Dès le début du XXIème siècle, alors que s’accélérait le phénomène de la mondialisation, les papes Jean-Paul II et Benoît XVI ont tous deux rappelé que la poursuite du bien commun ne pouvait se concevoir à l’intérieur des « seules frontières nationales ». « Pour construire complètement l’unité de la famille humaine », a à son tour déclaré le pape François, il faut « davantage de solidarité, davantage de miséricorde et davantage de fraternité ». En effet, a-t-il souligné, « les pathologies d’un monde divisé » s’affrontent seulement « en partant de l’écoute de la voix des pauvres », parfois des « peuples entiers ».
Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican, a prononcé un discours lors de la Conférence internationale sur le thème « 1919-2019. Espérances de paix entre Orient et Occident », le 14 mai 2019, à l’Université du Sacré-Cœur de Milan, à l’occasion du Xème anniversaire de la fondation de l’Institut Confucius de cette même université. Son intervention était intitulée : « L’unité de la famille humaine, du pape Benoît XV au pape François ».
« Le véritable équilibre de la paix se réalise à travers le dialogue », a aussi maintes fois affirmé le pape François, s’inspirant de ce que le cardinal Parolin définit comme « une ‘géopolitique de la fraternité’, centrée sur le respect des identités et sur le courage de l’altérité ». Dans ce contexte, le cardinal a évoqué l’importance de l’Accord provisoire du Saint-Siège avec la Chine, non seulement pour la vie des catholiques chinois, mais aussi pour consolider la paix mondiale.
Voici notre traduction de son intervention (3e et dernière partie).
La première partie se trouve ici et la seconde ici.
HG
Intervention du secrétaire d’État (3ème partie)
Jean-Paul II, Benoît XVI et le pape François
En ce qui concerne l’enseignement de Jean-Paul II, je me limiterai à rappeler deux moments particulièrement dramatiques : le premier fut le retour de la menace nucléaire entre 1985 et 1986. En cette circonstance difficile, le 27 octobre 1986 le pape convoqua les responsables des religions mondiales à Assise, priant pour que « l’humanité, dans sa diversité, [puise] dans ses ressources les plus profondes et vivifiantes, dans lesquelles se forme sa conscience et sur lesquelles se fonde l’action de tous les peuples ». Le second moment important fut à la veille de la guerre en Irak en 2003, qu’il chercha à conjurer par tous les moyens. Devant le Corps diplomatique, Jean-Paul II lança ce cri : « Non à la guerre : la guerre n’est jamais une fatalité ; elle est toujours un échec de l’humanité ».
Avec Jean-Paul II, l’unité de la famille humaine se tisse progressivement avec le phénomène de la mondialisation, désormais vainqueur sur le plan économique, mais chargé d’ambigüités sur le plan humain et humanitaire. En 2001, sur le fond dramatique des mouvements migratoires croissants, il rappela avec force le bien commun universel, qui embrasse toute la famille des peuples, « au-dessus de tout égoïsme nationaliste ».
Le thème de l’unité de la famille humaine fut à nouveau repris aussi dans l’encyclique Caritas in veritate du pape Benoît XVI, qui indique le devoir de poursuivre le bien commun sans le limiter aux seules frontières nationales : « Dans une société en voie de mondialisation, le bien commun et l’engagement en sa faveur ne peuvent pas ne pas assumer les dimensions de la famille humaine tout entière, c’est-à-dire la communauté des peuples et des nations ».
Pape François
Avec le pape François, nous sommes parvenus aux derniers pas – pour le moment – du long chemin initié par Benoît XV en 1919. Premier pape non européen depuis de nombreux siècles, François représente l’expression évidente de la profonde transformation de l’Église catholique, dont le centre de gravité s’est progressivement projeté de l’Europe vers un horizon mondial. On sait bien, en particulier, que ce pape a poursuivi le chemin initié par Vatican II, accentuant les caractéristiques d’une Église « en sortie » et tendue vers l’évangélisation, selon les lignes qu’il a indiquées dans l’encyclique ‘Evangelii gaudium’.
C’est dans cet horizon que s’inscrit aussi la façon dont le pape François approche la question de l’unité de la famille humaine, un thème qu’il a abordé dans un contexte différent de celui de ses prédécesseurs, parce que la mondialisation est devenue désormais un phénomène bien engagé, qui montre de plus en plus clairement aussi de graves limites, problèmes et contradictions. Pendant très longtemps, la croissance matérielle des processus d’interdépendance économique et technologique et la hausse des valeurs en direction d’une plus grande unité de la famille humaine n’ont fait que se juxtaposer et se superposer, mais sans donner vie à une intégration profonde entre les communautés humaines.
Pendant longtemps, on a espéré que, seul, le développement de relations économiques plus étroites pouvait favoriser la paix et qu’une plus grande interdépendance entre les êtres humains pousserait aussi vers une plus grande unité et fraternité. Mais l’évolution de la mondialisation a montré qu’un monde plus petit et interconnecté n’est pas nécessairement un monde plus uni et plus juste, habité par des hommes et des femmes qui se rencontrent, se soutiennent et collaborent entre elles. C’est pourquoi il est crucial de continuer à réfléchir non seulement sur la quantité mais aussi sur la qualité des contacts créés ou intensifiés par les processus de mondialisation et, surtout, sur les nouvelles divisions et inégalités que cela produit.
L’unité de la famille humaine est un thème qui émerge avec force dans l’encyclique ‘Laudato si’’ que le pape François a consacrée à la protection de la création et dans laquelle il s’adresse non seulement aux chrétiens ou aux hommes de bonne volonté mais, de manière inclusive, « à toute personne qui habite sur cette planète ». Il écrit : « il faut renforcer la conscience que nous sommes une seule famille humaine. Il n’y a pas de frontières ni de barrières politiques ou sociales qui nous permettent de nous isoler, et c’est aussi pourquoi il n’y a pas non plus d’espace pour la mondialisation de l’indifférence ». La planète sur laquelle nous vivons est à tout le monde et la vivre comme notre maison commune est une nécessité toujours plus impérieuse ; pour la protéger, il faut rechercher ensemble un développement durable et intégral.
Pour le pape, les pathologies d’un monde divisé ne s’affrontent pas en suivant simplement l’objectif illusoire d’une plus grande sécurité pour un petit nombre et, de fait, en maintenant des dynamiques injustes qui font souffrir un grand nombre, mais en partant de l’écoute de la voix des pauvres. Parfois, il s’agit de peuples entiers, souvent les plus pauvres de la terre et, tout en « respectant l’indépendance et la culture de chaque nation, il faut toujours se souvenir que la planète appartient à toute l’humanité et qu’elle est pour toute l’humanité ». Sur cette ligne, le pape François a récemment affirmé : « L’État national ne peut pas être considéré comme un absolu, comme une île par rapport au contexte environnant ».
Pour construire complètement l’unité de la famille humaine, il faut en revanche davantage de solidarité, davantage de miséricorde et davantage de fraternité. Je m’arrête brièvement uniquement sur ce dernier point, en rappelant que François y a fait référence à maintes occasions, entre autres lors de sa visite à l’ONU. Pendant son récent voyage aux Émirats arabes unis, il a dit que c’est seulement en s’inspirant de l’idéal de la fraternité qu’il est possible pour des membres différents de la famille humaine de se protéger réciproquement, faisant « prévaloir l’inclusion de l’autre sur l’exclusion ». Tout cela suppose la fidélité à sa propre identité mais aussi le « courage de l’altérité », qui pousse à prendre soin de l’autre et qui nous rappelle « que rien de ce qui est humain ne peut nous être étranger ».
Regard vers la Chine
Dans cette perspective Orient-Occident, s’inscrivent aussi les développements du rapport avec la Chine pendant le pontificat actuel, qui ont conduit à stipuler un Accord provisoire sur la nomination des évêques, signé à Pékin le 22 septembre 2018. C’est précisément parce qu’il s’inspire de motifs pastoraux que l’Accord regarde en premier lieu la vie de la communauté catholique dans ce grand pays et qu’en conséquence, il encourage la Chine à un dialogue toujours plus ouvert et collaboratif en faveur de la paix comme destin commun de la famille humaine.
Dans une interview accordée à Asia Times en février 2016, le pape François a affirmé : « C’est un grand défi de maintenir l’équilibre de la paix […]. Le monde occidental, le monde oriental et la Chine ont tous la capacité de maintenir l’équilibre de la paix et la force pour le faire. […] La rencontre s’obtient à travers le dialogue. Le véritable équilibre de la paix se réalise à travers le dialogue. Dialogue ne signifie pas que cela se termine par un compromis, la moitié du gâteau à toi et l’autre moitié à moi. C’est ce qui s’est passé à Yalta et nous avons vu les résultats. Non, dialogue signifie : bien, nous sommes arrivés à ce point, je peux être ou ne pas être d’accord, mais nous cheminons ensemble ; c’est ce que signifie construire ».
Ce sont des paroles qui s’inspirent de ce que l’on pourrait définir comme une « géopolitique de la fraternité », centrée sur le respect des identités et sur le courage de l’altérité. Le pape invite ainsi à éviter que ne surgissent de nouvelles formes de « guerre froide » dans la Communauté internationale et il exhorte chacun à considérer le monde entier comme un bien commun, à partager et à conserver, en affrontant les problèmes ensemble.
J’ai moi-même eu l’occasion, en août 2016, de dire que « nombreuses sont aujourd’hui les espérances et les attentes pour de nouveaux développements et une nouvelle saison dans les relations entre le Siège apostolique et la Chine, dans l’intérêt non seulement des catholiques sur la terre de Confucius, mais du pays tout entier, qui peut se vanter d’être l’une des plus grandes civilisations de la planète. Et lorsque l’Accord a été signé, j’ai souligné que cette signature n’était pas seulement importante pour la vie de l’Église catholique en Chine, mais qu’elle l’était aussi pour le dialogue entre le Saint-Siège et les Autorités civiles de ce pays et « pour la consolidation d’un horizon international de paix, en ce moment où nous expérimentons tant de tensions au niveau mondial ».
Nous connaissons tous les profonds tourments qui ont marqué la vie de l’Église catholique en Chine au cours du siècle dernier. Mais, grâce à Dieu, de ces souffrances si aigües, ne sont pas nées deux Églises parce que, chez tous les catholiques chinois, quelle que soit la communauté à laquelle ils appartiennent, le sentiment de la pleine communion avec l’évêque de Rome est resté vivant, ainsi que le désir d’aimer et de servir leur patrie. À la base de toutes ces tensions, il n’y a pas eu, en effet, de différences théologiques, mais plutôt deux manières différentes d’affronter la complexité du contexte historique et politique.
Aujourd’hui, pour la première fois après tant de décennies, tous les évêques en Chine sont en communion avec le Successeur de Pierre et beaucoup de catholiques posent des gestes de réconciliation qui aident à recomposer l’unité entres les évêques, les prêtres et les fidèles. Ce qui se produit maintenant dans l’Église en Chine jaillit en effet de la force d’une communion qui est vraiment catholique, c’est-à-dire universelle, et de laquelle vient aussi un élan vers la fraternité entre les peuples. L’intégration toujours plus féconde des catholiques chinois dans l’Église universelle et le chemin de réconciliation entre frères, initié ces dernières années, constituent certainement une nouveauté de portée historique, dont beaucoup bénéficieront dans le temps, pas seulement en Chine. En effet, le désir du Saint-Père François et de l’Église catholique tout entière est que tout cela puisse contribuer, avec l’aide de Dieu, à l’édification d’un monde plus juste et plus fraternel où l’harmonie entre les peuples et les nations pourra vraiment contribuer à la cause de la paix et à l’unité de la famille humaine. Merci.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat