La question de la femme dans l’Eglise est une question « ecclésiale » et l’enjeu c’est « conscience ecclésiale renouvelée » estime Stefania Falasca.
« François et les femmes »: le supplément mensuel de L’Osservatore Romano « Femmes Eglise Monde » de janvier 2020 est publié ce samedi 28 décembre 2019, avec parmi les thèmes la « question des femmes » des origines de l’Église au pontificat du pape François.
Stefania Falasca rappelle, dans un article intitulé « L’urgence de dépasser une Eglise monochrome », la surprise créée par le pape François, le Jeudi Saint 2013, lorsqu’il a invité deux femmes, deux détenues, pour le rite du lavement de pieds.
Elle évoque saint Ignace de Loyola et sa correspondance avec de femmes de son temps et son « attention spirituelle » de conseiller spirituel « étonnamment ouvert, clairvoyant et perspicace », comme pour impliquer aussi des femmes « au service de la seule grande œuvre qui lui semble importante sur terre: aider les âmes, faire progresser l’Église dans la fidélité au Christ ».
Elle reconnaît dans l’attitude du pape François cette « résonance ignatienne » et cette conversion qui concerne toute l’Eglise: « depuis son élection, le pape François s’est consacré à la question des femmes, leur rôle et leur accès aux responsabilités ecclésiales », et cela « souligne l’urgence de faire face à une réalité qui concerne la vision de l’Église elle-même et investit sa nature hiérarchique et communautaire ».
Voilà pourquoi le titre de l’article: le pape François perçoit « la couleur unie masculine comme un défaut, un déséquilibre, une minorité de l’Église » et il considère « que sans les femmes il existe un déficit dans l’annonce et le témoignage » et que « cela promet donc sa mission ».
Le mot est lâché, c’est de la mission de l’Eglise qu’il s’agit: « Il est en effet significatif que le Pape, déjà au lendemain du début de son ministère pétrinien, ait immédiatement attiré l’attention avec un geste placé au cœur de la liturgie de la Semaine Sainte, qui a surpris et provoqué, invitant deux femmes, deux prisonnières, au lavement des pieds célébré le Jeudi Saint. »
Elaborer une théologie
« Et immédiatement après, avec l’annonce de Pâques, fait observer Stefania Falasca, a célébré le témoignage rendu par les femmes ressuscitées, les premiers témoins, les premiers appels à annoncer le salut, protagonistes privilégiés de Pâques. À plusieurs reprises, il a ensuite fait des déclarations énumérant des objectifs affirmant que « l’Église ne peut pas être elle-même sans la femme et son rôle » et que « la femme est essentielle pour l’Église »: « Augmenter les espaces pour une présence féminine plus incisive dans l’Église « , » pour élaborer une théologie approfondie de la femme « , pour présenter les femmes » où s’exerce l’autorité des différents domaines de l’Église « . »
C’est ce même souci de la mission, souligne l’auteur, que l’on retrouve dans Evangelii gaudium comme en écho au message du concile Vatican II aux femmes, publié par Paul VI le 8 décembre 1965.
Pour le pape François, « la présence des femmes favorise l’ouverture universelle, à la fois dans les moments fondateurs, originaux et décisionnels, où il s’agit d’accueillir toute la force motrice de l’Esprit, et dans ceux de son démarrage concret ».
Pour une « synergie entre hommes et femmes »
Citant le bibliste Damiano Marzotto – «Pierre et Madeleine. L’Evangile s’exécute à deux voix » – dont le pape François aime le texte, Stefania Falasca souligne que l’enjeu c’est aussi le salut dans le Christ: « Les femmes se présentent non seulement comme « lieu d’accueil et d’hospitalité mais aussi le lieu de liberté et d’universalisme, c’est-à-dire capables de régénérer, de restaurer cet élan qui pousse aux espaces universels et donc faire avancer la voie du salut. Cette dynamique a été réellement accomplie, donc elle n’est accomplie et ne peut être accomplie, que dans une pleine synergie entre hommes et femmes ». »
Pour Stefania Falasca on retrouve cette orientation dans le document final du synode pour les jeunes: « Une vision aussi de l’Église, faite principalement d’hommes, ne répond pas à la tâche que Dieu a confiée à l’humanité. (…) Ce n’est que par la réciprocité que peut émerger une valorisation et une intégration du masculin et du féminin ». »
A propos du rapport entre sacerdoce ministériel et sacerdoce baptismal, elle rappelle qu’Evangelii gaudium « ne manque pas de mentionner également que le sacerdoce ministériel est l’un des moyens que Jésus utilise au service de son peuple, mais que «la grande dignité vient du baptême accessible à tous» »: « la question n’est pas superficiellement d’égalité des chances car elle ne découle pas d’une revendication mais d’une richesse à récupérer, celle d’une communion ecclésiale de fait. »
Service et non pas servitude
« Il s’agit donc de s’affranchir des logiques cléricales dans lesquelles la présence féminine dans les corps existants, dans les vicariats, dans les curies, y compris la Curie romaine, se veut une « concession » aux femmes et se réduit à une présence symbolique », relève l’auteur.
Stefania Falasca rappelle les propos du pape François sur le rôle de la femme dans la société: « Je m’inquiète de la persistance dans les sociétés d’une certaine mentalité dominée par les hommes, je crains que dans l’Église même le service auquel tout le monde est appelé, se transforme parfois en servitude, pour les femmes », a déclaré à plusieurs reprises le pape: « Je souffre, je dis la vérité, quand je vois dans l’Église ou dans certaines organisations, que le rôle de service, que nous avons et devons tous avoir, le rôle de service de la femme glisse vers un rôle de servitude ». »
Mais l’Evangile est propre à guérir aussi le « machisme » fait observer le pape François: « Par conséquent, dans la perspective ouverte par François si « la femme est essentielle pour l’Église » et s' »il est nécessaire d’élargir les espaces d’une présence féminine plus incisive », cela suppose que même dans l’Église, un certain machisme rampant soit « guéri par l’Évangile » – comme il l’a opportunément souligné aussi dans son Exhortation apostolique – et en même temps, toujours du point de vue de l’Évangile, le cléricalisme qui répond aux logiques du pouvoir comprises comme la domination devrait être guéri. Parce que le cléricalisme – qui réduit l’Église à un club privé dont quelqu’un, autre que le Christ, prétend avoir les clés – combiné avec un certain machisme, au lieu de renforcer la nouveauté évangélique qui conduit à construire une Eglise de frères et de sœurs, exalte les différences de manière déformée et du point de vue de l’annonce, elle réalise en fait une déviance en trahissant l’identité de l’Église, étant donné que la nouveauté évangélique voit des hommes et des femmes appelés à devenir disciples, à annoncer, à servir pour transmettre pleinement la richesse du message évangélique ».
Le service pour tous
Autrement dit, le pape François appelle de ses voeux « une collaboration efficace entre les femmes et les hommes dans l’Église dans la réciprocité et le service » résume Stefania Falasca: c’est un « service fondamental auquel tous, hommes et femmes, sont appelés pour faire avancer l’Église dans l’esprit du Christ ».
Le pape souhaite-« aller de plus en plus profondément non seulement dans l’identité féminine, mais aussi dans l’identité masculine, pour mieux servir l’être humain dans son ensemble », ajoute la journaliste italienne, amie de longue date de Jorge Mario Bergoglio: « Cette vision globale qui vise le bien de tous, hommes et femmes, peut se prémunir contre une logique fondée sur les revendications, sans pour autant cacher les ombres encore présentes et les étapes nécessaires à franchir pour une profonde valorisation de la femme. » Sera aussi nécessaire une « étude théologique qui permette de mieux reconnaître le rôle possible des femmes là où des décisions importantes sont prises, dans les différents milieux de l’Église ».
Stefania Falasca relève aussi une remarque du pape François lors du sommet des président des Conférences épiscopales du monde sur la protection de mineurs, au Vatican, en février dernier: après l’exposé dune femme, « le pape a voulu souligner comment, dans cette écoute, il « a entendu l’Église parler d’elle-même ». C’est – a-t-il dit – que nous avons tous parlé de l’Église. Dans toutes les interventions. Mais cette fois, c’est l’Église elle-même qui a parlé » et « inviter une femme à parler n’entre pas dans la modalité d’un féminisme ecclésiastique … Inviter une femme à parler des blessures de l’Église c’est inviter l’Église à parler d’elle-même même. Et c’est, je crois, le pas que nous devons faire avec beaucoup de force: la femme est l’image de l’Église. Un style. Sans ce style, nous ne parlerions du peuple de Dieu que comme une organisation, peut-être une union, mais pas comme une famille née de la mère Eglise ». »
Une question ecclésiale
Autre remarque du pape François citée par la journaliste: « A l’issue du Synode sur l’Amazonie, annonçant qu’il allait convoquer à nouveau la commission sur le diaconat féminin – qui a conclu ses travaux l’an dernier sans parvenir à une conclusion unanime – il a précisé: «Il ne s’agit pas de donner aux femmes plus de fonctions dans l’Église – oui, c’est bien, mais de cette façon le problème n’est pas résolu – il s’agit d’intégrer la femme comme figure de l’Église dans notre pensée. Et pensez aussi à l’Église avec les catégories de femme ». »
Elle rappelle que pour la première fois dans un synode romain, le synode sur l’Amazonie a pu compter sur la participation de 35 femmes, y compris des responsables de populations autochtones, expertes, laïques et religieuses: « L’exemple de l’écoute attentive des témoignages de ces femmes a été donné par le pape lui-même, comme l’ont observé et rapporté les participants à l’assemblée synodale, faisant que cette assemblée d’évêques s’éveille à cette réciprocité homme-femme ».
Le synode a montré, conclut Stefania Falasca, que « le rôle des femmes dans l’Église ne peut être reconsidéré et intégré que dans la perspective effective du dynamisme synodal et de la conversion missionnaire indiquée par le pape ». La question de la femme est en somme une « question profondément ecclésiale », celle « d’une conscience ecclésiale renouvelée ».