Le pape François franchit le portail du camp d'Auschwitz © capture Zenit / CTV 29 juillet 2016

Le pape François franchit le portail du camp d'Auschwitz © capture Zenit / CTV 29 juillet 2016

Auschwitz: le "jamais plus" silencieux du pape François

Solitude, gestes et rencontres à Auschwitz et Birkenau

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A Auschwitz et à Birkenau le pape François est venu prononcer un « jamais plus » silencieux qui a fait le tour du monde, un engagement par des gestes et la prière, au matin de ce vendredi 29 juillet 2016.
Le silence, la solitude, les gestes et les rencontres du pape François aux camps nazis d’Auschwitz et Birkenau donnent tout son poids à la prière qu’il a écrite, en espagnol, sur le livre d’or du Mémorial des atrocités nazies: « Seigneur, prends pitié de ton peuple! Seigneur, pardon pour tant de cruauté! » Toutes ses autres paroles ont été prononcées dans les échanges personnels qu’il a voulus avec des survivants de la Shoah, avec des Justes parmi les nations, avec le responsable du mémorial d’Auschwitz, avec le rabbin qui a chanté le Ps 130 en hébreu: “Des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur”, invoquant la “hesed”, la miséricorde de Dieu.
Homme, où es-tu?
Cette invocation de la miséricorde qui est le thème du pèlerinage du pape François en Pologne, avec les jeunes du monde entier pour la JMJ de Cracovie 2016, a jailli sur le lieu de l’horreur nazie. La miséricorde dont on parle chaque jour de cette Année jubilaire et dans le sillage de Jean-Paul II ne serait-elle pas que de l’eau de rose si on n’y puisait aussi la force de surmonter les tragédies du XXe siècle et les tragédies – écologiques ou terroristes – de ce millénaire qui commence et y mettre fin : « jamais plus », disait le silence du pape.
Le cri de “où est-il ton Dieu” (Psaume 42) déchire “La Nuit” d’Elie Wiesel. Au mémorial de la Shoah de Yad VaShem, à Jérusalem, le 26 mars 2014, le pape François a demandé: “où est l’homme?” C’était le cri de Dieu dans la Genèse (3, 9) – “Adam, où es-tu?” – après la trahison originelle. Le pape avait alors demandé la « grâce d’avoir honte de ce que, en tant qu’hommes, nous avons été capables de faire, d’avoir honte de cette idolâtrie, d’avoir méprisé et détruit notre chair ». Un « Adam où es-tu ? » qui avait aussi scandé son homélie du 8 juillet 2013 à Lampedusa, devant la tragédie de la méditerranée transformée en cimetière : « Adam est un homme désorienté, qui a perdu sa place dans la création parce qu’il croit devenir puissant, pouvoir tout dominer, être Dieu. » La Shoah n’est-elle pas aussi un  « avertissement » à toutes les générations à chaque fois qu’elles sont tentées de perdre leur humanité?
Le choix des gestes et du silence
Pourtant, en ce vendredi 29 juillet 2016, dix ans après Benoît XVI qui aurait préféré le silence mais avait senti son devoir de pape bavarois – issu d’une famille profondément antinazie – de venir et de parler, de prononcer le mot « Shoah », le pape François a choisi de ne pas faire de discours devant l’indicible. Il a préféré le poids des gestes au choc des mots, selon un style dont il ne se départit pas, de dépouillement et de simplicité. Il convient donc de le suivre, de le regarder, sans sur-interpréter ce pèlerinage limpide.
Le pape a voulu se rendre, à la suite de ses prédécesseurs, saint Jean-Paul II, le 7 juin 1979, et Benoît XVI, le 28 mai 2006, à la fois et au camp de concentration d’Auschwitz et au camp d’extermination de Birkenau, où plus d’un million de déportés, juifs dans leur grande majorité, périrent entre 1940 et 1945.
Situé aux portes d’Oswiecim, dans le sud de la Pologne, à quelque 70 km de Cracovie, le complexe concentrationnaire nazi d’Auschwitz a en effet été créé à partir du 26 mai 1940. Il est constitué de trois camps, sans compter les camps annexes et Kommandos extérieurs : le camp principal de concentration d’Auschwitz I, installé dans une ancienne caserne de l’armée polonaise ; le camp d’extermination d’Auschwitz II-Birkenau, ouvert le 8 octobre 1941 et situé à deux kilomètres du camp principal ; le camp de travail d’Auschwitz III ou Monowitz, ouvert le 31 mai 1942 et situé à six kilomètres du camp principal. Les trois camps ont été libérés le 27 janvier 1945 par l’armée soviétique.
Auschwitz et Birkenau
Le pape s’est rendu dans les deux premiers: le camp de concentration et camp d’extermination, passant de l’un à l’autre grâce à une petite voiture électrique blanche, ouverte.
Selon l’étude de Franciszek Piper “sur au moins 1 300 000 déportés à Auschwitz, environ 900 000 furent tués immédiatement à leur arrivée. Les 400 000 autres furent enregistrés comme prisonniers du camp de concentration et dotés d’un numéro d’identification. Environ 200 000 sont morts de faim, de maladie, et d’esclavage ; parmi les autres, nombreux furent ceux assassinés par injection ou dans les chambres à gaz. Ainsi, au moins 1 100 000 personnes sont mortes dans le camp et 90% d’entre elles étaient juives. Le second groupe le plus nombreux [parmi les victimes] furent les Polonais, suivis par les Tziganes et les prisonniers d’autres nationalités” (1). D’où les “stèles des nations” de Birkenau et celle des “Justes” ces non-juifs – lumières dans les ténèbres – qui ont sauvé des juifs pendant la Shoah: le pape a rencontré 13 d’entre eux.
Le pape a franchi, seul, à pied, en silence, le trop fameux portail du premier camp, avec l’inscription de fer forgé “Le travail rend libre” (“Arbeit macht frei”).
Assis sur une simple chaise de bois sombre, face aux blocks, sur la Place de l’Appel, où avaient lieu les pendaisons, et où Maximilien Kolbe a offert sa vie, le pape s’est recueilli, les yeux fermés ou contemplant les briques funestes, la tête baissée, de longues minutes: seul toujours, sous les caméras du monde entier. La gravité du lieu et du moment contrastait avec le vert des prairies et le chant d’un oiseau que le vrombissement d’un hélicoptère ne réussissait pas à étouffer.
Rencontrer les survivants
Puis le pape s’est rendu dans la cour des fusillés, où il a été accueilli par Mme Beata Maria Szydło, Premier ministre. Il y a rencontré onze survivants du camp – quatre femmes et sept hommes nés entre 1912 et 1939 -, les écoutant, tenant leurs mains dans les siennes, et les embrassant lentement sur les deux joues. L’un des survivants lui a offert une photo de lui, à l’époque, et le pape a apposé sa signature sur une autre photo qu’il lui tendait.
La femme la plus âgée, Helena Dunicz Niwinska, était une violoniste polonaise née à Vienne en 1915: elle avait 30 ans à la Libération, et aujourd’hui 101 ans, elle fit partie de l’orchestre du camp, ce qui la sauva, en dépit de la marche de la mort vers Ravensbruck puis Neustadt-Glewe. L’homme le plus âgé, Alojzy Fros, né en 1916, centenaire – tout comme Janina  Iwanska, de Varsovie -, est un Polonais originaire de Rybnik, déporté à Auschwitz en août 1943, puis évacué vers Sachsenhausen puis Buchenwald.
L’homme le plus jeune, né en 1939, Peter Rauch, originaire de Munich, fut arrêté avec toute sa famille, en mars 1943, et il avait 6 ans à la Libération, aujourd’hui, il a 77 ans. La plus jeune des femmes, Eva Umlauf, originaire de Sered (Slovaquie) a aujourd’hui 74 ans: elle avait deux ans lorsqu’elle fut déportée avec sa famille à Auschwitz en 1944.
Un des survivants a remis au pape François la flamme du souvenir. Le pape s’est avancé pour raviver, seul encore, la flamme, au pied du mur des exécutions dont il est allé toucher les pierres en silence.
Après quelques marches, le pape François est entré dans le block 11. C’est là que saint Maximilien Kolbe, prêtre, franciscain, polonais, est mort, dans le “bunker de la faim”, offrant sa vie en échange de celle d’un père de famille, Franciszek Gajowniczek: les nazis avaient décidé d’exécuter dix otages en représailles pour l’évasion d’un prisonnier du block 14, celui du père Kolbe. Des chants de louange s’échappaient du bunker au lieu des cris de douleur habituels, au grand étonnement des tortionnaires. Lorsqu’ils y entrèrent, les voix s’étant tues, trois semaines plus tard, Maximilien Kolbe n’était pas mort, il tendit le bras et ils l’achevèrent par une injection létale de phénol, le 14 août 1941, il y a cette année 75 ans.
Le pape est resté là, seul, en silence, de longues minutes, dans la pénombre, grave et recueilli. Il a signé le livre d’or avant de quitter le camp en franchisant à nouveau le portail seul, en silence et à pied – bien qu’il souffre d’un genou et qu’il soit tombé au début de la messe de Czestochowa -. Le soleil projetait en avant son ombre énergique et instable sur celle de l’inscription nazie.
Pardon pour tant de cruauté
La seconde étape du pèlerinage à Auschwitz a conduit le pape au musée mémorial (Auschwitz-Birkenau Nazi Concentration Camp Museum). Pas d’images, seulement son échange, à la sortie, avec le directeur du centre, rares paroles, et toutes rigoureusement privées, pendant ces deux heures intenses.
Mais le mémorial a twitté la photo de la prière inscrite par le pape dans son Livre d’or, en espagnol, avec une petite croix et des initiales en haut à gauche, la signature « Franciscus » et la date 29.7.2016 en bas à droite:
Señor ten piedad de tu pueblo!
Señor, perdón por tanta crueldad!
Ce sont ses seules paroles officielles de cette visite papale: elles ont fait le tour du monde.
Le pape a offert au mémorial une lampe de bronze, portant son blason en argent doré, et dont le pied, posé sur un socle en bois de noyer, s’inspire des barbelés du camp: une oeuvre d’artistes italiens, les frères Savi, qui représente un pouvoir qui « réussit à théoriser la suprématie de l’homme sur la nature », mais la flore et la faune sont plus fortes, comme « l’humanité fécondée par la Pâque de Jésus » dont le Coeur est représenté par la forme de la lampe, d’où jailli la flamme de la charité.
En voiture électrique, le pape a ensuite remonté l’allée centrale de Birkenau, qui longe la funeste rampe de chemin de fer où un wagon de marchandises rappelle les convois de la mort. Il a été accueilli par des applaudissements debout d’un millier d’invités, qui rompirent soudain le silence. En réponse, le pape s’est incliné légèrement, mettant la main sur son coeur.
La lumière des Justes
Sur l’esplanade, il s’est recueilli, comme ses prédécesseurs, devant les stèles des nations, s’arrêtant devant chacune, lentement, toujours en silence – on n’entendait que les pleurs d’un enfant – puis il a ravivé la flamme du souvenir. Il semble qu’il ait laissé un message sous la lampe. Le pape a prolongé sa prière tandis que le grand rabbin de Pologne, Michael Schudrich, chantait en hébreu le Psaume 130 – le « De profundis » -, qui en appelle à la « Hesed » de Dieu, un psaume proclamé aussi en polonais par un prêtre polonais, Stanisław Ruszała, de la paroisse de Markowa où Jozef et Viktoria Ulma ont été tués avec leurs 7 enfants pour avoir sauvé des juifs: leur procès de béatification est en cours. Le pape a salué personnellement le prêtre et le rabbin, puis les Justes.
La rencontre de ces personnes courage qui ont manifesté leur humanité, au risque de leur vie, au coeur de la terreur nazie, a constitué le point d’orgue du pèlerinage du pape François à Auschwitz-Birkenau.
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(1) « Auschwitz Concentration Camp », in Michael Berenbaum et Abraham J. Peck (éditeurs), The Holocaust and History. The Known, the Unknown, the Disputed and the Reexamined (Indiana University Press, 1998).

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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