Mme Linda Ghisoni @ Vatican Media

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Protection des mineurs: "Agir, ensemble", par Linda Ghisoni (texte complet)

« Pas de classe affaire ou de classe économique dans l’Eglise »

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« Agir, ensemble », c’est ce que préconise Mme Linda Ghisoni, sous-secrétaire du dicastère romain pour les laïcs, la famille et la vie, qui est intervenue, ce vendredi 22 février 2019, à 16h, lors de cette deuxième journée de la rencontre pour la Protection de mineurs (21-24 février).
Spécialiste en Droit canon, elle souligne cette vie de l’Eglise comme « communion » qui implique ceci: « Il n’y a pas de classe affaire dans certaines Eglises particulières et une classe économique dans d’autres, mais l’unique Église du Christ est exprimée partout, garantissant à tous, outils, procédures, critères qui, au-delà des nécessaires particularités locales, protègent les mineurs en recherchant la vérité, la justice, promouvant la réparation et la prévention au sujet des abus sexuels. »
Consultante de la congrégation pour la Doctrine de la foi, elle souligne par ailleurs l’importance de la « vérification », de l’évaluation de l’agir de l’évêque aussi: » Dire que même l’évêque doit toujours rendre compte de son travail à quelqu’un ne signifie pas le soumettre à un contrôle ni de la méfiance a priori, mais l’engager dans la dynamique de la communion ecclésiale où tous les membres agissent de manière coordonnée, selon leurs propres charismes et ministères. Si un prêtre rend compte à la communauté, au presbyterium et à son évêque de son activité, un évêque à qui rend-t-il compte ? A quelle responsabilité est-il assujetti ? »
C’est pourquoi elle propose la constitution de « conseils diocésains » qui « opèrent de manière coresponsable avec les évêques et les supérieurs religieux, en les soutenant dans cette tâche avec compétence et en agissant comme lieu de vérification et de discernement en ce qui concerne les initiatives à entreprendre, toutefois sans se substituer à eux ni s’ingérer dans des décisions qui relèvent de la directe responsabilité juridictionnelle de l’évêque ou du supérieur, peut constituer un exemple et un modèle d’une saine collaboration de laïcs, religieux, ecclésiastiques dans la vie de l’Église ».
Elle considère également « souhaitable » que, « sur le territoire de chaque Conférence épiscopale, soient créés des commissions consultatives indépendantes afin de conseiller et d’assister les évêques et les supérieurs religieux et de promouvoir un niveau uniforme de responsabilité dans les différents diocèses ».
Mme Ghisoni indique aussi, entre autres sujets de réflexion, la communication qui doit éviter à la fois « une confidentialité injustifiable », comme « une divulgation incontrôlée » qui « risquent de créer une mauvaise communication et de ne pas rendre service à la vérité »: « La responsabilité est également de savoir communiquer. Si, en fait, on ne communique pas, comment peut-on rendre compte aux autres ? Et donc quelle communion peut-il y avoir entre nous ? »
Voici la traduction, rapide, d e travail, de cette intervention prononcée en italien.
AB

Communion : agir ensemble

Introduction
« C’est une nouvelle trahison qui vient de l’intérieur de l’Église. Ces gens sont, à mes yeux, des loups hululant qui pénètrent dans l’enclos pour ensuite effrayer et disperser le troupeau, alors qu’ils devraient eux-mêmes comme pasteurs de l’Église, prendre soin des plus petits et les protéger ».
Dans ce témoignage d’une femme victime d’abus de conscience, de pouvoir, d’abus sexuels de la part de prêtres, les « loups hululant » sont ces Pasteurs qui ont nié a priori et qui, même une fois prouvés les faits criminels, l’ont transformé en objet d’intimidation et d’annihilation dans sa dignité, la définissant comme « une personne qui, tout au plus, peut passer entre un tableau et le mur ».
Écouter des témoignages comme celui-ci n’est pas un exercice de commisération, c’est une rencontre avec la chair du Christ dans laquelle sont infligées des blessures non cicatrisées, des blessures qui, comme vous l’avez dit, Saint-Père, ne sont pas prescriptibles.
À genoux : ce serait la bonne posture pour traiter les sujets de ces jours-ci. À genoux devant les victimes et leurs familles, devant les agresseurs, les complices, les négationnistes, ceux qui sont injustement accusés, les négligents, ceux qui ont étouffé, ceux qui ont tenté de parler et d’agir, mais qui ont été réduits au silence, les indifférents. À genoux devant le père Miséricordieux, qui voit lacéré le corps du Christ, son Église, et nous envoie pour prendre en charge, comme son Peuple, des blessures et de les soigner avec le baume de Son amour.
Je n’ai rien à vous enseigner, Sainteté, à vous, Éminences, Excellences révérendissimes, aux Révérendes mères et aux Révérends pères ici convoqués; je crois plutôt que, ensemble, dans l’écoute mutuelle et effective, nous nous engagions à travailler de sorte que dans l’avenir ne s’éveille plus une telle clameur, un événement comme cette réunion, et que l’Église, Peuple de Dieu, prenne soin, de façon compétente, responsable et aimable, des personnes impliquées, dans ce qui s’est passé, pour que la prévention ne se dissolve pas dans un beau programme, mais devienne un comportement pastoral ordinaire.
1. Situer et établir correctement la responsabilité
Face à l’anomalie inhérente à tout type d’abus perpétré contre des mineurs, s’impose d’abord un devoir de connaissance de ce qui s’est passé, conjointement à une prise de conscience de sa signification, au devoir de vérité, de justice, de réparation et de prévention afin de parvenir à la non-récurrence de telles abominations.
La connaissance des abus et de leur nature est, évidemment, le point de départ fondamental, en outre, il n’est pas possible de prévoir aucun plan de prévention si l’on ne sait pas ce qu’il est nécessaire de fuir. Cependant, la connaissance des faits et la définition de l’ampleur du phénomène, bien que nécessaires et fondamentales, cela n’est pourtant pas suffisant (François, Lettre au Peuple de Dieu, 20 août 2018, N. 2): il faut, pour atteindre les besoins susmentionnés de vérité, justice, réparation et prévention, la prise en charge de la responsabilité de la part de ceux qui en sont investis et le devoir qui en découle de rendre raison à son égard, c’est l’obligation de rendre des comptes.
La responsabilité impose une évaluation et un compte-rendu concernant les choix faits et les objectifs identifiés et plus ou moins réalisés. Elle répond à des exigences de caractère sociale, plaçant la personne qui est investie de la responsabilité face au devoir de rendre compte non seulement avec elle-même, mais aussi envers la société dans laquelle elle vit et au bénéfice de laquelle elle est appelée à effectuer un mandat déterminé.
Cependant, la responsabilité dans l’Église, contrairement à ce qu’elle peut paraître, ne répond pas en premier lieu aux besoins de caractère sociale et organisationnel. Ni -toujours en premier lieu – à la nécessité de transparence, à laquelle nous sommes tous appelés à prêter une attention particulière pour des raisons de vérité.
Ces besoins, à ne pas négliger ni minimiser, sont justes, d’ailleurs, l’ Église ne peut se désintéresser de ce que sa dimension institutionnelle exige, mais ce ne sont pas ces besoins sociaux à constituer le fondement de la responsabilité qui est plutôt à rechercher dans la nature propre de l’Église mystère de communion.
Nous savons que le caractère « de communion» de l’Église émerge en particulier à travers le Concile Vatican II, bien que, en vérité, ni la Constitution Dogmatique Lumen Gentium ni les autres documents de nature ecclésiologique ne semblent insister expressément sur l’Ecclésiologie de communion.
Il sera nécessaire d’attendre le Synode extraordinaire des évêques de l’année 1985 convoqué pour «méditer, approfondir et promouvoir l’application des enseignements de Vatican II vingt ans après sa conclusion» (Jean-Paul II, Discours à la fin de la IIème Assemblée extraordinaire du Synode des évêques, 7 décembre 1985) – pour que soit développée la catégorie de la communion comme une figure interprétative de l’église à la lumière de la révélation. Cela émerge de la référence première, directe, fondamentale, de la dimension sacramentelle de l’Église, c’est-à-dire à ce mystère trinitaire dans lequel l’Église reconnaît son propre visage, quoique sous forme sacramentelle et, par conséquent, analogique : « veluti Sacramentum », « c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1).
Ce n’est qu’en se reposant sur ce fondement qu’acquiert un sens accompli toute action dans l’Église : même une action marquée plus distinctement par les besoins de nature sociale que peut sembler l’imputabilité, doit être mis en relation avec la nature propre de l’Église elle-même, ou sa dimension « de communion ».
Qu’est-ce que cela peut signifier dans notre domaine spécifique ?
Je ressens souvent la nervosité dans l’Eglise pour l’attention qui est consacrée à la question des abus sexuels sur des enfants. Un prêtre, il y a quelques jours, s’est écrié : « Encore ? On continue à parler des abus ! C’est exagéré l’attention que l’Église réserve à ce thème ».
Mais même une dame pratiquante m’a dit innocemment : « Mieux vaut ne pas parler de ces questions, parce que sinon vous allez faire croitre la méfiance envers l’Église. En parler, obscurci tout le bien qui se fait dans les paroisses. Que le pape, les évêques et les prêtres voient cela entre eux ».
C’est d’en parler, ou plutôt les abus eux-mêmes – de conscience, de pouvoir, abus sexuels – qui obscurcissent le bien qui l’on vit dans les paroisses ?!

A ces personnes – et d’abord à moi-même – je dis que prendre conscience du phénomène et rendre compte de sa propre responsabilité n’est pas une obsession, ce n’est pas une action inquisitoire optionnelle pour satisfaire de simples besoins sociaux, mais bien une exigence découlant de la nature même de l’Église comme mystère de communion fondé dans la Trinité, comme Peuple de Dieu en chemin, qui n’évite pas, mais affronte, avec une conscience « de communion » renouvelée, même les défis liés aux abus qui se sont produits en son sein du détriment des plus petits, minant et en déchirant cette communion.
2. Certaines questions ecclésiologiques soulevées
C’est seulement à partir de la vision de l’Église comme sacrement que signifie et réalise le mystère de la communion trinitaire, qu’il est possible de comprendre correctement la variété des charismes, des dons et ministères dans l’Église, la variété des rôles et des fonctions dans le Peuple de Dieu.
2.1 Une première question cruciale qui découle de ce qui a été dit, est la suivante: les fidèles de l’Église ne s’attribuent pas les rôles et les charges sur une base distributive sociale pour des exigences de fonctionnement institutionnel: nous savons bien que le sacerdoce commun des fidèles, fondée dans le baptême, rend participants les chrétiens, précisément en vertu du baptême, du triple munus du Christ Prêtre, Roi et Prophète (cf. LG 10).
L’honnête référence, par conséquent, à l’Église comme Communion, en tant que Peuple de Dieu en chemin, exige et incite à ce que tous les éléments de ce Peuple, chacun selon le mode qui lui est propre, vivent de manière conséquente ainsi les droits-devoirs dont ils ont été faits participants dans le Baptême. Il ne s’agit pas d’accaparer des postes ou des fonctions ou de se partager un pouvoir : l’appel à être le Peuple de Dieu nous donne une mission que chacun est envoyé à vivre selon les dons reçus, pas tout seul, mais précisément en tant que Peuple.
2.2 Une seconde question importante dans le contexte de notre discours c’est la correcte compréhension du ministère ordonné, en particulier dans la relation entre Évêque et prêtres.
Si d’un côté, les prêtres sont tenus d’être unis à leur évêque avec la charité sincère et l’obéissance, reconnaissant en lui l’autorité du Christ en tant que Pasteur suprême, néanmoins les évêques, comme c’est écrit dans le décret Presbyterorum Ordinis au N. 7, doivent « se préoccuper, autant qu’ils le peuvent, de leur [des prêtres] bien, matériel d’abord, mais surtout spirituel. Car c’est à eux [aux Evêques], avant tout, que revient la grave responsabilité de la sainteté de leurs prêtres ; ils doivent donc se préoccuper activement de la formation permanente de leur presbyterium (CD 15-16) ».
Une relation correcte entre évêque et prêtres conduit à une prise en charge réelle, du point de vue matériel et spirituel, des prêtres par l’évêque, à qui incombe en premier lieu la responsabilité de leur sainteté.
Il est nécessaire que le ministère sacerdotal, à tous les niveaux, s’appuyant sur une solide formation, soit vécu pour ce qu’il est, comme dévouement et service au Christ et à l’Église en lavant les pieds, selon ce que Jésus a fait aux apôtres, tout en décevant beaucoup de ses contemporains parce qu’il n’exerçait pas le pouvoir auquel ils s’attendaient: le ministère sacerdotal vécu ainsi préserve de toute tentation de caresser le pouvoir, de l’auto-référence et de la complaisance, de la domination et de l’exploitation des autres pour cultiver son plaisir à n’importe quel niveau, même sexuel.
Combien de prêtres, combien d’évêques se construisent-ils avec leur ministère, avec leur vie de prière, de dévouement et de service, en établissant des relations saines et libres au sein du Peuple de Dieu. A ces prêtres, nous disons merci, les encourageant et soutenant dans la vie de sainteté, de service dans la vigne du Seigneur vers qui ils sont appelés !
2.3 Une ultérieure remarque, qui découle de la vision de l’Église comme communion, Peuple de Dieu en chemin, est le besoin d’interaction entre les différents charismes et ministères. L’Église est rendue visible et efficace dans sa nature « de communion » si chaque baptisé vit et réalise ce qui lui est propre, si la diversité des charismes et ministères s’exprime dans le nécessaire engagement de chacun, tout en respectant les différences.
Le document conciliaire susmentionné de 1965 dédié aux prêtres établissait non seulement que « les prêtres ont à reconnaître sincèrement et à promouvoir la dignité des laïcs et leur rôle propre dans la mission de l’Église. », mais aussi les exhortait à « écouter volontiers les laïcs, tenir compte fraternellement de leurs aspirations, reconnaître leur expérience et leur compétence dans les différents domaines de l’activité humaine, pour pouvoir avec eux discerner les signes des temps ». Et disait qu’ils n’hésitent pas à faire confiance aux laïcs « pour leur remettre des charges au service de l’Église, leur laissant la liberté et la marge d’action, bien plus, en les invitant, quand l’occasion se présente, à prendre d’eux-mêmes des initiatives » (PO 9).
On met en évidence à partir de la communion qui constitue l’Église, une nécessaire contribution diversifiée de tous, non pas pour revendiquer un « rôle », mais pour rendre visible la richesse multiforme de l’Église dans le respect de ce qui est propre à chacun, contre la prétention que le charisme de la synthèse est la synthèse des charismes.
2.4 Enfin, il faut que la participation de tout le Peuple de Dieu soit nécessairement dynamique : les laïcs, les consacrés ne sont pas appelés à être de simples exécuteurs de ce que décident les clercs, mais tous serviteurs dans l’unique vigne, où chacun contribue avec son propre apport en étant soi-même engagé dans le discernement que l’Esprit suggère à l’Église.
Sans aucun doute, le ministère ordonné, dans son plus haut degré, le ministère épiscopal, porte en soi la responsabilité de prendre la décision ultime, en vertu du pouvoir qui lui est reconnu, mais il ne peut pas agir seul ou limité à un petit nombre son action de discernement. Il sera vital pour les évêques d’avoir recours à la contribution, au conseil et au discernement dont tous dans son Église, y compris les laïcs, sont capables, non seulement pour eux-mêmes et pour les choix personnels, mais comme Église et pour le bien de l’Église dans le hic et nunc où ils sont appelés à vivre.
C’est toujours le fondement « de communion » de l’Église qui doit nous indiquer le chemin et la méthode, dans ce cas, une dynamique d’implication de tout le Peuple de Dieu qui requiert de vivre, en marchant ensemble, la « synodalité » comme processus partagé, dans lequel chacun a une part différente, des responsabilités diversifiées, mais tous constituent l’unique Église. « En fait – comme nous le lisons dans la Constitution apostolique Episcopalis Communio du 15 septembre 2018 – « la totalité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2, 20.27), ne peut se tromper dans la foi, et le manifeste à travers le sens surnaturel de la foi du Peuple entier, lorsque “des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs”, elle expose son consentement universel en matière de foi et de morale » (LG 12). […] Un Évêque, qui vit au milieu de ses fidèles, a les oreilles grandes ouvertes pour écouter “ce que l’Esprit dit aux Églises” (Ap 2, 7) et la “voix des brebis”, à travers aussi ces organismes diocésains qui ont le devoir de conseiller l’Évêque, en encourageant un dialogue loyal et constructif » (CE 5).
Ces réflexions nous invitent à éviter deux positions erronées.
Un évêque ne peut pas penser que les questions concernant l’Église peuvent être résolues par lui en agissant seul ou exclusivement avec les pairs, selon le refrain : « seul un évêque peut savoir ce qui est bon pour les évêques », ou, d’une manière similaire, « seul un prêtre sait ce qui est bon pour les prêtres, seul un laïc pour les laïcs, seule une femme pour les femmes », et ainsi de suite.
Nous pouvons autant affirmer qu’il est erroné, à mon avis, de soutenir que la participation des laïcs en tant que tels dans les questions touchant les ministres ordonnés soit une garantie d’une plus grande honnêteté, car elles seraient des « tierces parties » au regard des événements. Quelque part, on dit : « Constituons une commission de laïcs parce que c’est plus crédible qu’une commission de prêtres, qui tendent à être moins objectifs, à couvrir et défendre a priori ».
En tant que femme laïque, je dois dire honnêtement que, indistinctement parmi les prêtres, parmi les religieux, comme parmi les laïcs il peut y avoir, et il y a des personnes non-libres, prêtes à couvrir a priori, au service de quelqu’un au lieu d’être au service aimant, intelligent et libre de l’Église et fidèles à leur propre vocation.
Revenir à la nature « de communion » de l’Église, où se réalisent la diversité des charismes et des ministères, ne signifie pas un aplatissement, mais comporte richesse et force, aide à trouver les raisons d’éviter ces slogans extrêmes et improductifs.
3. Idées pour certaines actualisations pratiques
Tenant compte des fondements et les questions brièvement rappelées, cette rencontre nous offre l’opportunité de connaître ce qui est mis en œuvre dans l’Église, ce qui doit encore être mis en œuvre, conscient que s’il est vrai que cette réunion convoquée par le Pape ne constitue pas le point d’arrivée d’un itinéraire achevé, validé et parfait, il est autant vrai qu’elle n’est même pas le point de départ, comme si l’on pouvait ignorer les interventions magistrales, normatives, pastorales qui ont été promues jusqu’à présent et les nombreuses actions qui s’en sont ensuivies.
3.1 Le premier point est donc la connaissance et l’étude de ces pratiques déjà rodées et des efficaces promues dans d’autres contextes ecclésiaux, d’autres épiscopats. Je me réfère à des pratiques qui envisagent l’implication de personnes compétentes qui représentent tout le Peuple de Dieu dans la mesure où chaque baptisé, animé par l’Esprit, est apte à exprimer un « sensus fidei » que l’Église ne peut ignorer.
Dans ce contexte, il est bon de reconnaître le travail de ceux qui, dans les années récentes, ont consacré intelligence, cœur et mains à cette cause en écoutant les victimes, élaborant protocoles, lignes directrices, révisions et autres, en se prévalant des compétences spécifiques tirées de tout le Peuple de Dieu.
Compte tenu de la diversité due aux différents contextes culturels et sociaux dans lesquels l’Église est présente, il n’y a pas de classe affaire dans les Eglises particulières et une classe économique dans d’autres, mais l’unique Église du Christ est exprimée partout, garantissant à tous, outils, procédures, critères qui, au-delà des nécessaires particularités locales, protègent les mineurs en recherchant la vérité, la justice, promouvant la réparation et la prévention au sujet des abus sexuels.
3.2 Dans les lignes directrices nationales, un chapitre spécifique doit être inséré, qui détermine les motifs et les procédures de responsabilité, afin que les évêques et les supérieurs religieux établissent une procédure de vérification ordinaire pour l’accomplissement de ce qui est prévu et une motivation des actions entreprises ou non, afin de ne pas avoir à justifier successivement les raisons d’un certain comportement, en le soumettant aux besoins du moment, éventuellement lié à une action défensive.
Prévoir une procédure ordinaire de vérification ne doit pas être interprétée comme une méfiance envers le supérieur ou l’évêque, mais considérée plutôt comme une aide qui leur permet de se concentrer, principalement à soi-même et au meilleur moment, c’est-à-dire quand tous les éléments sont clairs et présents, sur les raisons d’une certaine action accomplie ou omise. Dire que même l’évêque doit toujours rendre compte de son travail à quelqu’un ne signifie pas le soumettre à un contrôle ou l’entourer de méfiance a priori, mais l’engager dans la dynamique de la communion ecclésiale où tous les membres agissent de manière coordonnée, selon leurs propres charismes et ministères. Si un prêtre rend compte à la communauté, au presbyterium et à son évêque de son activité, un évêque à qui rend-t-il compte ? A quelle responsabilité est-il assujetti ?
Identifier une réalité de responsabilisation non seulement n’affaiblit pas son autorité, mais le valorise comme Pasteur d’un troupeau, dans sa fonction qui n’est pas séparée du peuple pour lequel il est appelé à donner la vie. Il peut également arriver, comme pour chacun de nous, que le fait de rendre des comptes, met en lumière une erreur, il devient évident qu’une voie entreprise est erronée, probablement parce que sur le moment on pensait – en faisant erreur – d’agir pour le bien. Cela ne constituera pas un jugement dont il faut se défendre afin de recouvrer la crédibilité, une tache sur sa propre réputation, une trahison à sa propre autorité ordinaire et immédiate (cf CD 8a).
Au contraire, ce sera le témoignage d’une route faite ensemble, que seulement ensemble on peut trouver le discernement d’une vérité, d’une justice, d’une charité. La logique de la communion ne se décline pas en accusation et défense, mais un con-courir («courir-avec» précisément, donc seulement dans la communion) au bien de tous. La responsabilité est pour se faire une forme, aujourd’hui encore plus nécessaire de cette logique de communion.
L’ouverture, au niveau local, sur une base diocésaine ou régionale, de conseils qui opèrent de manière coresponsable avec les évêques et les supérieurs religieux, en les soutenant dans cette tâche avec compétence et en agissant comme lieu de vérification et de discernement en ce qui concerne les initiatives à entreprendre, toutefois sans se substituer à eux ni s’ingérer dans des décisions qui relèvent de la directe responsabilité juridictionnelle de l’évêque ou du supérieur, peut constituer un exemple et un modèle d’une saine collaboration de laïcs, religieux, ecclésiastiques dans la vie de l’Église.
3.3 Il est souhaitable que, sur le territoire de chaque Conférence épiscopale, soient créés des commissions consultatives indépendantes afin de conseiller et d’assister les évêques et les supérieurs religieux et de promouvoir un niveau uniforme de responsabilité dans les différents diocèses. Que ces commissions soient composées par des laïcs, sans exclure les religieux et clercs. Il ne s’agirait pas, dans le cas, des personnes qui jugent les évêques, mais des fidèles qui prêtent leur conseil et assistance aux pasteurs, en évaluant également avec les critères évangéliques le travail, et qui également informent les fidèles de tout le territoire concernant les procédures appropriées.
Grâce à des rapports et des réunions périodiques, de telles commissions consultatives nationales, pourron tà leur tour contribuer à assurer une plus grande uniformité de pratiques et une confrontation toujours plus efficace, de sorte que les Eglises particulières apprennent l’une de l’autre en esprit de confiance réciproque et de communion, dans le but d’assumer et de partager activement la préoccupation pour les plus petits et les plus vulnérables.
3.4 Il faut considérer l’opportunité d’un bureau central – non pas de responsabilité qui est plutôt à évaluer au niveau local – qui promeuve la formation de ces organismes dans une identité vraiment ecclésiale, sollicite et vérifie régulièrement le bon fonctionnement de ce qui est initié au niveau local, avec un accent sur l’intégrité aussi du point de vue ecclésiologique, de sorte que les charismes et les ministères en présence soient toutes représentés de manière adéquate et que chacun puisse contribuer avec son apport spécifique tout en préservant la liberté de chacun.
3.5 Il sera nécessaire de réviser la législation actuelle sur le secret pontifical, afin qu’il protège les valeurs qu’il entend protéger, à savoir la dignité des personnes impliquées, la bonne réputation de chacun, le bien de l’Église, mais en même temps permette le développement d’un climat de plus grande transparence et confiance, en évitant l’idée que le secret est utilisé pour cacher les problèmes plutôt que de protéger les biens en jeu.
3.6 Il faudra également affiner des critères pour une communication correcte dans un temps comme le nôtre où les besoins de transparence doivent être équilibrés avec ceux de la confidentialité : en fait, une confidentialité injustifiable, ainsi qu’une divulgation incontrôlée, risquent de créer une mauvaise communication et de ne pas rendre service à la vérité. La responsabilité est également de savoir communiquer. Si, en fait, on ne communique pas, comment peut-on rendre compte aux autres ? Et donc quelle communion peut-il y avoir entre nous ?
Conclusion
Les considérations qui viennent d’être mentionnées concernant les actions possibles à réaliser en tant qu’Église, en tant que Peuple de Dieu en communion et en co-responsabilité, ne sont pas seulement une sollicitation à la réflexion et à la confrontation transversale, en particulier dans les travaux de groupe afin de susciter approfondissements et applications concrètes. En fait, comme nous exhorte la lettre au Peuple de Dieu, « aujourd’hui nous avons à relever le défi en tant que Peuple de Dieu d’assumer la douleur de nos frères blessés dans leur chair et dans leur esprit. Si par le passé l’omission a pu être tenue pour une forme de réponse, nous voulons aujourd’hui que la solidarité, entendue dans son acception plus profonde et exigeante, caractérise notre façon de bâtir le présent et l’avenir ».

 
 
 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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