La dimension transcendante de la vérité sur le mariage et sur la famille

Discours de Jean-Paul II à la Rote romaine

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CITE DU VATICAN, Lundi 17 février 2003 (ZENIT.org) – Lors de l’audience accordée à la Rote romaine à l’occasion de l’inauguration de l’Année judiciaire de ce tribunal, le jeudi 30 janvier 2003, le pape Jean-Paul II a invité à « redécouvrir la dimension transcendante qui est intrinsèque à la pleine vérité sur le mariage et sur la famille », selon le titre indiqué par L’Osservatore Romano du 11 février (cf. www.vatican.va).

Jean-Paul II a en effet reçu en audience, dans la Salle Clémentine, les Prélats auditeurs, les Promoteurs de Justice, les Défenseurs du Lien, les officiers et les avocats du Tribunal de la Rote romaine, à cette occasion.

1. L’inauguration solennelle de l’Année judiciaire du Tribunal de la Rote romaine m’offre l’opportunité de renouveler l’expression de ma satisfaction et de ma gratitude pour votre travail, très chers Prélats auditeurs, Promoteurs de Justice, Défenseurs du Lien, officiers et avocats. Je remercie cordialement Mgr le Doyen des sentiments qu’il a exprimés au nom de tous et des réflexions développées à propos de la nature et des objectifs de votre travail.

L’activité de votre Tribunal a toujours été profondément appréciée par mes vénérés prédécesseurs, qui n’ont pas manqué de souligner qu’administrer la justice à la Rote romaine constitue une participation directe à un aspect important des fonctions du Pasteur de l’Eglise universelle.

D’où la valeur particulière, dans le domaine ecclésial, de vos décisions, qui constituent, comme je l’ai affirmé dans Pastor Bonus, un point de référence sûr et concret pour l’administration de la justice dans l’Eglise (cf. art. 126).

2. Constatant la grande majorité de causes de nullité de mariage présentées à la Rote, Mgr le Doyen a souligné la crise profonde qui touche actuellement le mariage et la famille. Un point important qui ressort de l’étude de ces causes est la perte de vue entre les contractants de ce qu’implique, dans la célébration du mariage chrétien, le caractère sacré de celui-ci, aujourd’hui très fréquemment ignoré dans sa signification profonde, dans sa valeur intrinsèque surnaturelle et dans ses effets positifs sur la vie conjugale.

Après m’être arrêté au cours des années précédentes sur la dimension naturelle du mariage, je voudrais aujourd’hui attirer votre attention sur le rapport particulier que le mariage des baptisés possède avec le mystère de Dieu, un rapport qui, dans l’Alliance Nouvelle et définitive en Christ, revêt la dignité de sacrement.

La dimension naturelle et la relation avec Dieu ne sont pas deux aspects juxtaposés: au contraire, ils sont intimement liés comme le sont la vérité sur l’homme et la vérité sur Dieu. Ce thème me tient particulièrement à coeur: je reviens également sur celui-ci dans ce contexte, parce que la perspective de la communion de l’homme avec Dieu est plus que jamais utile, et même nécessaire, pour l’activité des juges, des avocats et de tous les agents du droit dans l’Eglise.

3. Le lien entre la sécularisation et la crise du mariage et de la famille apparaît de façon plus qu’évidente. La crise sur le sens de Dieu et sur le sens du bien et du mal moral est arrivée à obscurcir la connaissance des points capitaux du mariage lui-même et de la famille qui se fonde en lui. Pour retrouver de façon effective la vérité dans ce domaine, il faut redécouvrir la dimension transcendante qui est intrin-sèque à la pleine vérité sur le mariage et sur la famille, en surmontant toute dichotomie tendant à séparer les aspects profanes des aspects religieux, comme s’il existait deux mariages: l’un profane et l’autre sacré.

« Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1, 27). L’image de Dieu se trouve également dans la dualité homme-femme et dans leur communion interpersonnelle. C’est pourquoi, la transcendance est contenue dans la nature même du mariage, dès le début, car elle l’est dans la distinction naturelle entre l’homme et la femme, dans l’ordre de la création. Etant « une seule chair » (Gn 2, 24), l’homme et la femme, que ce soit dans leur assistance réciproque ou dans leur fécondité, participent à quelque chose de sacré et de religieux, comme le souligne bien, en se référant à la conscience des peuples antiques sur les noces, l’Encyclique Arcanum divinae sapientiae de mon prédécesseur Léon XIII (10 février 1880, in Leonis XIII P.M. Acta, vol. II, p. 22). A ce propos, il observait que le mariage « dès le début a presque été une figure (adumbratio) de l’incarnation du Verbe de Dieu » (ibid.). Dans l’état d’innocence originelle, Adam et Eve possédaient déjà le don surnaturel de la grâce. De cette façon, avant que l’Incarnation du Verbe n’ait lieu de façon historique, son pouvoir sanctificateur se déversait déjà sur l’humanité.

4. Malheureusement, par effet du péché originel, ce qui est naturel dans le rapport entre homme et femme risque d’être vécu de façon non conforme au plan de Dieu et l’éloignement de Dieu implique en soi une déshumanisation proportionnelle de toutes les relations familiales. Mais, dans la plénitude des temps, Jésus lui-même a restauré le dessein primordial sur le mariage (cf. Mt 19, 1-12) et ainsi, dans l’état de nature rachetée, l’union entre l’homme et la femme peut non seulement réacquérir la sainteté originelle, en se libérant du péché, mais elle est réellement insérée dans le mystère même de l’alliance du Christ avec l’Eglise.

La Lettre de saint Paul aux Ephésiens relie directement le récit de la Genèse à ce mystère: « Voici donc que l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair (Gn 2, 24). Ce mystère est de grande portée; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Eglise » (Ep 5, 31-32). Le lien intrin-sèque entre le mariage, institué au début, et l’union du Verbe incarné avec l’Eglise se révèle dans toute sa puissance salvifique à travers le concept de sacrement. Le Concile Vatican II exprime cette vérité de foi du point de vue des personnes mariées elles-mêmes: « Par la vertu du sacrement de mariage, qui leur donne de signifier en y participant le mystère de l’unité et de l’amour fécond entre le Christ et l’Eglise (cf. Ep 5, 32), les époux chrétiens s’aident mutuellement à se sanctifier dans la vie conjugale, dans l’accueil et l’éducation des enfants: en leur état de vie et dans leur ordre, ils ont ainsi dans le Peuple de Dieu leurs dons propres » (Const. dogm. Lumen gentium n. 11). Le lien entre ordre naturel et ordre surnaturel est immédiatement après présenté par le Concile, également en référence à la famille, qui est inséparable du mariage et vue comme une « Eglise domestique » (cf. ibid.).

5. La vie et la réflexion chrétienne trouvent dans cette vérité une source intarissable de lumière. En effet, le caractère sacré du mariage constitue une voie féconde pour pénétrer dans le mystère des relations entre la nature humaine et la grâce. Le fait même que le mariage du début soit devenu, sous la Loi Nouvelle, le signe et l’instrument de la grâce du Christ, souligne la transcendance constitutive de tout ce qui appartient à l’être de la personne humaine, et en particulier à ses relations naturelles selon la distinction et la complémentarité entre l’homme et la femme. L’humain et le divin se mélangent de façon admirable.

La mentalité actuelle, profondément sécularisée, tend à affirmer les valeurs humaines de l’institution familiale en les détachant des valeurs religieuses et en les proclamant comme entièrement séparées de Dieu. Influencée par les modèles de vie trop souvent proposés par les mass-media, elle se demande: « Pourquoi doit-on rester toujours fidèle à l’autre conjoint? », et cette question se transforme en doute existentiel dan
s les situations critiques. Les difficultés conjugales peuvent être de diverses natures, mais toutes débouchent à la fin sur une question d’amour. C’est pourquoi l’interrogation précédente peut-être reformulée ainsi: pourquoi faut-il toujours aimer l’autre, même lorsque de nombreux motifs, apparemment justifiés, inciteraient à le quitter?

On peut apporter de nombreuses réponses, parmi lesquelles le bien des enfants et le bien de la société tout entière possèdent sans aucun doute une grande valeur, mais la réponse plus radicale passe tout d’abord à travers la reconnaissance de l’objectivité du fait d’être conjoints, vu comme un don réciproque, rendu possible et soutenu par Dieu lui-même. C’est pourquoi la raison ultime du devoir d’amour fidèle n’est autre que celle qui est à la base de l’Alliance divine avec l’homme: Dieu est fidèle! Afin de rendre possible la fidélité de coeur à son propre conjoint, également dans les cas les plus difficiles, c’est donc à Dieu qu’il faut avoir recours, avec la certitude d’être aidés. Le chemin de la fidélité mutuelle passe, par ailleurs, à travers l’ouverture à la charité du Christ, qui « excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout » (1 Co 13, 7). Dans chaque mariage est présent le mystère de la Rédemption, celle-ci ayant lieu à travers une réelle participation à la Croix du Sauveur, selon ce paradoxe chrétien qui lie le bonheur à la prise en charge de la douleur, dans un esprit de foi.

6. De ces principes, on peut tirer de multiples conséquences pratiques, à caractère pastoral, moral et juridique. Je me limite à en énoncer quelques-unes, liées de façon particulière à votre activité judiciaire.

Tout d’abord, vous ne pouvez jamais oublier que vous avez entre les mains le grand mystère dont parle saint Paul (cf. Ep 5, 32), que ce soit lorsqu’il s’agit d’un sacrement au sens strict, ou lors-que le mariage contient en soi le caractère sacré du début, étant appelé à devenir sacrement à travers le Baptême des deux époux. La prise en considération du caractère sacré souligne la transcendance de votre fonction, le lien qui l’unit de façon réelle à l’économie salvifique. Le sens religieux doit donc imprégner tout votre travail. Des études scientifiques sur cette matière jusqu’à l’activité quotidienne dans l’administration de la justice, il n’y pas de place dans l’Eglise pour une vision purement immanente et profane du mariage, simplement parce que cette vision n’est pas théologiquement et juridiquement véridique.

7. Dans cette perspective, il faut, par exemple, prendre très au sérieux l’obligation formellement imposée au juge par le can. 1676 d’encourager et de chercher attentivement la convalidation possible du mariage et la réconciliation. Naturellement, la même attitude de soutien au mariage et à la famille doit régner avant le recours auprès des tribunaux: dans le cadre de l’assistance pastorale, les consciences doivent être patiemment illuminées par la vérité sur le devoir transcendant de la fidélité, présentée de façon positive et attrayante. Dans l’action menée pour surmonter de façon positive les confits conjugaux, et dans l’aide apportée aux fidèles en situation matrimoniale irrégulière, il faut créer une synergie qui interpelle chacun dans l’Eglise: les Pasteurs d’âme, les juristes, les experts en sciences psychologiques et psychiatriques, les autres fidèles, en particulier ceux qui sont mariés et qui possèdent une expérience de vie. Tous doivent garder à l’esprit qu’ils sont confrontés à une réalité sacrée et à un domaine qui touche le salut des âmes!

8. L’importance du caractère sacré du mariage, et la nécessité de la foi pour connaître et vivre pleinement cette dimension, pourrait également donner lieu à certaines équivoques, que ce soit dans le cas de l’admission aux noces ou dans celui du jugement sur leur validité. L’Eglise ne refuse pas la célébration des noces à qui est bene dispositus, même si imparfaitement préparé du point de vue surnaturel, du moment qu’il a l’intention honnête de se marier selon la réalité naturelle de la conjugalité. On ne peut pas présenter, à côté du mariage naturel, un autre modèle de mariage chrétien ayant des qualités surnaturelles spécifiques.

Cette vérité ne doit pas être oubliée au moment de déterminer l’exclusion du caractère sacré (cf. can. 1101 2). et l’erreur déterminante à propos de la dignité sacramentelle (cf. can. 1099) comme éventuels chefs de nullité. Dans les deux cas, il est nécessaire d’avoir à l’esprit qu’une attitude des futurs époux ne tenant pas compte de la dimension surnaturelle du mariage, peut le rendre nul uniquement si elle porte atteinte à la validité sur le plan naturel sur lequel est placé le signe sacramentel lui-même. L’Eglise catholique a toujours reconnu les mariages entre les non baptisés, qui deviennent sacrement chrétien à travers le Baptême des conjoints, et elle n’a pas de doute sur la validité du mariage d’un catholique avec une personne non baptisée, si il est célébré avec la dispense nécessaire.

9. Au terme de cette rencontre, ma pensée se tourne vers les époux et les familles, pour invoquer sur eux la protection de la Vierge. En cette occasion également, je tiens à reproposer l’exhortation que je leur ai adressée dans la Lettre apostolique Rosarium Virginis Mariae: « La famille qui est unie dans la prière demeure unie. Par tradition ancienne, le Saint Rosaire se prête tout spécialement à être une prière dans laquelle la famille se retrouve » (n. 41).

A vous tous, chers Prélats auditeurs, officiers et avocats de la Rote romaine, je donne avec affection ma Bénédiction!

© L’Osservatore Romano

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ZENIT Staff

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