Mgr Ivan Jurkovic, © wikipedia

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ONU: le Saint-Siège plaide pour une «harmonie interconfessionnelle»

A l’origine des conflits, une «vision limitée de la personne humaine»

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« L’harmonie interconfessionnelle ne doit pas se limiter à une simple coexistence pacifique : le vrai sens de la coexistence pacifique est l’enrichissement mutuel », affirme Mgr Ivan Jurkovic qui fait observer que l’origine des conflits, une «vision limitée de la personne humaine».
L’observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies et d’autres organisations internationales à Genève  est intervenu sur le thème « Dialogue sur la foi, la consolidation de la paix et le développement » le 9 février 2017, Genève, en Suisse.
« La tolérance a un sens négatif, souligne Mgr Jurkovic. Les relations entre les traditions religieuses devraient plutôt être basées sur le concept plus dynamique de fraternité. » « La paix, poursuit-il,  ne consiste pas simplement à reconnaître le statu quo, mais plutôt en une amélioration continue et proactive de notre situation en tant que famille humaine. »
Le Saint-Siège n’appuie pas la conception « du choc des civilisations » comme explication des tensions et des conflits qui se sont manifestés ces dernières années. « Cette interprétation implique une prise de position négative sur les religions, estime Mgr Jurkovic. Au contraire, à l’origine de toutes ces situations dramatiques, il y a une vision limitée de la personne humaine qui ouvre la voie à la propagation de l’injustice et l’inégalité. » « C’est à partir de nos cœurs et de nos esprits qu’il faut commencer la recherche de la justice et de la paix », affirme-t-il.
Mgr Jurkovic  rappelle que « le dialogue entre les traditions religieuses peut grandement contribuer à façonner la conscience humaine, un patrimoine moral largement partagé qui exprime un message éthique universel ». Il fait référence à « la « règle d’or » (« ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu’ils vous fassent ») qui est la base essentielle de la résolution pacifique des différends » et qui existe, «  sous une forme ou une autre, dans toutes les religions, tout comme le respect de la dignité de la personne humaine ».
Voici notre traduction intégrale, de l’anglais, de l’intervention de Mgr Ivan Jurkovic.
MD
Discours de Mgr Ivan Jurkovic
Monsieur le Modérateur,
Tout d’abord, permettez-moi d’exprimer un accueil chaleureux à tous et de remercier les organisateurs de cette initiative importante. Je voudrais également réitérer l’appréciation du Saint-Siège à l’égard de la direction du Royaume de Jordanie pour ses efforts visant à promouvoir à Genève le dialogue interreligieux et la coexistence pacifique entre les fidèles des différentes religions.
La première pensée qui m’est venue à l’esprit quand j’ai été invité à participer à ce panel est l’unité de son origine et le destin partagé de la famille humaine. Ce sont en effet les mêmes principes qui ont inspiré le Roi Abdullah II et le Prince Ghazi bin Muhammad de proposer une résolution des Nations Unies sur une « Semaine mondiale de l’harmonie interreligieuse », affirmant que « l’humanité est partout liée non seulement par des intérêts réciproques, mais par des commandements partagés d’aimer Dieu et le prochain ; d’aimer le bien et le prochain » (Discours du roi Abdallah II à l’Assemblée générale des Nations Unies 2010).
La même résolution 65 / L.5 sur la « Semaine mondiale de l’harmonie interreligieuse » perçoit à juste titre que les impératifs moraux de toutes les religions, convictions et croyances appellent à la paix, à la tolérance et à la compréhension mutuelle. En effet, le dialogue interreligieux, avant d’être une discussion sur les thèmes principaux de la foi, est toujours une conversation sur notre existence humaine.
Aujourd’hui, il semble important de souligner le dialogue à tous les niveaux : diplomatique, entre traditions religieuses, et interculturel. Le pape François, à travers de nombreuses actions symboliques, a prouvé que « se rencontrer dans l’amitié fraternelle est un signe puissant qui montre l’harmonie que les religions peuvent construire ensemble, basée sur les relations personnelles et sur la bonne volonté des responsables ». (Discours du pape François lors de la rencontre interreligieuse avec le cheikh et avec les représentants des différentes communautés religieuses de l’Azerbaïdjan, septembre 2016).
Bien sûr, ce n’est pas une simple tolérance l’un de l’autre qui devrait représenter notre terrain d’entente, parce que la tolérance a un sens négatif. Les relations entre les traditions religieuses devraient plutôt être basées sur le concept plus dynamique de fraternité, parce que nous serons responsables non seulement des actions que nous faisons, mais aussi de celles que nous omettons de faire. À cet égard, l’harmonie interconfessionnelle ne doit pas se limiter à une simple coexistence pacifique : le vrai sens de la coexistence pacifique est l’enrichissement mutuel. La paix doit être vue dans sa connotation positive et dynamique : la paix ne consiste pas simplement à reconnaître le statu quo, mais plutôt en une amélioration continue et proactive de notre situation en tant que famille humaine.
Pour ces raisons, une paix basée sur la peur et sur la dissuasion ne peut être considérée comme une véritable paix. Les échecs à la résolution pacifique des conflits et au désarmement mondial témoignent de la nécessité de nouveaux efforts pour favoriser l’harmonie entre les croyants. « Nous ne pouvons pas accepter que les armes nucléaires soient simplement un moyen inévitable de maintenir un équilibre du pouvoir par un équilibre de la terreur. En tant que pèlerins de la paix, nous devons défier ces façons de penser. C’est d’autant plus urgent aujourd’hui que la possibilité de mettre en branle le terrible mécanisme de la destruction générale est malheureusement très réelle » (Discours de Mgr Gallagher aux autorités civiles et religieuses, Hiroshima, 30 janvier 2017).
Sur un plan plus pratique, la pertinence d’un dialogue interreligieux proactif et sa contribution à la poursuite du bien commun peuvent être appréciées tout en abordant d’autres préoccupations majeures de notre temps. Pensons aux droits de l’homme, aux migrations, aux changements climatiques, aux réglementations commerciales, à la protection de l’environnement et à la prévention des conflits. Pour gérer efficacement ces problèmes mondiaux, il ne peut y avoir d’autre alternative que le dialogue interreligieux et un effort concerté.
Lorsqu’on analyse les situations de tension et de conflit qui se sont manifestées ces dernières années dans le scénario international, une dangereuse tentation est de les placer dans la perspective du choc des civilisations, ce qui en fait une prophétie auto-réalisatrice inévitable. Mais cette interprétation implique une prise de position négative sur les religions. Au contraire, à l’origine de toutes ces situations dramatiques, il y a une vision limitée de la personne humaine qui ouvre la voie à la propagation de l’injustice et l’inégalité, conduisant ainsi à des situations de conflit. En effet, de même que c’est dans l’esprit et le cœur des hommes que commencent les guerres, c’est à partir de nos cœurs et de nos esprits qu’il faut commencer la recherche de la justice et de la paix.
« Les religions sont appelées à construire une culture de rencontre et de paix, basée sur la patience, la compréhension et des pas humbles et tangibles. La fraternité et le partage que nous cherchons à accroître ne seront pas appréciés par ceux qui veulent mettre en lumière les divisions, resserrer les tensions et profiter de l’opposition et des différences ; en revanche, la fraternité et le partage sont invoqués et désirés par ceux qui désirent le bien commun. (Discours du pape François lors de la rencontre interreligieuse avec le cheikh et avec les représentants des différentes communautés religieuses de l’Azerbaïdjan en septembre 2016).
Le dialogue entre les traditions religieuses peut grandement contribuer à façonner la conscience humaine, un patrimoine moral largement partagé qui exprime un message éthique universel. « La forme et l’extension de ces traditions peuvent différer considérablement selon les cultures et les situations, mais néanmoins elles nous rappellent l’existence d’un patrimoine de valeurs morales communes à tous les êtres humains » (Cardinal Tauran au 3ème Congrès des leaders du monde et les religions traditionnelles, Astana, 2009). Par exemple, la « règle d’or » qui est la base essentielle de la résolution pacifique des différends (« ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu’ils vous fassent » ou « faites aux autres comme vous voudriez qu’ils vous fassent ») se trouve, sous une forme ou une autre, dans toutes les religions, tout comme le respect de la dignité de la personne humaine.
La consolidation de la paix par la non-violence active est le complément naturel et nécessaire aux efforts continus de l’Église pour limiter l’usage de la force en recourant aux normes morales. (Pape François, Message pour la Journée mondiale de la paix 2017: « La non-violence : un style de politique pour la paix »). Dans de nombreuses parties du monde, à commencer par le Moyen-Orient, une telle approche est maintenant nécessaire non seulement pour mettre fin au conflit syrien, mais aussi pour favoriser des sociétés pleinement réconciliées et pour renouveler une coexistence civile pacifique.
Le Pape François a fait du dialogue interreligieux une de ses priorités. Dans sa visite symbolique en République centrafricaine, le pape François s’est approché des musulmans, des catholiques et des protestants, leur demandant de mettre l’amour l’un pour l’autre au-dessus de tout, prouvant que la religion ne divise pas les gens mais les unit. La paix est essentielle au développement du monde, à l’instauration d’une culture de dialogue et de rencontre pour un avenir véritablement inclusif pour tous, sans marginalisation.
Les communautés religieuses et ethniques ne devraient jamais devenir un instrument de jeux géopolitiques régionaux et internationaux. Dans sa lettre aux évêques du Nigéria, le pape François a déclaré que « massacrer des innocents au nom de Dieu n’est pas la religion, mais la manipulation de la religion pour des motifs ultérieurs. En fait, les croyants du monde entier ont connu un résultat tragique commun, aux mains de personnes qui prétendent être religieuses, mais qui abusent de la religion, pour en faire une idéologie pour leurs propres intérêts déformés d’exploitation et de meurtre (Lettre aux évêques du Nigéria, 17 mars 2015).
Lors de ses récentes visites en Suède, le Pape François a également mentionné le besoin urgent de guérir les blessures passées et de cheminer ensemble vers des objectifs communs, soulignant la nécessité du dialogue dans la famille humaine. Ce dialogue est possible et nécessaire, comme l’a montré la rencontre historique à Cuba avec le patriarche Cyrille de Moscou, ainsi que ses voyages en Arménie, en Géorgie et en Azerbaïdjan. (Cf. Discours du pape François au Corps diplomatique 2017)
Dans un autre exemple de sa préoccupation pour la promotion de la paix, le Pape François a également encouragé le Venezuela à poursuivre la voie d’un dialogue social sincère et constructif afin d’atténuer les souffrances du peuple, en particulier des pauvres. De même, dans la situation délicate de la Colombie, le Pape François a souligné l’importance de l’unité, de la réconciliation et du pardon. En effet, la paix, la justice et le pardon se complètent mutuellement : il ne peut y avoir de paix sans justice, mais pas de vraie justice sans pardon.
Je voudrais conclure mon intervention en soulignant une fois de plus que nous appartenons tous à une seule famille humaine et réitérer la signification et l’urgence du dialogue interreligieux, car les religions peuvent construire des ponts et être des médiateurs créatifs de la paix. Le dialogue est essentiel si nous voulons nous connaître, nous comprendre et nous respecter les uns les autres. « Mais, comme l’expérience l’a montré, pour que ce dialogue et cette rencontre soient efficaces, il doit être fondé sur une présentation complète et directe de nos convictions respectives. Certes, ce dialogue accentuera la diversité de nos croyances, traditions et pratiques. Mais si nous sommes honnêtes en présentant nos convictions, nous serons en mesure de voir plus clairement ce que nous avons en commun [..] Par souci de paix, on ne devrait jamais laisser les croyances religieuses être abusées à cause de la violence et la guerre. Nous devons être clairs et sans équivoque pour que nos communautés vivent pleinement les principes de la paix et de la coexistence que l’on trouve dans chaque religion et dénoncent les actes de violence lorsqu’ils sont commis » (Discours du pape François au rassemblement interreligieux et œcuménique au Sri Lanka, 2015).
Je vous remercie.
© Traduction de Zenit, Constance Roques

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Constance Roques

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