"L’Europe des Nations : Histoires, Cultures, Religions", par Mgr Follo

Colloque à l’UNESCO

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CITE DU VATICAN, vendredi 21 mars 2003 (ZENIT.org) –  » L’Europe des Nations : Histoires, Cultures, Religions « , sous ce titre, Mgr Francesco Follo, représentant du Saint-Siège à l’UNESCO, a souligné à la fois « la contribution du christianisme et des autres religions » à la construction de l’Europe, et « la dialectique entre modernité et christianisme » dans l’Europe d’aujourd’hui.

Le sous-titre de son intervention, le 4 mars, lors d’un colloque sur l’Europe organisé par sa délégation à l’UNESCO était: « L’affirmation de la vérité exalte la liberté personnelle et celle des autres : L’Europe, son histoire et son avenir ».

Mgr Follo faisait en particulier remarquer: « L’indifférentisme commence de façon presque imperceptible, par l’invitation, adressée aux hommes religieux, à rester tranquilles et pacifiques dans la sphère du privé individuel; ensuite, cela se reflète inexorablement dans des choix politiques très précis. La dimension de la société publique dont le but par nature est d’assurer aux individus et aux communautés intermédiaires la possibilité d’exprimer la créativité qui surgit de l’intersection de vérité et de liberté, constitutive de l’expérience humaine, est ainsi substituée par une série d’apparats bureaucratiques et institutionnels. Le cadre social qui en résulte est raidi par une séquence interminable de lois plus ou moins importantes, promulguées au nom de la liberté, mais fondées de fait sur le principe erroné selon lequel  » Il est interdit d’interdire . » Ceux qui supportent l’indifférentisme sécularisé commencent par confondre la société civile et l’Etat, pour arriver ensuite à affirmer que le caractère non confessionnel de l’Etat exigerait l’insignifiance absolue des religions sur le plan social ».

– Intervention de Mgr Follo –

La contribution du christianisme et des autres religions.

« Tout historien attentif et objectif sait qu’en fonction de modalités différentes selon les peuples et les nations, l’élément religieux appartient à l’ADN de cette réalité géopolitique que l’on appelle aujourd’hui l’Europe.

Le polythéisme du monde gréco-romain, la révélation judéo-chrétienne, l’islam et les nouvelles réalités religieuses ont engendré et engendrent encore en Europe des vicissitudes religieuses et socio-politiques qui s’entrelacent d’une manière tellement étroite qu’elles ne sont pas séparables de fait. De plus, comme nous le verrons dans les différentes interventions qui vont suivre, jusqu’au début de l’époque contemporaine, l’élément religieux a constitué, de fait, la racine du lien social. Par exemple, à l’époque classique, la ductilité du polythéisme grec qui était efficacement soutenue par le droit romain, a permis le phénomène de la cohabitation et de l’intégration de peuples différents à l’intérieur de l’empire. Plus tard, au moment de la crise socio-politique provoquée par la chute de l’Empire romain, c’est l’impulsion de la nouveauté chrétienne qui est devenu le principe d’intégration socioculturelle pour toute l’Europe. En effet, en Occident, le christianisme

a servi de catalyseur et a favorisé ainsi l’unité entre les peuples dits barbares et les populations romaines, ce qui a créé cette synthèse politique et culturelle qui fut le Saint Empire Romain-Germanique. En Orient, le christianisme a pu faire en sorte que les populations slaves entrent dans une nouvelle forme de civilisation, que l’on appela byzantine, et qui dessina le tissu social de l’Europe centrale et orientale durant au moins un millénaire. C’est toujours le christianisme, dans son rapport dialectique avec l’islam, qui contribua de manière substantielle à consolider l’identité européenne. La révolution géographique du XVe siècle, liée principalement à la découverte de l’Amérique, a donné le départ à une rencontre-choc avec des civilisations et des cultures irréductiblement  » autres  » par rapport à celles de l’Europe de cette époque. Toutefois, même si cette révolution mettait en discussion le lien entre expérience religieuse, conception anthropologique et dynamique de la vie sociale, cette révolution n’a pas empêché le monde européen de maintenir un rapport structurel avec sa propre physionomie religieuse originaire et d’approfondir l’identité européenne en elle-même.

Ce rapport structurel était encore existant au XVIe siècle, lorsque l’affirmation croissante des monarchies nationales et l’avènement du protestantisme obligèrent à remettre en discussion, souvent de manière dramatique et contradictoire, les termes du lien entre expérience religieuse et vie sociale qui ont débouché sur le principe juridique et institutionnel de  » Cuius regio, illius et religio . » Ce principe a été et, il me semble qu’il est encore utilisé aujourd’hui, par les différents Etats qui se sont transformés en  » religions séculaires  » pour justifier les prétentions de vérité.

Après la fin de l’époque des idéologies, le poids singulier de l’islam et la naissance de nouvelles réalités religieuses dans l’Europe multiculturelle d’aujourd’hui sont suffisants pour démentir la prévision selon laquelle la religion serait destinée à disparaître dans le monde contemporain. Toujours selon cette prévision, sur le plan social, le processus de sécularisation devait donner naissance à un  » monde mondain « , alors que nous assistons à une véritable explosion sauvage du sacré.

La dialectique entre modernité et christianisme :

« En tout cas, il n’est pas possible de nier le rapport dialectique entre modernité et christianisme. Je vais détailler brièvement les deux pôles de cette dialectique.
Le premier pôle, celui de la modernité, nous fait dire avec une grande sérénité que la modernité a imposé une distinction salutaire et nécessaire entre société civile et dimension religieuse de l’expérience.
Le second pôle nous porte à affirmer que, si la modernité européenne a pu obliger l’expérience religieuse à être d’une certaine manière plus authentique, elle l’a fait justement grâce à la nature du noyau essentiel et toujours vivant du christianisme. Je souligne que ce noyau nous a été confié (de Jérusalem à Rome) par la  » traditio  » chrétienne qui n’a jamais été interrompue. Pour cette raison, elle continue de représenter un héritage décisif pour toute l’Europe d’aujourd’hui.

Où se trouve le cœur du fait chrétien ? Dans la décision de la Vérité transcendante (le Dieu Trinité) de se communiquer à l’homme de manière gratuite, vivante et personnelle. Par l’Incarnation, le Dieu Un et Trine se propose, dans son absolu, sans crainte, de passer par l’humain. C’est de ce don que naît la vision singulière du rapport entre vérité et liberté qui a marqué et qui marque encore de manière indélébile la civilisation européenne occidentale, au point d’en être l’emblème distinctif. Dans la personne et dans les vicissitudes historiques du Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité pour nous, nous pouvons voir comment la Vérité, sans rien perdre de son caractère absolu, a choisi le chemin de la liberté humaine pour se rendre présente dans l’histoire. Plus la Vérité se communique, plus la liberté est interpellée. Plus la Vérité se propose, plus la liberté est provoquée. Et en s’offrant, la Vérité arrive au point de se faire crucifier par la liberté. Sa victoire dans la Résurrection est glorieuse, parce qu’elle a coûté cher.

De cette manière, le principe de la différence dans l’unité vécu dans le mystère de la Trinité, se transpose, grâce à l’Incarnation, dans l’histoire, et devient, selon la loi de l’analogie, principe de compréhension et de valorisation de toute différence. Celle-ci n’est pas seulement tolérée, mais exaltée, parce qu’elle est maintenue en unité par cette Vérité qui atteint la limite extrême de l’expérience humaine, empêchant que même la différence la plus r
adicale dégénère en facteur de dissolution plus ou moins violente. N’est-ce pas dans un pareil rapport où la vérité et la liberté s’embrassent que la distinction nécessaire et bénéfique entre société civile et dimension religieuse a pris naissance ? et ce, malgré toutes les erreurs, et les contradictions?

C’est précisément dans ce cadre qu’ont pu se développer également la pratique et la théorie de la démocratie en tant que cohabitation libre et ordonnée de citoyens, de corps intermédiaires et de peuples qui donnent vie à une société civile correctement servie par l’Etat. De ce point de vue, sans la référence objective à l’expérience chrétienne, les périodes moderne et post-moderne ne peuvent pas être comprises au-delà de toutes les difficultés historiques qui ont surgi en Europe dans le rapport entre les différentes confessions chrétiennes et les Etats nationaux.

Le principe de la différence dans l’unité peut aussi assurer pour l’avenir de l’Europe une démocratie réelle, capable non seulement de répondre à l’actuel défi multi-culturel et multi-religieux, mais aussi de faire de ce nouveau visage du continent une ressource de civilisation. Cette affirmation n’a rien de nostalgique et n’implique absolument pas la restauration de modèles de  » chrétienté  » irrémédiablement passés. Voilà donc quelques considérations à ce sujet. Je commencerai par dire qu’une telle vision de la dimension religieuse de l’Europe doit libérer le camp de deux risques graves qui se sont réalisés dans le passé. Je fais référence, d’un côté, à la tentation de l’indifférentisme religieux et, de l’autre, à celle de l’affirmation intégriste de cette même foi, inévitablement intolérante envers ceux qui ne la partagent pas.

« L’indifférentisme commence de façon presque imperceptible, par l’invitation, adressée aux hommes religieux, à rester tranquilles et pacifiques dans la sphère du privé individuel; ensuite, cela se reflète inexorablement dans des choix politiques très précis. La dimension de la société publique dont le but par nature est d’assurer aux individus et aux communautés intermédiaires la possibilité d’exprimer la créativité qui surgit de l’intersection de vérité et de liberté, constitutive de l’expérience humaine, est ainsi substituée par une série d’apparats bureaucratiques et institutionnels. Le cadre social qui en résulte est raidi par une séquence interminable de lois plus ou moins importantes, promulguées au nom de la liberté, mais fondées de fait sur le principe erroné selon lequel  » Il est interdit d’interdire . » Ceux qui supportent l’indifférentisme sécularisé commencent par confondre la société civile et l’Etat, pour arriver ensuite à affirmer que le caractère non confessionnel de l’Etat exigerait l’insignifiance absolue des religions sur le plan social.

En conclusion :

« Pour cette raison, il est urgent de protéger la vérité de l’expérience religieuse contre la tentation de l’intégrisme qui révèle toujours la prétention idéologique d’instrumentaliser les religions. Une vigilance et une responsabilité particulières sont demandées aux hommes de religions parce que ce risque est parfois inscrit dans les religions en elles-mêmes. Dans ce contexte, les disciples des différentes religions, fidèles à la vraie nature de leur propre expérience, éviteront de céder aux charmes de l’indifférentisme sécularisé, d’un côté, et de l’autre côté, veilleront à toute dérive idéologique ou utopiste. Ils pourront ainsi promouvoir la liberté religieuse dans toutes les situations dans lesquelles ils opèrent, tant en Europe qu’au-delà de ses frontières. Il me semble que l’on peut reconnaître une valeur ultérieure à cette contribution spécifique des religions. De plusieurs côtés, nous entendons des rappels pour éviter la construction d’une Europe sans épaisseur qui aurait une seule et unique dimension, celle de l’économie. Dans ce contexte, les expériences religieuses, précisément à cause de leur capacité spécifique à aborder le thème du rapport entre vérité et liberté, se révèlent être de véritables foyers de vie culturelle et sociale. Cette activité constitue un puissant antidote contre le danger, toujours présent, d’une réification des peuples. D’ailleurs, en observant attentivement, la vie des Eglises et des communautés religieuses des différentes nations européennes se présente comme un chemin riche de fruits. Il suffirait de regarder les nombreuses institutions religieuses qui ont contribué à la construction de l’Europe et celles qui sont en première ligne dans la lutte contre la marginalité et la dégradation. Ce colloque se propose d’offrir son concours pour qu’il soit possible en Europe de garder et de promouvoir une conception et une expérience humaine dont le cœur est le rapport entre vérité et liberté, qui a surgi dans son sein à partir de la tradition judéo-chrétienne, puis en fécond dialogue avec les traditions islamique et bouddhiste ».

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ZENIT Staff

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