CITE DU VATICAN, Jeudi 6 février 2003 (ZENIT.org) – Voici le texte intégral en français du Message de Jean-Paul II pour le carême 2003 (cf. www.vatican.va)
Chers Frères et Sœurs !
1. Temps fort de prière, de jeûne et d’engagement à l’égard de ceux qui sont dans le besoin, le Carême offre à tout chrétien la possibilité de se préparer à la fête de Pâques en examinant avec soin sa propre vie, la confrontant d’une manière spéciale avec la Parole de Dieu qui éclaire la route quotidienne des croyants.
Cette année, comme guide de réflexion pour le Carême, je voudrais proposer la phrase extraite des Actes des Apôtres: «Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir» (Ac 20, 35). Il ne s’agit pas d’un simple rappel moral, ni d’un commandement qui parvient à l’homme de l’extérieur. L’inclination au don est inscrite dans les profondeurs intimes du cœur humain: toute personne éprouve le désir d’entrer en relation avec les autres et se réalise pleinement quand elle se donne librement aux autres.
2. Notre époque est malheureusement influencée par une mentalité particulièrement sensible aux sollicitations de l’égoïsme, toujours prêt à se réveiller dans le cœur de l’homme. Dans la vie sociale, de même que dans les médias, la personne est souvent sollicitée par des messages qui, de manière insistante, ouvertement ou subrepticement, exaltent une culture de l’éphémère et l’hédonisme. Bien qu’une attention aux autres ne fasse pas défaut dans des situations de catastrophes écologiques, de guerres ou d’autres cas d’urgences, il s’avère en général difficile de développer une culture de la solidarité. L’esprit du monde affaiblit la tendance intérieure au don désintéressé de soi aux autres et pousse à satisfaire ses propres intérêts particuliers. Le désir d’accumuler des biens se fait toujours plus pressant. Il est évidemment naturel et juste que chacun, grâce à ses talents personnels et à son travail, s’attache à obtenir ce dont il a besoin pour vivre, mais le désir exagéré de posséder empêche la créature humaine de s’ouvrir au Créateur et à ses semblables. Les paroles que Paul adressait à Timothée ont la même valeur pour tous les temps : «La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont infligé à eux-mêmes des tourments sans nombre» (1 Tm 6, 10).
L’exploitation de l’homme, l’indifférence face à la souffrance d’autrui, la violation des normes morales, ne sont que quelques-uns des fruits de l’appât du gain. Devant le spectacle désolant de la pauvreté persistante qui afflige une si grande part de la population mondiale, comment ne pas reconnaître que la recherche effrénée du profit et le manque d’attention tangible et responsable pour le bien commun concentrent entre les mains de quelques-uns une grande part des ressources tandis que le reste de l’humanité souffre de la misère et de l’abandon ?
Faisant appel aux croyants et à tous les hommes de bonne volonté, je voudrais rappeler un principe évident en lui-même, bien que souvent négligé: il est nécessaire de rechercher non pas le bien d’un petit cercle de privilégiés, mais l’amélioration des conditions de vie de tous. C’est seulement sur ce fondement que l’on pourra édifier l’ordre international, réellement empreint de justice et de solidarité, que tous appellent de leurs vœux.
3. «Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir». En répondant à l’appel intérieur à se donner aux autres sans rien attendre pour lui, le croyant éprouve une profonde satisfaction intérieure.
L’effort du chrétien pour promouvoir la justice, son engagement pour la défense des plus faibles, ses initiatives humanitaires pour procurer du pain à qui en est privé et pour soigner les malades, en allant à la rencontre de toutes les détresses et de tous les besoins, trouvent leur source dans cet unique et inépuisable trésor d’amour qu’est le don total de Jésus au Père. Le croyant est invité à suivre les pas du Christ, vrai Dieu et vrai homme, qui, dans la parfaite adhésion à la volonté de son Père, se dépouilla et s’humilia lui-même (cf. Ph 2, 6 ss.), se donnant à nous dans un amour désintéressé et total, jusqu’à mourir sur la Croix. Du Calvaire se répand de manière éloquente le message de l’amour trinitaire pour les êtres humains de tous les temps et de tous les pays.
Saint Augustin remarquait que Dieu seul, Bien suprême, est en mesure de vaincre les misères du monde. La miséricorde et l’amour envers le prochain doivent donc jaillir d’un rapport vivant avec Dieu, et se référer sans cesse à Lui, parce que c’est dans la proximité avec le Christ que réside notre joie (cf. De civitate Dei, L. X, ch. 6, Paris, 2000, p. 378).
4. Le Fils de Dieu nous a aimés le premier, «alors que nous étions encore pécheurs» (Rm 5, 8), sans rien exiger, sans nous imposer aucune condition a priori. Face à ce constat, comment ne pas voir dans le Carême une occasion propice pour faire des choix courageux d’altruisme et de générosité ? Il nous offre les armes pratiques et efficaces du jeûne et de l’aumône pour lutter contre l’attachement excessif à l’argent. Se priver non seulement du superflu, mais aussi de quelque chose de plus, pour le donner à celui qui en a besoin, contribue au renoncement sans lequel il n’y a pas de pratique authentique de la vie chrétienne. D’autre part, en puisant des forces dans une prière incessante, le baptisé manifeste que Dieu occupe réellement la première place dans son existence.
C’est l’amour de Dieu répandu dans nos cœurs qui doit inspirer et transformer notre être et notre agir. Le chrétien ne doit pas croire qu’il peut chercher le bien véritable de ses frères s’il ne vit pas la charité du Christ. Même s’il réussissait à modifier d’importants aspects négatifs dans la vie sociale ou politique, tout résultat serait éphémère sans la charité. La capacité même de se donner aux autres est un don qui jaillit de la grâce de Dieu. Comme l’enseigne saint Paul, «c’est l’action de Dieu qui produit en vous la volonté et l’action, parce qu’il veut votre bien» (Ph 2, 13).
5. À l’homme d’aujourd’hui, souvent insatisfait d’une existence vide et éphémère, et recherchant la joie et le bonheur authentiques, le Christ se propose en exemple pour l’inviter à le suivre. À qui l’écoute, il demande de dépenser sa vie pour ses frères. Un tel don est source d’une réalisation plénière de soi et d’une joie profonde, comme le montre l’exemple éloquent des hommes et des femmes qui, abandonnant leur vie tranquille, n’ont pas hésité à risquer leur vie comme missionnaires dans les diverses parties du monde. On en trouve un témoignage dans la décision de ces jeunes qui, animés par la foi, ont embrassé la vocation sacerdotale ou religieuse pour se mettre au service du «salut de Dieu». On en a une illustration dans le nombre croissant de volontaires qui, avec disponibilité et promptitude, se dévouent pour les pauvres, les personnes âgées, les malades et tous ceux qui connaissent des situations de détresse.
On a pu assister récemment à de beaux mouvements de solidarité en faveur des victimes des inondations en Europe, des tremblements de terre en Amérique latine et en Italie, des épidémies en Afrique, des éruptions volcaniques aux Philippines, sans oublier les autres parties du monde ensanglantées par la haine et la guerre.
En de telles circonstances, les moyens de communication sociale s’avèrent fort utiles, montrant l’aide réalisée et avivant la disponibilité pour soutenir ceux qui sont dans l’épreuve et dans la difficulté. Ce n’est pas toujours l’impératif chrétie
n de l’amour qui motive l’intervention en faveur d’autrui, mais une compassion naturelle. Toutefois celui qui assiste la personne dans le besoin jouit toujours de la bienveillance de Dieu. Dans les Actes des Apôtres, on peut lire que Tabitha, qui était disciple, est sauvée parce qu’elle a fait du bien à son prochain (cf. 9, 36 ss.). Le centurion Corneille obtient la vie éternelle en raison de sa générosité (cf. ibid., 10, 1-31).
Le service de ceux qui sont dans le besoin peut être pour «ceux qui sont loin» le chemin providentiel pour rencontrer le Christ, car le Seigneur rend sans mesure pour tout don fait au prochain (cf. Mt 25, 40).
Je désire ardemment que le Carême soit pour les croyants une période favorable pour répandre l’Évangile de la charité en tous lieux et en témoigner, car la vocation à la charité constitue le cœur de toute évangélisation authentique. J’invoque à cette intention l’intercession de Marie, Mère de l’Église. Puisse-t-elle nous accompagner durant notre temps de Carême ! Dans ces sentiments, je vous bénis tous de grand cœur.
Du Vatican, le 7 janvier 2003.
JOANNES PAULUS II