Un exemple de recherche exclusive de Dieu : la vie monastique

Entretien avec Sr Marie-Bernadette Y. de Maigret, abbesse de l’Abbaye Sainte-Cécile de Solesmes

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ROME, lundi 17 mars 2003 (ZENIT.org) – En ce temps carême, temps privilégié de recherche de Dieu, à travers la prière, le jeûne, la pénitence, pour se préparer à célébrer la résurrection du Christ, les moniales de l’Abbaye Sainte-Cécile de Solesmes proposent leur témoignage aux lecteurs de Zenit. Un témoignage de « recherche exclusive de Dieu ».

Q. – Vous êtes moniales bénédictines de l’Abbaye Sainte-Cécile de Solesmes. Pouvez-vous nous préciser ce que ces termes désignent, en particulier, le titre de “moniale” ?
R. – Être “ moniale ”, dans l’Église, c’est appartenir à une forme de vie religieuse consacrée à la recherche exclusive de Dieu : la vie “monastique.” Être moniale “ bénédictine ”, c’est, au sein d’une communauté “monastique”, se rattacher à la descendance spirituelle de Saint Benoît, patriarche des moines d’Occident. Faire partie de la famille bénédictine de l’Abbaye Sainte-Cécile de Solesmes, c’est être membre de la Congrégation de Solesmes qui regroupe, dans une même interprétation de la Règle de Saint Benoît, d’assez nombreuses Abbayes de moines aussi bien que de moniales, en France comme à l’étranger.

Q. – Qu’est-ce qui caractérise l’appel à la vie monastique ?
R. – C’est la force intérieure véhémente qui pousse une personne à tout quitter pour suivre le Christ dans la solitude et le silence, l’ascèse et la louange, sans autre projet que celui de répondre à son amour.

Q. –Pourriez-vous situer Saint Benoît, dont vous suivez la Règle, dans la tradition du monachisme chrétien ?
R. – Enraciné dans l’Écriture, le monachisme chrétien a fleuri, après les grandes persécutions romaines, dans les déserts d’Égypte, de Syrie, de Palestine, et en Cappadoce. Saint Benoît lui-même, au chapitre 73e de sa Règle, se réfère à Saint Basile, et fait allusion à Cassien et aux Pères du désert. La “Règle des moines”, écrite au VIe siècle en Italie par Benoît de Nursie, s’est imposée au IXe siècle dans toute l’Europe médiévale. C’est un petit écrit, fort peu volumineux, qui trace les lignes essentielles de la recherche de Dieu dans le combat spirituel d’un “désert” vécu en commun.
La vie monastique fut la seule forme de vie religieuse dans l’Église, tant en orient qu’en occident, jusqu’à l’apparition au XIIIe siècle, en occident, des premiers ordres mendiants. En fait, les “Règles” et coutumes des innombrables monastères qui peuplaient le monde chrétien, se différenciaient, à partir d’un fond commun, en s’adaptant aux conditions de temps et de lieux.

Q. – Donc, à Solesmes, en suivant la Règle de Saint Benoît, dans quelle ligne l’interprétez-vous ?
R. – Nous héritons du mouvement de renouveau du monachisme bénédictin, entrepris au XIXe siècle par notre Père Dom Guéranger, dans les bâtiments de l’ancien Prieuré Saint-Pierre de Solesmes, – qui s’apprête à fêter son millénaire en l’an 2010. (cf www.solesmes.com )

Q. – Et quels sont les aspects particuliers à cette restauration monastique ?
R. – Après la disparition, en France, des ordres religieux depuis la Révolution, Dom Guéranger, avec un génie prémonitoire, a participé à la redécouverte occidentale au XIXe siècle, du riche patrimoine ecclésial patristique, liturgique, et monastique, commun à l’Église universelle. Il a su, notamment par ses études de liturgie comparée, par ses recherches dans l’ancienne Europe monastique des manuscrits de chant “grégorien”, renouveler une antique tradition monastique, consacrée à la louange divine et à l’adoration, dans la beauté du culte et de la liturgie des Heures.

Q. – Quel est, justement, l’apport spécifique du chant grégorien dans votre vie de prière ?
R. – Il nous ouvre à la contemplation de la Parole de Dieu vécue par des générations de moines au cours des siècles. Il nous unit au chant d’amour de l’Église Épouse.

Q. – Pourriez-vous parler de la branche féminine de votre Congrégation ?
R. – Notre première Abbesse, Mère Cécile Bruyère, fut, encore enfant, formée directement par Dom Guéranger, qui la prépara à sa première communion. Elle est la pierre de fondation de notre communauté, établie en 1866, dont elle fut promue abbesse à 24 ans. À l’instar de son père spirituel, Mère Cécile fut avant tout fille de l’Église, chantre des merveilles de Dieu, et guide spirituel rayonnante. L’afflux des vocations la conduisit à entreprendre des fondations : à Wisques en Artois dès 1889 ; puis, en Bretagne, : à “Kergonan”. Les lois anticléricales de 1901 entraînèrent le départ en exil des trois communautés. Pour les moniales de Sainte-Cécile, cet exil se prolongea vingt et un ans. Mère Cécile mourut le 18 mars 1909 en Angleterre, où l’abbaye qu’elle avait fondée à Ryde est toujours vivante. Plus Wisques répondit à l’appel du Québec, au Canada, qui à son tour essaima aux États-Unis dans le Vermont. Enfin, pour répondre à l’appel du dernier Concile, Sainte-Cécile a fondé au Sénégal en 1970 et à la Martinique en 1977.

Q. – Comment pourriez-vous résumer la démarche spirituelle propre au choix de vie à Sainte-Cécile ?
R. Le texte d’un chant de notre rituel de consécration répondra à votre question ; c’est, au livre du Prophète Daniel, la prière d’Azarias, l’un des trois jeunes gens qui marchaient dans la fournaise ardente en louant le Seigneur, : « Et maintenant, nous mettons tout notre cœur à Te suivre, à Te ‘craindre’, et à rechercher Ta Face ! ». Il s’agit bien sûr de cette ‘crainte’ biblique révérencielle, proche de l’adoration. Nous marchons en chantant, fascinées par la Beauté du Visage du Christ, Icône du Père, contemplée dans l’Écriture, dans le visage de nos sœurs et frères humains, dans la vie liturgique et sacramentelle, mais aussi dans les événements, parfois ténébreux, du monde qui nous entoure.
Nous cheminons en caravane dans le “désert” vers les points de Source vive : le désert est le lieu des combats décisifs, il est aussi le lieu des fiançailles de Dieu avec son peuple. Nos clôtures ne sont que l’expression ‘incarnée’ de cet espace spirituel où se vit notre aventure de consacrées à un Dieu d’Amour, de Lumière et de Réconciliation.

Q. – Et concrètement, que faites-vous ?
R. Hé Bien, nous vivons ! Comme les autres chrétiens, nous mangeons, dormons, travaillons de nos mains ; nous étudions, méditons, vaquons aux besoins de notre communauté de 55 moniales s’étageant de 28 à 93 ans ; nous accueillons spirituellement ou plus matériellement les personnes qui s’adressent à nous ; nous nous rassemblons entre sœurs pour échanger, ou nous détendre. Comme les autres chrétiens aussi, mais sans doute autrement, nous prions, nous louons Dieu, nous le bénissons, et célébrons ses bienfaits en accomplissant la grande liturgie de l’Église, source de notre vie.

Q. – Comment concevez-vous, au XXIe siècle, la transmission de ces valeurs de votre passé monastique ?
R. – En restaurant la vie monastique au XIXe siècle, nos fondateurs de Solesmes l’ont traduite dans la culture et la civilisation de leur époque : cette culture humaniste du latin et du grégorien propre à l’ancienne liturgie romaine.
Ce fut d’ailleurs l’apport difficile – et vital, d’une certaine manière, – de Dom Guéranger à l’Église de France, de retrouver, au sein des tendances gallicanes de son temps, les sources romaines du patrimoine catholique de notre foi ecclésiale. De cela aussi, nous avons hérité. Nous avons bien conscience aujourd’hui qu’il nous échoit d’incarner ces valeurs dans un contexte culturel et humain très différent. Le grand événement du Concile Vatican II – dont nous
n’avons pas fini de scruter les richesses et les perspectives de vrai renouveau – nous y engage et nous y encourage sans cesse, par la voix de notre très aimé Saint-Père, Jean-Paul II. Mais pour avancer sur ce chemin d’une renaissance spirituelle continue à partir de nos valeurs propres, il nous faut pouvoir entrer en dialogue avec les générations montantes. Or, leur langage est parfois différent ou recouvre, sous les mêmes mots, d’autres valeurs. La culture, en tout cas, ou l’absence de culture, voire “l’anti-culture” ambiante, peuvent créer de réels obstacles à ce dialogue. Cette constatation s’applique aussi aux contextes variés des pays d’implantation monastique où nous avons essaimé.

Q. – Comment pallier à ces écarts de mentalités auprès des jeunes filles qui s’intéressent à votre vie ?
R. – Le temps d’initiation et de probation offert aux jeunes candidates à la vie monastique, est un temps de connaissance mutuelle et de préparation humaine et spirituelle ; il fut toujours jugé nécessaire dans l’Église pour la vie religieuse, comme pour des fiançailles ; il est actuellement précédé par deux ou trois stages, de durée variable suivant les cas, en clôture. Un engagement libre de tout soi-même et de toute sa vie dans l’aventure contemplative à la suite du Christ ne saurait se faire à la légère ou se baser sur des malentendus. Toutefois les difficultés liées à ce qu’on appelle “l’inculturation”, constituent sûrement un défi particulier en nos temps de rapides mutations, de brassages de populations, voire de “mondialisation”. C’est une situation générale à laquelle toute la société humaine se trouve confrontée. Nous y réfléchissons, bien sûr, dans nos communautés monastiques.

Q. – Ce défi renforce, peut-être, la nécessité d’une durée et d’une qualité plus grandes de la formation ?
R. – Certes : « C’est le temps que tu as consacré à ta rose qui lui donne son prix », dit en substance le renard au “Petit Prince”.

Q. – Cela est vrai de tout engagement social ou humain, même en dehors des cloîtres : il faut du temps pour se connaître mutuellement, mais il faut aussi le désirer.
R. – En effet, car notre religion est celle d’une vie en ‘communion’, qui s’origine et aboutit à la Vie mystérieuse et divine de la Trinité Sainte, Vie à laquelle tout croyant est appelé à participer. Il est bon, à la fin de cet échange, d’apercevoir ensemble le terme de nos marches convergentes : nous avons fait le premier pas sur le chemin de la rencontre.

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ZENIT Staff

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