Discours du cardinal Barbarin au patriarche Bartholomée Ier

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ROME, lundi 19 avril 2004 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le discours que le cardinal Barbarin a adressé au patriarche Bartholomée Ier lors de sa visite à Istanbul, le 13 avril dernier, à l’occasion des 800 ans du sac de Constantinople.

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Sainteté
Soyez chaleureusement remercié des paroles si belles et fortes que vous venez de nous adresser. Dans la joie de Pâques, je me réjouis sans réserve de saluer en vous un frère très cher et profondément respecté. « Que le Seigneur vous donne toujours sa grâce et la paix ! ». C’est avec émotion et aussi avec la liberté qu’autorise la proximité familiale que je m’adresse à vous.

Avec Mgr Gérard Daucourt, évêque de Nanterre et membre du Conseil Pontifical pour l’Unité des chrétiens, j’ai souhaité vous faire visite et prier avec vous aujourd’hui. En me rendant auprès de vous, j’entends résonner, parmi les phrases de l’Evangile, cette prière de Jésus choisie comme devise épiscopale : « Qu’ils soient un ». Je sais que nos deux diocèses se joignent à notre prière et à celle du Seigneur pour que les chrétiens soient unis. A Lyon, le souci de l’unité est très ancien, vécu avec générosité, porteur de beaux fruits, parfois aussi marqué de maladresses. Le second concile général de Lyon n’a pas vu son œuvre se prolonger durablement. L’initiative du prêtre lyonnais Paul Couturier, qui suscita au 20e siècle la Semaine d’universelle prière pour l’unité des chrétiens, a eu un écho vaste et durable.

Aujourd’hui, en France, nous pouvons nous réjouir de la qualité des relations entre catholiques et orthodoxes. Le comité mixte catholique-orthodoxe mène dans la paix d’intéressants travaux qui porteront du fruit. C’est une joie pour nous que le Métropolite Emmanuel représente votre Sainteté en France ; joie à cause de sa compétence, joie aussi parce qu’il aime notre Eglise et la connaît de l’intérieur, ayant été l’hôte du Comité catholique de collaboration culturelle. Nous avons apprécié qu’il ait accepté cette année de donner une des conférences de Carême à Notre-Dame de Paris, à l’invitation du Cardinal Jean-Marie Lustiger.

Nous venons précisément à Constantinople en ce jour qui est le 800e anniversaire d’un événement dramatique, celui du sac inhumain de la ville par des chrétiens latins partis pour assurer le libre accès au tombeau du Christ. C’est une profonde blessure que les chrétiens d’Occident ont infligée à leurs frères de la ville impériale, pont entre l’Europe et l’Asie, témoin de plusieurs conciles œcuméniques et, depuis longtemps, bastion de la chrétienté en Orient. Il faut confier cette offense irréversible à la miséricorde de Dieu.

Cet événement manifeste la puissance de division dont le péché peut nous rendre capables et, en même temps, nous livre à la puissance sans limite de la grâce du Ressuscité, en qui la vie est plus forte que la mort, l’amour plus fort que la haine. C’est Lui qui nous donne aujourd’hui de goûter déjà la « fraternité retrouvée » dont parle le Pape Jean-Paul II dans sa belle encyclique sur l’unité des chrétiens, « Ut unum sint ».

Des frères peuvent se déchirer, ils restent frères.
Lyon est la ville où fut évêque saint Irénée, un chrétien venu de l’Asie Mineure. Nanterre est la patrie de sainte Geneviève et nous savons les liens de communion entre elle et saint Syméon le Stylite. Constantinople évoque pour nous la riche diversité dans ce corps qu’est l’Eglise du Christ. Cette ville nous réjouit par ce qu’elle nous fait découvrir ou retrouver, par tout ce qu’elle vit depuis l’origine. C’est le Christ ressuscité qui fait de nous des frères : « Il y a un seul Corps et un seul Esprit…Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous » (Eph. 4,4-5). Et ce lien est indestructible.
Pourtant, entre Rome et Constantinople, depuis tant de siècles, que de tensions, de reproches, fondés ou non ! Les Latins n’ont pas su éviter d’infliger humiliations et offenses, culminant dans ce drame effroyable que nous commémorons aujourd’hui. Des difficultés demeurent aujourd’hui entre catholiques et orthodoxes, même après l’heureuse levée des excommunications. Il y a des orientations théologiques dont l’élucidation doit être reprise ; il reste sans doute une grande méconnaissance mutuelle, et des méfiances. Tout cela manifeste un certain dysfonctionnement des deux poumons de l’Eglise. Pour que le corps du Christ retrouve unité et pleine santé, il nous faut rester déterminés à nous écouter mutuellement avec humilité ; il nous faut avoir la simplicité et le courage de nous reprendre ou de nous corriger fraternellement, quand l’Esprit-Saint nous le suggère.
Même s’il est meurtri, le corps du Christ n’est pas pour autant mutilé et privé d’un organe essentiel, le cœur qui bat. Le sang d’une même grâce baptismale, d’une même charité, coule aux artères et irrigue le corps entier. Notre communion est sans doute plus profonde et plus proche d’éclore que nous ne l’imaginons.

Pourquoi cela n’apparaît-il pas ? Dieu éprouve-t-il notre patience, pour venir à bout de nos résistances ? Prend-il le temps de réduire nos inerties ? Vérifie-t-il notre générosité en même temps que notre entière disponibilité à sa grâce ? Je le crois : lorsque nous avançons ensemble, le Christ ressuscité marche avec nous comme sur la route d’Emmaüs, prêt à changer en joie ce qui reste de notre tristesse.
Sainteté, nous avons bien entendu votre récent avertissement, clair et vigoureux : « Н αρχη του σχισματος τo κοσμικο φρoνημα εν τη Εκκλησια : la racine du schisme, c’est une pensée mondaine dans l’Eglise ». Nous savons l’engagement spirituel pour une vraie conversion que cela implique. Avec et à la suite de tant de chrétiens, nous désirons profondément vivre un jour heureusement dans l’unité et manifester clairement notre communion. Nous voudrions que cela se réalise rapidement et qu’il n’y ait plus de difficultés. Mais nous sentons que notre désir ne suffit pas pour surmonter les obstacles qui nous empêchent de vivre pleinement la charité.
Beaucoup d’efforts ont déjà été déployés en vue d’une pleine communion entre orthodoxes et catholiques, des ponts ont été créés entre nos deux Eglises-sœurs. Nous pouvons rendre grâce pour ce que le Seigneur a rendu possible. Nous avons en tête bien des gestes humbles et beaux, par-delà les réticences qui ont parfois déçu. Nous pouvons aussi mentionner les moments étonnants et décisifs que le Seigneur nous a donnés, la mémorable rencontre du Patriarche Athénagoras Ier avec le Pape Paul VI, suscitée par une vision prophétique qu’il nous faut retrouver. Les visites réciproques qui vous ont permis de rencontrer le Pape Jean-Paul II rétablissent la proximité des apôtres frères, Pierre et André. Je rends grâce aussi particulièrement pour cette visite fraternelle que vous avez rendue possible aujourd’hui.

Je pense que vous n’en disconviendrez pas : nous devons continuer à travailler en ce sens, mais surtout attendre, dans la supplication, toute avancée, comme un don de Dieu. Le Seigneur Dieu, Père des miséricordes, après nous avoir déjà assurés par mille signes de sa puissance de réconciliation, mais aussi après avoir pris le temps des longues préparations et désarmé notre suffisance, saura nous étonner par des cadeaux que nous n’imaginons pas et qui seront sans proportion avec nos pauvres énergies. C’est la merveille que le Ressuscité veut faire, peut faire, fera en son Eglise par l’illumination du Saint-Esprit et la splendeur de sa grâce. C’est notre espérance.
Christ est vraiment ressuscité ! Alléluia !

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ZENIT Staff

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