CITE DU VATICAN, Jeudi 6 mars 2003 (ZENIT.org) – Le pape Jean-Paul II vient de rouvrir un chapitre qu’il disait clos désormais, lors d’une conversation avec des proches, pendant ses vacances montagnardes dans les Alpes, révèle le directeur de la salle de presse du Saint-Siège, M. Joaquin Navarro Valls.
En effet, entre son voyage en Pologne en août dernier et Noël 2002, Karol Wojtyla a repris sa plume de poète, précise la même source, lors de la conférence de presse de présentation de cette oeuvre exceptionnelle à tous égards.
Une présentation exceptionnelle aussi puisque les chefs de dicastères de la curie romaine avaient été conviés à la présentation de « Triptyque romain » qui, écrit en polonais, reflète aussi l’expérience romaine du pape Wojtyla dans une subtile alliance de la polonitude intacte et de la romanité la plus profonde.
C’est en effet la première oeuvre poétique signée Jean-Paul II: elle s’intitule « Triptyque romain » et Karol Wojtyla, pour la première fois, n’utilise pas de pseudonyme pour publier le recueil de méditations contemplatives et visionnaires.
Le pape y brise un tabou en évoquant le prochain conclave: « après ma mort », écrit-il.
Mais donnons d’abord la parole au poète, comme l’a fait le cardinal préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, Joseph Ratzinger qui présentait ce matin le recueil à la presse.
L’acteur italien Nando Gazzolo, qui en a lu des extraits, à commencer par ce début du troisième volet du triptyque: « Au pays du Mont Moriyya ».
« Ur en Chaldée
Pourquoi aujourd’hui cherchons-nous
ce lieu en terre de Chaldée,
d’où est parti Abram, fils de Thérah,
accompagné d’autres nomades, ses semblables?
Peut-être pensait-il: pourquoi dois je partir d’ici?
Pourquoi dois-je quitter Ur en Chaldée?
Pensait-il ainsi? Etait-il envahi par la tristesse de la séparation?
Regardait-il en arrière?
Nul ne sait. Nous savons seulement qu’il entendit la Voix
qui lui disait: Pars!
Et Abram décida de suivre la Voix.
La Voix disait: D’une multitude de nations, tu deviendras le père, ta descendance sera aussi nombreuse que les grains de sable au bord de la mer.
Comment – pensait Abram – une telle promesse peut-elle se réaliser alors que la nature m’a refusé le don de la paternité?
Mon épouse, que j’aime depuis les jours de ma jeunesse, ne m’a donné aucun fils. Nous en souffrons tous deux.
La Voix pourtant, disait: Tu deviendras père.
D’une multitude de nations, tu deviendras le père. Ta descendance sera aussi nombreuse que les grains de sables au bord de la mer ».
Nando Gazzolo continuait à offrir cette contemplation de l’hospitalité d’Abram, la conversation entre père et fils au mont Moryyia, et de l’Alliance scellée avec Abraham.
Il n’échappe à personne que Ur, aujourd’hui, est un champ de ruines, en Iraq, et que le pape a dû renoncer à son pèlerinage là-bas en l’an 2000. Mais plus loin que l’anecdote, Karol Wojyla évoque ce mystère de la paternité, à partir de celle d’Abraham, le mystère du Sacrifice du Fils, de l’Agneau, et le mystère de la Foi.
C’est donc une méditation qu’offre le pape, et aussi une vision.
C’est particulièrement perceptible dans le second panneau du triptyque où le pape médite sur la création et les fresques de Michel Ange dans la Chapelle Sixtine (cf. texte intégral dans « premier plan »).
Le pape évoque en particulier cette fameuse année 1978, celle des trois papes et des deux conclaves celui d’août après la mort de Paul VI, et celui d’octobre, après la mort de Jean-Paul Ier, après 33 jours de pontificat.
Jean-Paul II va jusqu’à évoquer le conclave prochain, « après ma mort », écrit-il, brisant ainsi un tabou: à Rome, on ne parle pas, par respect pour le Souverain pontife, de son Successeur. Le pape Wojtyla fait voler en éclat un tel tabou, il se place du point de vue de cette éternité qu’évoque le magistral Jugement dernier que Michel Ange a placé sous les yeux des cardinaux électeurs, auxquels le pape adresse indirectement cette subtile méditation.
« Il est indispensable que la vision de Michel Ange leur parle.
Con-clave souci commun de l’héritage des clefs, des clefs du Royaume.
Ici, ils se voient entre le Commencement et la Fin,
entre le Jour de la Création et le Jour du Jugement… »
Il conclut: « Il est clair que durant le conclave, Michel Ange rend les hommes conscients –
N’oubliez pas : Omnia nuda et aperta sunt ante oculos Eius.
(« Toutes choses sont nues et ouvertes sous le regard de Dieu », ndlr)
Toi qui scrutes tout – Montre!
Et Lui te montrera… »
« Le Pape s’adresse aux Cardinaux du Conclave à venir, commentait le cardinal Ratzinger, de celui -écrit-il- qui « suivra ma mort », se permettant de leur parler de la vision de Michel-Ange. Le mot Conclave impose l’idée des clefs, de l’héritage des clefs confiées à Pierre. Placer ces clefs en de bonnes mains sera une immense responsabilité ces jours-là ».
La Paternité, l’Election, la Création: autant de pans de vie du poète lui-même, de confidences, en filigrane, sous le regard de ce « Verbe » qui est « un visage », centre de l’histoire, mais aussi Commencement et Fin.
En remontant à contre courant, comme le pape lui-même y invite par cette oeuvre, nous arrivons au premier volet du tableau.
« La première partie de l’oeuvre reflète, expliquait le cardinal Ratzinger, l’expérience de Jean-Paul II face à la création, sa beauté et son dynamisme. Elle propose des images des montagnes et des forêts, et plus encore de l’eau qui court vers la vallée: « la cascade argentée du torrent qui, des hauteurs, tombe en un rythme harmonieux » … » . Le cardinal parle à voix retenue, comme s’effaçant devant la parole qu’il transmet, il ménage des pauses, comme pour mieux écouter ce qu’un autre dit, pour mieux comprendre aussi.
Exégète attentif, il ajoute: « Le Pape exprime dans ces vers la « source », et rappelle que « la recherche de cette source nous oblige à remonter à contre-courant ». » On pense à saint Augustin: de l’extérieur à l’intérieur, de l’intérieur au supérieur. La suite de la conférence de presse, avec la contribution du Prof. Giovanni Reale analysera certains aspects du texte.
« Je crois que c’est là la clef de lecture des deux autres volets qui nous portent à contre-courant. Le pèlerinage spirituel de ce texte nous porte vers le ‘commencement », continuait le cardinal Ratzinger.
Il continuait citant: » « Au début était le Verbe (…) et à l’arrivée, la véritable surprise est que le « commencement » finit dans l’accomplissement ». Ceci dit, le mot clef résumant le pèlerinage du second volet du Triptyque n’est pas « verbe » mais « voir » ou « vision ». Le Verbe a un visage. Le Verbe source est une vision. La création et l’univers découlent d’une « vision » « .
Il s’agit finalement, concluait le cardinal Ratzinger, de « l’immense arc qui compose la vision spécifique du Triptyque romain, clairement révélé par le troisième volet. Il s’agit de la montée vers Moryah, la montagne du sacrifice, d’Abraham et d’Isaac, un voyage entrepris à partir d’Ur en Chaldée. La phase fondamentale de ce voyage est constituée par la montée au sommet, à contre-courant puisque la « source » est aussi le but ».