Sainte-Sophie, Kiev, Ukraine © wikimedia Commons / Dezidor

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«Le Cardinal Ratzinger à Kiev…», par A.-M. Pelletier (4/6)

«Coopérateurs de la vérité», pour les 90 ans de Benoît XVI

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Dans « Le Cardinal Ratzinger à Kiev… », Anne-Marie Pelletier rend hommage au pape émérite Benoît XVI à l’occasion de ses 90 ans – à Pâques, le 16 avril 2017 -, aux côtés de douze autres lauréats du Prix Joseph Ratzinger depuis sa création en 2011, dans un volume inspiré par la devise épiscopale puis pontificale de Joseph Ratzinger : « Cooperatores veritatis ».
Le volume est édité sous la direction du p. Federico Lombardi, président de la Fondation vaticane Joseph Ratzinger – Benoît XVI, et de Pierluca Azzaro, secrétaire de la Fondation. Le livre a été présenté à la presse à Rome, à l’Augustinianum, jeudi 6 avril.
Mme Pelletier entraîne le lecteur « à l’Est », en Ukraine, à la découverte de la vitalité des échanges intellectuels et de l’Association Children of Hope, lancé par le Prof. Constantin Sigov, de l’Académie Mohyla, ré-ouverte en 1991. Le prof. Sigov propose « une pensée chrétienne de l’Europe qui porte en nos jours une lumière irremplaçable », souligne Mme Pelletier.
Nous publions ici, avec l’aimable autorisation de l’auteur, le quatrième de six volets de la réflexion de Mme Pelletier qui touche à un pan important de l’enseignement de Joseph Ratzinger-Benoît XVI : les fondements et l’avenir de l’Europe.
La première partie a été publiée le 7 avril, et le deuxième le 8 avril, la troisième le 9 avril.
Le Cardinal Ratzinger à Kiev…
Caritas in veritate (4/6)
Sophia
Méditant ainsi l’éthos authentique de l’Europe, C. Sigov nous conduit tout naturellement à la Sophia, qu’honore somptueusement la cathédrale Sainte Sophie de Kiev, à quelques encablures de l’Académie Mohyla. On se souvient des mosaïques qui la figurent là dans la sobre rigueur d’une Orante, les mains levées, debout, attestant ainsi que « la verticale est la forme géométrique la plus simple de la dignité ».
C. Sigov trouve dans cette proximité son inspiration, quand il montre « l’obligation et la responsabilité éthique enracinées dans la résidence de la Sagesse incarnée »[1]. Ce faisant, il est en consonance avec la voix de Serguei Averintsev, l’éminent patrologue mort prématurément en 2004, qui fit de ses enseignements sur les Pères d’Orient et d’Occident, durant les années de plomb du communisme, la voie détournée d’une parole chrétienne de vérité. De lui, Vladimir Zielinsky pouvait dire : il « a semé le savoir, mais le fruit de ses semailles, c’était la foi ».
De fait, l’érudition du propos couvrait chez celui-ci la sédition qu’il pouvait y avoir, par exemple, à interroger le lien mis par la tradition entre l’Esprit saint et la Sagesse. Se soutenant de l’élan reçu des textes patristiques, Averintsev déployait le mystère de l’Esprit comme celui d’un « coryphée de la vie » et il commentait sa note sapientielle de féminité en en faisant le gage d’une présence divine, relationnelle et maternelle, à l’œuvre dans l’humanité. Soit des réalités spirituelles totalement opaques pour l’athéisme ambiant, et que tout en lui rejetait et combattait sur le plan spéculatif autant que dans l’organisation pratique de la société.
Au centre de la pensée d’Averintsev figurait la relation comme principe en lequel l’humain trouve sa vérité et l’épanouissement de sa vie. Il dénonçait du même coup son contraire, désigné du terme d’« isolationnisme ». Il y voyait la plaie qui minait la société où il vivait, mais, plus largement, ce qui constituait « la tendance du siècle » qui avait rendu possibles le rideau de fer et le mur de Berlin.
Et il prévenait : « D’où vient cette tendance du siècle ? Le plus simple, c’est de dire hédonisme, consumérisme. Ce phénomène est fondé plutôt sur un certain isolationnisme métaphysique, qui veut séparer le Créateur de sa création, la création de son Créateur, et nous – du Créateur et du cosmos, et l’un de l’autre »[2]. C. Sigov fait précisément écho à ces vues, en particulier dans un article mettant en débat ontologie et éthique[3]. Il dirige toute la lumière de son questionnement sur la notion d’altérité, dont il montre la centralité dans l’ontologie trinitaire du Métropolite J. Zizioulas[4] et dans l’éthique kénotique d’E. Lévinas.
Il désigne ainsi une voie pour surmonter le fossé entre ontologie et éthique. A partir de quoi, encore, il met en contraste « anthropologie » et « égologie » en des termes qui trouvent une forte résonnance face aux choix politiques devant lesquels se trouvent l’Europe et le monde. A partir de là, enfin, s’explicitent la source et le ressort de l’hospitalité, qui se pratique aujourd’hui à l’initiative des chrétiens auxquels ces lignes veulent rendre témoignage.
(à suivre : Ecouter l’Est)
[1] . C. Sigov, « A l’Est du nouveau. L’éthos de l’Europe à l’épreuve », conférence prononcée au Collège des Bernardins, juin 2016, publiée dans A. Arjakovsky éd., Histoire de la conscience européenne, p. 423-434, sous le titre « L’éthos européen : la traduction des discours, l’échange des mémoires et le pardon », Paris, Salvator, 2016.
[2] . S. Averinsev, Sofia-Logos, Slovar, Kiev, 2001, p. 252, cite par C. Sigov, “L’Esprit et le Verbe dans l’œuvre de Serguei Averintsev”, Der Heilige Geist im Leben der Kirche, Pro Oriente Band XXIX, Tyrolia Verlag, Innsbrück-Wien, 2004.
[3] . C. Sigov, « Das Problem des Bruchs zwischen Ontologie und Ethik in den Werken des Metropoliten Johannes Zizioulas und Emamnuel Levinas, Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie, 52. Band, 2005, Academic Press Fribourg, p. 550-567.
[4] . « Les relations entre « communion » et « altérité », telles qu’elles existent en Dieu, sont modèle aussi bien pour l’ecclésiologie que pour l’anthropologie. Que nous apprend le dogme de la sainte Trinité au regard de la communion et de l’altérité ? (…) ce fait que l’altérité est élément constitutif de l’unité, et non pas sa conséquence », Métropolite J. Zizioulas, « Gemeinsamkeit und Andersheit », cité C. Sigov, p. 551.

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Anne-Marie Pelletier

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