ne peux évangéliser que les pe
rsonnes, comment pourrais-je évangéliser la culture ou l’économie ?"

Ceci est possible en apportant un ferment qui, à travers toutes les personnes qui accèdent à la foi, permette de développer une réflexion, une action qui précisément en recueillant les faiblesses et les lacunes de chaque système conduisent à créer selon le plan de Jésus une situation de préparation au Royaume.

Car le Royaume n’arrivera jamais dans cette vie. Le Royaume dans sa globalité, dans sa splendeur sera pour la venue de Jésus à la fin de temps. Mais en attendant, on construit, on sème. Et l’évangélisateur, en voyant ce qu’il y a de positif dans chaque culture, comme en en révélant les limites et les contradictions, fait en sorte d’apporter, à travers la lumière de l’Evangile, une amélioration.

Nous le voyons dans l’histoire de l’Eglise : saint Paul conseille aux esclaves d’obéir à leurs maîtres. Il ne prêche pas l’abolition totale de l’esclavage, mais en annonçant l’Evangile, il sème dans les cœurs et dans les intelligences, les forces qui, une fois qu’elles auront grandi, seront en mesure de vaincre complètement l’esclavage. Et ce discours vaut pour toutes les autres valeurs de la société humaine.

La famille n’est un sanctuaire nulle part sans l’Evangile. Il y a dans les religions traditionnelles africaines des valeurs très fortes qui ont garanti la continuité de la société et de la culture dans ces pays, même si elles présentaient des limites importantes. Et c’est ici que s’insère l’Evangile, en conduisant à vivre ces rapports de manière différente.

L’évangélisation tient compte du fait qu’aucun rapport humain n’est parfait en soi, ou pour des raisons d’héritage culturel, et que par conséquent tous les rapports humains doivent être purifiés et renouvelés.

(Fin de la première partie)

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ZENIT Staff

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