« Plus de 40 millions de personnes, hommes, mais surtout femmes et enfants », « souffrent de l’esclavage », déplore le pape François. Et il le dénonce comme un « crime contre l’humanité. »
Le pape François a adressé un message vidéo aux participants au second Forum international sur l’esclavage moderne, organisé par l’archidiocèse orthodoxe de Buenos Aires (Argentine) et par l’Institut orthodoxe Patriarche Athénagoras de Berkeley, en Californie (Etats-Unis), avec le soutien du Patriarcat œcuménique. Le forum, qui se tient du 5 au 8 mai dans la capitale argentine, est consacré au thème : « Problèmes anciens dans le nouveau monde ».
Face à cette « réalité tragique, personne ne peut se laver les mains sans être, d’une certaine manière, complice de ce crime contre l’humanité », déclare le pape pour qui il est temps de « déchirer » le « voile d’indifférence qui semble peser sur le destin de cette portion de l’humanité qui souffre actuellement ».
Pour le pape, il faut affronter les « causes profondes » du problème : « Quand les pays souffrent de la pauvreté extrême, souffrent de la violence et de la corruption, ni l’économie, ni le cadre législatif, ni les infrastructures de base ne sont efficaces ; ils n’arrivent pas à garantir la sécurité ni les biens ni les droits essentiels. » La réponse de base, indique-t-il, est dans l’éducation : un « travail immense » qui requiert « un effort commun et mondial de la part des différents acteurs qui composent la société »
Voici notre traduction du message du pape, prononcé en espagnol et publié en italien par L’Osservatore Romano du 8 mai 2018.
HG
Message vidéo du pape François
Chers frères et sœurs,
J’ai accueilli avec plaisir votre invitation à vous adresser mes salutations, vous qui participez à ce forum sur les formes modernes d’esclavage : « Problèmes anciens dans le nouveau monde », organisé par l’archidiocèse orthodoxe de Buenos Aires guidé par mon cher métropolite Tarasios, et par l’Institut orthodoxe Patriarche Athénagoras de Berkeley, en Californie, avec le soutien du patriarcat œcuménique. Avant tout, j’exprime mes remerciements les plus sincères au patriarche œcuménique, Sa Sainteté Bartholomée, et à l’archevêque de Canterbury, Sa Grâce Justin Welby, qui ont inauguré ce forum l’année dernière. Cela me console de savoir que nous partageons la même préoccupation pour les victimes de l’esclavage moderne.
L’esclavage n’est pas quelque chose d’une autre époque. C’est une pratique qui a des racines lointaines et qui se manifeste encore aujourd’hui et dans des formes diverses : trafic d’êtres humains, exploitation du travail à travers les dettes, exploitation de mineurs, exploitation sexuelle et par les travaux domestiques forcés sont quelques-unes de ces nombreuses formes. Chacune plus grave et inhumaine que les autres. Malgré le manque d’information disponible sur certaines régions du monde, les chiffres sont dramatiquement élevés et, très probablement, sous-estimés. Selon certaines statistiques récentes, il y aurait plus de 40 millions de personnes, hommes, mais surtout femmes et enfants, qui souffrent de l’esclavage. Seulement pour nous faire une idée, nous pouvons penser que s’ils vivaient dans une unique ville, ce serait la plus grande métropole de notre planète et cela représenterait plus ou moins le quadruple de toute la population urbaine de Buenos Aires et de la Grande Buenos Aires.
Devant cette réalité tragique, personne ne peut se laver les mains sans être, d’une certaine manière, complice de ce crime contre l’humanité. Un premier engagement qui s’impose est de mettre en œuvre une stratégie qui permette une connaissance importante du thème, en déchirant ce voile d’indifférence qui semble peser sur le destin de cette portion de l’humanité qui souffre, qui souffre actuellement. Il semble que beaucoup ne veulent pas comprendre la portée du problème. Certains, impliqués directement dans des organisations criminelles, ne veulent pas que l’on en parle, simplement parce qu’ils gagnent des bénéfices élevés grâce aux nouvelles formes d’esclavage. Il y en a aussi qui, bien qu’ils connaissent le problème, ne veulent pas parler parce qu’ils se trouvent là où finit la « chaîne de consommation », comme consommateurs des « services » qu’offrent des hommes, des femmes et des enfants transformés en esclaves. Nous ne pouvons pas feindre d’être distraits : nous sommes tous appelés à sortir d’une quelconque forme d’hypocrisie, en affrontant la réalité qui est que nous faisons partie du problème. Le problème n’est pas sur le trottoir d’en face : il m’implique. Il ne nous est pas permis de regarder ailleurs et de déclarer notre ignorance ou innocence.
Un second engagement consiste à agir en faveur de ceux qui sont transformés en esclaves : défendre leurs droits, empêcher que les corrompus et les criminels n’échappent à la justice et n’aient le dernier mot sur les personnes exploitées. Il ne suffit pas que certains États et Organismes internationaux adoptent une politique particulièrement dure en voulant punir l’exploitation des êtres humains si, ensuite, ils n’affrontent pas les causes, les racines plus profondes du problème. Quand les pays souffrent de la pauvreté extrême, souffrent de la violence et de la corruption, ni l’économie, ni le cadre législatif, ni les infrastructures de base ne sont efficaces ; ils n’arrivent pas à garantir la sécurité ni les biens ni les droits essentiels. Ainsi, il est plus facile pour les auteurs de ces crimes de continuer à agir en totale impunité. En outre, il y a un donné sociologique : la criminalité organisée et le trafic illégal d’êtres humains choisissent leurs victimes parmi les personnes qui, aujourd’hui, ont peu de moyens de subsistance et encore moins d’espérance pour l’avenir. Pour être plus clair : parmi les plus pauvres, les plus marginalisés, les plus rejetés. La réponse de base consiste à créer des opportunités pour un développement humain intégral, en commençant par une éducation de qualité : c’est là le point clé, une éducation de qualité dès la petite enfance, pour continuer à générer ensuite de nouvelles opportunités de croissance à travers le travail. Éducation et travail.
Ce travail immense requiert du courage, de la patience et de la persévérance, et a besoin d’un effort commun et mondial de la part des différents acteurs qui composent la société. Les Églises aussi doivent consacrer leur engagement à cela. Tandis que des individus et des groupes spéculent honteusement sur l’esclavage, nous, chrétiens, tous ensemble, nous sommes appelés à développer chaque fois davantage une plus grande collaboration pour que soient dépassées toutes les formes d’inégalité, toutes les formes de discrimination, qui sont précisément ce qui rend possible qu’un homme puisse faire d’un autre homme un esclave. Un engagement commun pour affronter ce défi sera une aide précieuse pour la construction d’une société renouvelée et orientée vers la liberté, la justice et la paix.
Je souhaite à ce Forum un franc succès ; je demande au Seigneur de vous bénir et de bénir le travail que vous effectuez. Et s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat