CITE DU VATICAN, Mercredi 3 juillet 2002 (ZENIT.org) – « La grandeur du Seigneur et la dignité de l’homme », c’est le titre donné par L’Osservatore Romano en français au commentaire de Jean-Paul II sur le psaume 8 au cours de l’audience générale du 26 juin dernier.
Lecture: Ps 8, 2.4-7
1. « L’homme…, au centre de cette entreprise […] s’y révèle géant, il s’y révèle divin, non pas en lui-même, mais dans son principe et dans sa destinée. Honneur donc à l’homme, honneur à sa dignité, à son esprit, à sa vie ». C’est avec ces paroles que Paul VI, en juillet 1969, confiait aux astronautes américains qui partaient pour la lune le texte du Psaume 8, qui vient de retentir ici, afin qu’il entre dans l’espace cosmique (Angelus du 13 juillet 1969; cf. ORLF n. 29 du 18 juillet 1969; Insegnamenti VII [1969], pp. 493-494).
Cette hymne est, en effet, une célébration de l’homme, une créature très petite si on la compare à l’immensité de l’univers, un « roseau » fragile pour reprendre une célèbre image du grand philosophe Blaise Pascal (Pensées, n. 264). Mais pourtant, un « roseau pen-sant » qui peut comprendre la création, en tant que seigneur de la création « couronné » par Dieu lui-même (cf. Ps 8, 6). Comme cela se produit souvent dans les hymnes qui exaltent le Créateur, le Psaume 8 commence et finit par une antienne solennelle adressée au Seigneur, dont la magnificence est présente dans l’univers: « Yahvé, notre Seigneur, qu’il est puissant ton nom par toute la terre! » (vv. 2.10).
2. La partie qui constitue le véritable corps du chant suggère une atmosphère nocturne, avec la lune et les étoiles qui s’allument dans le ciel. La première strophe de l’hymne (cf. vv. 2-5) est dominée par une confrontation entre Dieu, l’homme et le cosmos. Sur la scène apparaît tout d’abord le Seigneur, dont la gloire est chantée dans les cieux, mais également par la bouche des hommes. La louange qui naît de façon spontanée sur les lèvres des enfants efface et confond les discours présomptueux des détracteurs de Dieu (cf. v. 3). Ils sont définis comme des « adversaires, ennemis, rebelles », car ils ont l’illusion de défier le Créateur et de le contrecarrer par leur raison et leur action (cf. Ps 13, 1).
Tout de suite après, s’ouvre la scène suggestive d’une nuit étoilée. Face à cet horizon infini, apparaît la question éternelle: « Qu’est donc le mortel? » (Ps 8, 5). La première réponse la plus immédiate parle de nullité, que ce soit en relation à l’immensité des cieux, ou surtout par rapport à la majesté du Créateur. Le Psalmiste dit, en effet, que le ciel est « ton ciel », la lune et les étoiles ont été « fixées par toi » et elles sont l' »ouvrage de tes doigts » (cf. v. 4). Cette dernière expression est très belle, et remplace la phrase plus commune l' »oeuvre de tes mains » (cf. v. 7): Dieu a créé ces réalités colossales avec la facilité et le raffinement d’une broderie ou d’une ciselure, avec le toucher léger d’un harpiste qui fait courir ses doigts sur les cordes.
3. La première réaction est donc de frayeur: comment Dieu peut-il « se souvenir » et « visiter » cette créature si fragile et petite (cf. v. 5)? Mais voici l’autre grande surprise: Dieu a accordé à l’homme, créature faible, une dignité merveilleuse: à peine l’a-t-il fait moindre que les anges ou, comme on peut également traduire l’original hébreu, à peine moindre qu’un Dieu (cf. v. 6).
Nous entrons ainsi dans la deuxième strophe du Psaume (cf. vv. 6-10). L’homme est vu comme le lieutenant royal du Créateur lui-même. En effet, Dieu l’a « couronné » comme un vice-roi, en le destinant à une seigneurie universelle: « Tout fut mis par toi sous ses pieds » et l’adjectif « tout » retentit alors que défilent les diverses créatures (cf. vv. 7-9).
Cette domination n’est cependant pas due aux capacités de l’homme, réalité fragile et limitée, et elle n’est pas non plus obtenue par une victoire sur Dieu, comme le voudrait le mythe grec de Prométhée. Il s’agit d’une domination accordée par Dieu: tout l’horizon des créatures est confié aux mains fragiles et souvent égoïstes de l’homme, afin qu’il en conserve l’harmonie et la beauté, qu’il en use sans en abuser, qu’il en dévoile les secrets et en développe les potentialités.
Comme le déclare la Constitution pastorale Gaudium et spes du Concile Vatican II, « l’homme a été créé « à l’image de Dieu », capable de connaître et d’aimer son Créateur, il a été constitué seigneur de toutes les créatures terrestres, pour les dominer et pour s’en servir, en glorifiant Dieu » (n. 12).
4. La domination de l’homme, affirmée dans le Psaume 8, peut malheureusement être mal comprise et déformée par l’homme égoïste, qui s’est plus souvent révélé un tyran fou qu’un gouverneur sage et intelligent. Le Livre de la Sagesse met en garde contre des déviations de ce genre, lorsqu’il précise que Dieu a « formé l’homme pour dominer sur les créatures… pour régir le monde en sainteté et en justice » (9, 2-3). Bien qu’il s’agisse d’un contexte différent, Job fait lui aussi appel à notre Psaume pour rappeler de façon particulière la faiblesse humaine, qui ne mériterait pas tant d’attention de la part de Dieu: « Qu’est-ce donc que l’homme pour en faire si grand cas, pour fixer sur lui ton attention, pour l’inspecter chaque matin? » (7, 17-18). L’histoire documente le mal que la liberté humaine fait régner dans le monde avec la dégradation de l’environnement et les injustices sociales les plus criantes.
A la différence des êtres humains qui humilient leurs semblables et la création, le Christ se présente comme l’homme parfait, « couronné de gloire et d’honneur, parce qu’il a souffert la mort: il fallait que, par la grâce de Dieu, au bénéfice de tout homme, il goutât la mort » (He 2, 9). Il règne sur l’univers par la domination de paix et d’amour qui prépare le nouveau monde, les nouveaux cieux et la nouvelle terre (cf. 2 P 3, 13). Son autorité royale s’exerce même – comme le suggère l’auteur de la Lettre aux Hébreux en lui appliquant le Psaume 8 – à travers la donation suprême de soi dans la mort « au bénéfice de tous ».
Le Christ n’est pas un souverain qui se fait servir, mais qui sert et qui se consacre aux autres: « Aussi bien, le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et pour donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10, 45). De cette façon, il ramène en lui « toutes choses, les êtres célestes comme les terrestres » (cf. Ep 1, 10). Sous cette lumière christologique, le Psaume 8 révèle toute la force de son message et de son espérance, en nous invitant à exercer notre souveraineté sur la création non par la domination, mais dans l’amour.
© L’Osservatore Romano – 2 juillet 2002