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« Pas de communication sans capacité d’écoute et de vision », par Paolo Ruffini (traduction complète)

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Journée mondiale des communications, présentation du message du pape François

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« Il n’y a pas de communication sans capacité d’écoute et de vision », a fait observer Paolo Ruffini lors de la conférence de presse de présentation du message du pape pour la Journée mondiale des communications sociales.
“Communication et miséricorde: une rencontre féconde” : c’est le titre du message du pape François pour la Journée mondiale des communications sociales, qui en est, en cette année 2016, Année sainte extraordinaire de la miséricorde, à sa 50e édition.
Le message est en date du 24 janvier, fête du saint patron des journalistes, saint François de Sales, mais il est publié et présenté le 22 janvier à la presse, au Vatican, par le P. Federico Lombardi, S.J., directeur de la Salle de presse du Saint-Siège, Dario Edoardo Vigano, préfet du secrétariat pour la communication, M. Paolo Ruffini, directeur de la chaîne catholique italienne TV2000, et Mme Marinella Perroni, de l’athénée pontifical Saint-Anselme.
Voici notre traduction complète de l’intervention de cet expert de la télévision.
A.B.
Intervention de M. Ruffini
Je dois commencer cette brève intervention par une confession : je travaille depuis de nombreuses années dans le monde de la télévision ; mais je ne sais vraiment pas comment faire pour raconter des histoires de miséricorde à travers les images. Je ne sais pas s’il existe une manière, une méthode.
Au contraire…
Ce que je sais, ou que je crois savoir, c’est que si nous réduisons tout à une règle, à une norme, nous risquons de ne rien communiquer ; nous réduisons les images à une apparence froide, et le récit à une calligraphie.
Alors que, pour communiquer la miséricorde, il faut entrer dedans. En faire l’expérience. La partager. « To share. »
Le monde de la télévision a réduit le partage (« share ») à un nombre qui mesure une masse ; à un indice qui sert à peser la valeur des investissements publicitaires. Là où, en revanche, s’il y a une grandeur à mesurer, c’est celle de la plénitude, de la beauté, de ce partage. C’est une grandeur qui existe dans son caractère unique.
Après tant d’années de télévision, si j’ai appris quelque chose, c’est l’importance non pas du partage (« share ») en tant que tel, mais de la qualité de celui-ci.
Et ici, je crois, c’est une première réponse, imparfaite, à l’invitation que nous lance aujourd’hui le pape : créer des ponts, favoriser la rencontre et l’inclusion. Tenir ensemble la miséricorde et la vérité.
Notre part à nous réside justement en cela : construire un partage (un « share »), une proximité unique, avec les personnes tout entières et avec chacune ; pas avec une masse anonyme.
Notre devoir, à propos de communication par les images, est de renverser la vision, la manière même de voir les choses.
À propos d’images, il y en a une que j’aime beaucoup et qui raconte bien ce renversement.
C’est une photo qui représente un petit groupe d’enfants dans un bidonville brésilien. Sereins et joyeux comme le sont tous les enfants. Les nôtres et ceux des autres. Les pauvres comme les riches, inconscients de la valeur de l’argent ; et conscients, en revanche de la valeur de la relation avec l’autre. Cette photo en montre quelques-uns en train de jouer. Souriants, tout en regardant le monde la tête en bas. Par conséquent, en changeant totalement le point de vue. En renversant le haut et le bas, le dessus et le dessous. Et nous laissant involontairement un message. Les enfants sont ceux qui sont le plus proches de Dieu sur la terre. Il faut savoir apprendre des enfants. Par exemple, à voir les choses dans une autre perspective.
Parce qu’il s’agit, précisément, d’un regard ; j’ai envie de dire que la miséricorde peut seulement être vue et faire voir. Et qu’une télévision qui veut communiquer la miséricorde se fonde sur ce regard, donné ou reçu. Partagé.
Elle se fonde sur une reconnaissance, qui est le contraire de l’autosuffisance de celui qui se regarde dans un miroir.
Elle se fonde sur un chemin, qui est l’opposé de la répétition.
Cela signifie changer totalement de perspective. Le point de vue.
Réagir au dualisme féroce du web (j’aime/je n’aime pas ; ami/ennemi ; je t’écris/je t’efface), qui réduit la vie à un jeu (« game on/game over »), grâce à la compréhension d’un regard, à l’inclusion d’un regard, à la création d’un « ensemble », d’un réseau de regards.
Passer d’une télévision de l’affrontement, qui brandit les identités comme des corps contusionnés, à une télévision de la rencontre, du dialogue. D’une télévision qui, soit a perdu la mémoire soit utilise des lambeaux de mémoire pour construire des murs, à une télévision qui conserve toujours la mémoire pour s’aider et nous aider à ne pas commettre les mêmes erreurs à nouveau.
D’une télévision qui s’exalte dans la griserie de la violence, même simplement verbale, construite dans des arènes de moins en moins virtuelles, à une télévision fondée sur la caresse d’un regard miséricordieux, capable de prendre l’autre en charge. D’une télévision qui divise entre nous et eux, à une télévision du « nous ».
D’une télévision qui exhibe cyniquement la souffrance des autres à une télévision qui la partage avec respect, discrétion, participation, pour la racheter, la transfigurer.
D’une télévision à une seule dimension, qui sépare le corps de l’âme, à une télévision qui voit l’âme dans le corps et qui est capable de se poser les questions ultimes.
D’une télévision en plastique, construite sur le papier, à une télévision en chair et en os, capable de déchirer le voile de l’hypocrisie qui nous enveloppe et d’apporter dans les maisons la réalité que nous voudrions peut-être ne pas connaître.
Le défi d’une communication télévisée fondée sur la miséricorde réside dans la capacité à voir au-delà de l’apparence, ce qui n’est pas la même chose que de montrer ; il consiste en une manière différente de regarder les choses, et plus encore les personnes : les comprendre.
Une télévision qui construit la capacité de regarder le monde avec des yeux miséricordieux ne peut pas avoir peur d’être plantée dans la réalité. Elle ne s’enferme pas dans le monde clos de ses propres études. Elle ne construit pas un monde à son image. Elle ne vend pas des rêves à bon marché. Elle choisit la proximité comme critère pour comprendre, pour se laisser surprendre et pour surprendre, pour agir, pour choisir. Pour pleurer et pour rire. Pour se laisser émouvoir. Pour raisonner. Elle se fait proche des personnes en chair et en os dans le monde réel, et non dans le monde virtuel. Elle démasque l’alibi de pouvoir dire : je ne savais pas. Je ne pouvais pas savoir. Je n’avais pas vu. Elle est capable de saisir la grandeur même dans les petites choses.
Elle le fait avec la simplicité d’un artisan qui, comme le disait saint Augustin, voit dans le tronc non seulement ce qu’il est, mais ce qu’il sera.
En toute chose elle voit un développement, un processus.
« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux », fait dire Saint-Exupéry au petit prince.
Il n’est certes pas facile de raconter en images les choses invisibles pour les yeux.
Mais, comme l’écrit le pape, « ce n’est pas la technologie qui détermine si la communication est authentique ou non ».
Ce n’est pas non plus la liturgie parfaite des nombreux gourous auto-proclamés de la télévision.
C’est le regard pur.
Je me méfie toujours des théoriciens de la télévision comme un d’un monde à part, en auto-référence, avec ses rites et ses lois.
Je crois que cette manière de faire qui, apparemment, transforme la télévision en une religion, la condamne à être historiquement marginalisée, la contraint à vivre dans un monde parallèle, enchanté, en apparence seulement mais, en réalité, pourri et donc fragile, incapable de durer.
Il n’y a pas de pire communicateur que celui qui croit déjà tout savoir et qui case les histoires et les personnes dans des schémas abstraits. Ou que celui qui assujettit la réalité pour la rendre davantage semblable à ce qu’il voudrait qu’elle soit.
Il n’y a pas de communication sans capacité d’écoute et de vision.
S’il y a un langage à se réapproprier, c’est vraiment celui, libre, des enfants.
Ermanno Olmi, poète des images, et chrétien, a soutenu cela en parlant de saint François et en citant Tolstoï au sujets des écrivains. Et Picasso au sujet de la peinture. C’est aussi valable pour une télévision qui veut raconter et construire une histoire de miséricorde : avoir le même regard que Jésus sur le monde, et raconter la réalité sans céder aux stéréotypes ; ou aux cercles vicieux des condamnations et des vengeances qui, comme l’écrit le pape, continuent de nous piéger.
La miséricorde est le regard qui nous rend libres de raconter la vérité dans le monde.
© Traduction de Zenit, Constance Roques

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Constance Roques

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