Le cardinal Parolin dénonce « une détérioration continue, voire une agression » du droit « inaliénable » à la liberté religieuse, dans de nombreuses régions du monde. Malgré la « forte protection dont jouit la liberté religieuse dans le cadre du droit international », il déplore le faible retentissement médiatique des « graves violations de ce droit fondamental qui se produisent souvent en toute impunité ». Mais surtout, il invite à « travailler ensemble » pour s’attaquer à la racine du problème.
Le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin a prononcé un discours pour conclure les travaux du colloque intitulé « Unissons-nous pour défendre la liberté religieuse internationale » qui s’est tenu au siège de l’ambassade des Etats-Unis auprès du Saint-Siège, ce mercredi 3 avril 2019. Le secrétaire d’État a rappelé que les autorités civiles sont « le gardien » et non « l’auteur » du droit à la liberté religieuse, qui découle de la « dimension transcendante de la nature humaine ».
À l’origine des violations de ce droit, analyse-t-il, deux « forces conceptuelles » se prêtent à « une politisation facile ». D’une part « l’intolérance religieuse », qu’il définit comme « une approche myope », et d’autre part, un point de vue « idéologique » qui prône certains « soi-disant “nouveaux droits de l’homme” » parfois « en conflit avec les droits fondamentaux universellement reconnus ». Les religions, conclut le cardinal, nous rappellent « notre liberté irréductible face à toute prétention au pouvoir absolu ».
Voici notre traduction du discours du cardinal Parolin, prononcé en anglais.
HG
Discours du cardinal Parolin
Excellences, chers amis,
Je suis heureux de cette occasion de faire quelques brèves remarques à l’issue de ce colloque international sur la liberté religieuse, organisé par l’ambassade des États-Unis auprès du Saint-Siège avec la coopération d’autres institutions. Je remercie tout particulièrement Monsieur l’Ambassadeur Gingrich de m’avoir aimablement invité à livrer quelques réflexions finales sur ce thème : Unissons-nous pour défendre la liberté religieuse internationale.
Un bref examen des nombreuses violations de la liberté religieuse sur la scène mondiale et du nombre effroyable de personnes innocentes qui sont persécutées en raison de leurs croyances, y compris de nombreux chrétiens, ne devrait laisser dans notre esprit aucun doute que nous sommes confrontés à une attaque agressive qui frappe au cœur même de la jouissance des droits humains fondamentaux, nécessaires pour l’épanouissement de la personne humaine, de la société dans son ensemble et pour une coexistence pacifique entre nations.
Malgré tous les efforts pour promouvoir et renforcer le droit humain fondamental de la liberté religieuse, nous assistons en fait à une détérioration continue, voire une agression, de ce droit inaliénable dans de nombreuses régions du monde. La religion a toujours fait l’objet d’une grande attention, comme en témoigne sa réglementation par les systèmes juridiques nationaux ou internationaux. Le choix de la foi et l’adhésion à une religion qui en découle ont un impact sur tous les niveaux de la vie, ainsi que sur les sphères sociales et politiques. Par conséquent, le choix et la pratique de la foi doivent être libres de toute contraintes et coercition. En dépit de la forte protection dont jouit la liberté religieuse dans le cadre du droit international, y compris sa présentation claire dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) ainsi que dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, nous continuons d’être témoins de graves violations de ce droit fondamental qui se produisent souvent en toute impunité et ne reçoivent parfois que peu, voire aucune attention dans les médias.
Cela dit, le sujet des deux tables rondes qui ont eu lieu ce matin est tout à fait approprié. La sensibilisation du public à la réalité de la persécution religieuse, en particulier par les moyens rapides qu’offrent désormais les médias numériques, demeure une mesure utile pour lutter contre les violations de la liberté religieuse. En effet, les acteurs des médias et des communications sociales doivent mettre en lumière les réalités qui menacent le bien commun de la famille humaine. Les violations flagrantes de la liberté de religion devraient être comptées parmi ces menaces.
La deuxième table ronde soulève un sujet encore plus difficile, celui de la coopération internationale, non pas simplement « être unis », mais « travailler ensemble » à tous les niveaux pour défendre et faire progresser la liberté religieuse. En ce qui concerne cet aspect, l’Église catholique n’a cessé de rechercher tous les moyens possibles pour encourager le respect mutuel et la collaboration entre les nations, les peuples et les religions afin de promouvoir la coexistence pacifique, de favoriser un climat social/politique qui respecte la liberté de conscience de la personne et les croyances de cette personne tout en respectant son droit égal à celui des autres citoyens, surtout dans les situations où ses croyances ne sont peut-être pas celles de la majorité.
En effet, en réfléchissant aux deux principaux domaines abordés dans les panels, il apparaît clairement qu’il serait inutile de sensibiliser l’opinion à la réalité brutale de la persécution religieuse dans le monde si l’on ne s’efforçait pas sérieusement et avec détermination de travailler ensemble pour traiter et surmonter les causes profondes de cette question. C’est bien sûr un grand défi, car en passant des « mots » aux « actions », on rencontre toujours un certain nombre de complications.
Un aspect important est que, lorsque nous parlons de liberté religieuse, nous ne devons jamais perdre de vue le fondement anthropologique de ce droit. Ce serait courir le risque de comprendre la liberté religieuse comme quelque chose d’accessoire à la personne humaine, comme quelque chose de concédé de « l’extérieur » de la personne, même par l’État, plutôt que comme un don fait par Dieu, un don enraciné dans la dimension transcendante de la nature humaine. Il est clair que les autorités civiles ont l’obligation de protéger et de défendre la liberté religieuse, mais non pas dans le sens d’en être l’auteur, mais plutôt le gardien.
La protection et les limites sont les deux éléments clés qui entourent tout débat sur la liberté religieuse en tant que droit fondamental en raison de son lien direct avec la personne humaine. En fait, elle joue également un rôle stratégique dans l’évaluation et l’assurance de l’attention et des garanties accordées par les pouvoirs publics. Cette interprétation reflète le processus d’affirmation des droits de l’homme qui a caractérisé l’histoire des derniers siècles, plaçant la personne humaine et ses droits au centre des actions juridiques, politiques, culturelles et religieuses. En effet, la liberté religieuse pose la question de l’indivisibilité des droits de l’homme, qui est devenue un principe directeur et une hypothèse fondamentale du droit international des droits de l’homme.
La liberté religieuse est un droit fondamental qui reflète la plus haute dignité humaine, la capacité de rechercher la vérité et de s’y conformer, et qui reconnaît en elle une condition indispensable à la capacité de déployer toutes ses propres potentialités. La liberté religieuse n’est pas seulement celle des croyances ou des cultes privés. C’est la liberté de vivre, tant en privé qu’en public, selon les principes éthiques qui découlent des principes religieux. C’est un grand défi dans le monde globalisé, où les faibles convictions abaissent aussi le niveau éthique général et où, au nom d’une fausse conception de la tolérance, on en vient à persécuter ceux qui défendent leur foi.
Un autre aspect qui exige notre attention est d’être sage dans notre évaluation des défis et des menaces à la liberté religieuse. Bien que les violations de ce droit soient commises de diverses façons, il semble que, sans vouloir simplifier la discussion, deux forces conceptuelles conduisent à des violations de ce droit, qui se prêtent toutes deux à une politisation facile. D’une part, et c’est peut-être le plus évident, il y a l’attitude d’intolérance religieuse, une certaine approche myope, qui considère toute religion ou croyance en dehors de la sienne non seulement comme inférieure, mais comme quelque chose qui mérite d’être dégradé ou classé de seconde zone. Cela se voit trop souvent dans les situations politiques, sociales ou culturelles, par exemple chez les chrétiens, qui sont traités comme des citoyens de seconde zone.
D’autre part, on a tendance à attaquer la liberté religieuse d’un point de vue que l’on pourrait qualifier d’ « idéologique », en prenant, par exemple, le principe énoncé dans le cadre des droits de l’homme qui considère les droits de l’homme comme « transversaux » et « intersectoriels ». Dans ce contexte, certains des soi-disant « nouveaux droits de l’homme » tendent parfois à entrer en conflit avec les droits fondamentaux universellement reconnus, notamment la liberté religieuse et le droit à la vie. Par exemple, l’exercice de la liberté religieuse, en particulier sur la place publique, en ce qui concerne l’institution du mariage ou le droit inviolable à toute vie humaine, se heurte souvent aux droits dits « nouveaux » qui tendent à se présenter en totale contradiction avec ces droits humains fondamentaux ou à y porter atteinte.
Compte tenu de leur importance, il semble que ces deux forces conceptuelles doivent rester au centre de nos discussions. Si nous les perdions de vue, nous risquerions de « passer à côté » de ce qu’est réellement la liberté religieuse. La liberté religieuse signifie certainement le droit d’adorer Dieu, individuellement et en communauté, comme le dicte notre conscience. Mais la liberté religieuse, par nature, transcende les lieux de culte et la sphère privée des individus et des familles. Nos diverses traditions religieuses servent la société principalement par le message qu’elles proclament. Elles appellent les individus et les communautés à adorer Dieu, source de toute vie, de liberté et de bonheur. Elles nous rappellent la dimension transcendante de l’existence humaine et notre liberté irréductible face à toute prétention au pouvoir absolu.
Pour terminer, je voudrais réaffirmer que le Saint-Siège continuera à s’engager pleinement dans la promotion de la liberté religieuse, car ce droit fondamental est intimement lié à la protection de la conscience et à la défense de la personne humaine. Un exemple récent de cette priorité pour l’Église est le document sur « la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune » signé par le pape François et le grand imam Ahmed el-Tayeb à Abou Dhabi le 4 février dernier. Je vous encourage tous à lire le texte complet, si vous ne l’avez pas déjà fait, et je voudrais conclure en citant l’un des passages, qui me semble être au cœur de ce colloque.
« Nous témoignons aussi de l’importance du réveil du sens religieux et de la nécessité de le raviver dans les cœurs des nouvelles générations, par l’éducation saine et l’adhésion aux valeurs morales et aux justes enseignements religieux, pour faire face aux tendances individualistes, égoïstes, conflictuelles, au radicalisme et à l’extrémisme aveugle sous toutes ses formes et ses manifestations. »
Je vous remercie de votre attention.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat