Discours du patriarche Bartholomée I au cardinal Barbarin en visite à Istanbul

A l’occasion des 800 ans du sac de Constantinople

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ROME, lundi 19 avril 2004 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous l’allocution que le patriarche œcuménique Bartholomée a prononcée à l’occasion de la visite du cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, à Istanbul, le 13 avril 2004.

Phanar, le 13 avril 2004

Éminence, Excellence,

La grâce de Dieu nous a réunis aujourd’hui dans la Grande Église du Christ pour échanger, comme le veut la tradition, le baiser pascal et témoigner une fois de plus de notre foi commune en la Résurrection du Christ. Célébrant le fondement de notre foi (1 Co 15,17) en cette période de festivités et de réjouissances, notre Église chante en effet : « C’est le jour de la Résurrection : soyons illuminés par la fête. Embrassons-nous les uns les autres. Appelons frères même ceux qui nous haïssent. Pardonnons tout, à cause de la Résurrection, et chantons : Le Christ est ressuscité des morts, par la mort Il a vaincu la mort, et à ceux qui sont dans les tombeaux, Il a donné la vie »[1].

L’esprit de réconciliation dans le Ressuscité qui émane de la cinquantaine pascale nous incite donc à œuvrer avec empressement à la réconciliation de nos Églises, marquées par une complexe histoire d’une longue et douloureuse déchirure. Il nous inspire à déployer tous nos efforts pour scinder le manteau déchiré du Corps du Christ et, ainsi, d’être fidèles à la prière sacerdotale de notre Seigneur et Sauveur : « Qu’ils soient un, comme nous sommes un » (Jn 17,11). Or l’unité de nos Églises s’est manifestée dans le passé par des liens fraternels qui se sont tissés dès les premiers siècles du christianisme. Nous pouvons prendre l’exemple de saint Irénée, le disciple de saint Polycarpe de Smyrne, qui vint d’Asie mineure s’établir en Gaule pour prendre soin de l’Église de Lyon. Ce fait historique nous encourage à renouveler ces liens, et nous voyons dans votre arrivée une volonté sincère de les faire fructifier. C’est pour nous une grande joie de vous recevoir, Éminence, en tant que Primat des Gaules et successeur de saint Irénée de Lyon. Vous êtes aujourd’hui accompagné par Monseigneur Gérard Daucourt, évêque de Nanterre, un ami de longue date de notre patriarcat, qui a travaillé pendant longtemps au Conseil Pontifical pour l’Unité des Chrétiens à Rome, dont il est toujours collaborateur, et qui est président du Comité pour la collaboration culturelle.

Vous accueillant dans la Grande Église du Christ en ce mardi de la semaine radieuse, nous tenons à souligner votre geste cordial empreint de l’esprit de réconciliation. Car, bien qu’illuminés aujourd’hui par la fête de Résurrection, vous avez souhaité partager avec nous la peine et les douleurs du huitième centenaire de l’événement tragique de la prise de Constantinople par les Croisés, le 13 avril 1204. Cet événement, resté à jamais marqué dans la mémoire du peuple byzantin, aggrava la déchirure du manteau du Corps du Christ que nous tâchons, avec beaucoup d’efforts, maintenant de recoudre, et instaura chez les Orthodoxes un climat de méfiance et de suspicion vis à vis de l’Église catholique.

Certes, nous devons admettre que la quatrième Croisade est un phénomène historique d’une extrême complexité, où se rencontrent à la fois des intérêts et des enjeux religieux, politiques et commerciaux. Aux sentiments très nobles, tel l’espoir de libérer des terres chrétiennes occupées par les « Infidèles », vint s’ajouter un événement tragique de l’histoire du christianisme qui allait opposer pour des siècles l’Orient et l’Occident : la prise de Constantinople par les Croisés et la fondation de l’Empire latin.

Au cours des siècles suivants, les Églises orthodoxes se tinrent le plus souvent sur la défensive, alors que l’Église catholique déploya beaucoup d’effort pour ramener les « schismatiques orientaux » à l’union à Rome. L’une des formes principales que prit cet effort fut en effet l’uniatisme qui fut toujours jugé sévèrement par les Orthodoxes.

Mais l’esprit de réconciliation est plus fort que la haine. Depuis le concile Vatican II, l’Église de Rome reconnaît que la voie de l’union ne passe pas par l’uniatisme, et cherche à reconnaître dans l’Église orthodoxe une « Église-sœur ». Illuminé par la Résurrection, le patriarche Athénagoras de bienheureuse mémoire, notre prédécesseur sur le trône œcuménique, s’empressa de reconnaître dans le pape Paul VI son frère et d’échanger avec lui, en 1964, le baiser de paix. Ce geste cordial qui demeure à ce jour un événement mémorable, leva non seulement les anathèmes jadis promulgués mutuellement entre nos Églises en 1054, mais scella de nouveau nos deux Églises séparées depuis l’événement tragique de 1204 dans l’esprit de réconciliation. A ce geste, nous associons aujourd’hui le vôtre qui est empreint du même esprit.

Bien chers frères en Christ ! Illuminés par la fête de Pâque et remplis de l’esprit de réconciliation, nous devons cependant tirer une leçon de l’histoire. Le huitième centenaire de la prise de Constantinople par les Croisés doit nous amener à bien mesurer chaque action que nous comptons entreprendre aujourd’hui.

En vous priant d’œuvrer et de témoigner au sein de votre propre Église, nous accueillons avec gratitude et respect votre geste cordial pour que l’événement tragique de la quatrième Croisade ne soit plus une pierre d’achoppement entre nos Églises et ne serve pas de modèle à d’autres actions encore plus périlleuses. La France a toujours été un pionnier dans les relations et la collaboration entre nos deux Églises sœurs, et la présence de notre Église, qui œuvre à travers l’Assemblée des Évêques Orthodoxes ainsi que l’Institut Saint-Serge, doit beaucoup au soutien et à l’accueil fraternel de l’Église catholique locale. Nous souhaiterions que ce même climat puisse continuer à illuminer les chrétiens de votre pays dans cette marche commune vers l’unité.

Illuminés par la Résurrection du Christ, œuvrons ensemble à la réconciliation en tant que frères. En ce sens, nous prions le Seigneur Ressuscité de guérir les plaies de l’Église qui est Son Corps. Quant à nous, embrassons-nous les uns les autres dans la joie de la Résurrection. L’Europe occidentale et l’Europe orientale — les deux poumons de la chrétienté pour reprendre l’expression du pape Jean Paul II — doivent cesser de se considérer comme étrangère l’une à l’autre. L’Europe de demain doit savoir s’inspirer de l’empire chrétien des premiers siècles et saint Irénée de Lyon nous en donne un bon exemple. Tâchons de porter un témoignage commun du christianisme dans cette Europe qui se construit et qui s’apprête à accueillir de nouveaux membres avec une perspective d’entraide à notre pays, la Turquie.

Pardonnons tout, à cause de la Résurrection, et chantons le Seigneur Ressuscité, car l’unité de nos Églises ne doit pas se faire avec précipitation, mais à travers le renforcement du travail du dialogue théologique et des circonstances que nous révélera la Providence divine.

Éminence, Excellence, soyez les bienvenus au centre de la Grande Église du Christ, et en cette journée historique marquée par votre initiative cordiale, nous vous assurons de notre confiance et de nos prières pour l’évolution fructueuse du dialogue entre nos Églises en quête d’unité.

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ZENIT Staff

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