« La Passion pour accomplir la mission », c’est le titre de la méditation de Mgr Francesco Follo sur les lectures du Dimanche des Rameaux, 14 avril 2019 (Année C – Is 50,4-7; Ps 21; Ph 2,6-11; Lc 22,14-23.56).
L’observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco à Paris souligne : « Cloué sur la croix, Jésus, ne pouvant plus rien faire, a tout fait : il scelle l’Alliance de miséricorde, nous délivre de la culpabilité et de la mort, et il nous laisse ses dernières paroles à utiliser comme armes pour lutter dans la vie : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » ; « Femme, voici ton fils. Voici ta mère. » ; « Amen je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » ; « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » ; « J’ai soif. » ; « Tout est accompli. » ; «« En tes mains, Père, je remets mon esprit. » »
1) Marcher avec le Christ en partageant son amour passionné.
Avec le dimanche des Rameaux, l’Église nous fait entrer dans la Semaine Sainte, la semaine où le Seigneur Jésus est en route pour accomplir la mission de sa vie terrestre. Le Rédempteur monte à Jérusalem pour accomplir la Sainte Écriture et pour être pendu sur la croix, le trône en bois duquel il régnera pour toujours, attirant à lui l’humanité de tous les temps et offrant à tous le don de la rédemption.
L’Evangile nous enseigne aussi que Jésus est allé à Jérusalem avec les Douze, et que peu à peu, un nombre croissant de pèlerins s’y sont associés. Que faisons-nous vraiment quand nous nous joignons, nous aussi pèlerins avec le Christ, dans une telle procession avec tous ceux qui montaient à Jérusalem avec Jésus et l’acclamaient comme roi d’Israël ? C’’est plus qu’une cérémonie émouvante. Est-ce que cela a à voir avec la vraie réalité de notre vie, de notre monde ? Pour trouver la réponse à ces questions, nous devons d’abord clarifier ce que Jésus lui-même voulait et faisait réellement. Après la profession de foi de Pierre à Césarée de Philippe, au nord de la Terre Sainte, le Messie est parti en pèlerinage à Jérusalem pour les fêtes de la Pâque juive. Il est en route vers le temple de la Ville Sainte, vers ce lieu qui, pour Israël, assurait particulièrement la proximité de Dieu avec son peuple. Le Rédempteur se dirige vers la célébration de Pâque, mémorial de la libération d’Egypte et signe d’espérance pour une libération définitive. Il sait qu’une nouvelle Pâque l’attend et qu’Il prendra la place des agneaux sacrifiés, s’offrant Lui-même sur la Croix. Il sait que, dans les dons mystérieux du pain et du vin, il se donnera à jamais aux siens, il leur ouvrira la porte vers un nouveau chemin de libération, vers la communion avec le Dieu vivant. Il est en route vers la hauteur de la Croix, vers le moment de l’amour qu’il se donne. Le but final de son pèlerinage est la hauteur de Dieu lui-même, à qui il veut élever tout être humain. Pour cette raison, il a versé son sang jusqu’à la dernière goutte.
À l’écoute de la Passion sanglante du Christ, un guerrier a dit une des phrases les plus fortes qui soit jamais sortie de la bouche d’un chrétien. Tandis que quelqu’un était en train de lire le récit de la Passion, le roi Clovis soupirait et pleurait. Tout à coup, ce roi guerrier n’a plus su résister et a empoigné son épée en criant : « Si j’avais été là, avec mes Francs ! » Parole de soldat et de violent qui contredit les paroles du Christ à Pierre qui, lui aussi, avait pris son épée et coupé l’oreille à l’un de ceux qui étaient venus faire souffrir Jésus. Parole naïve, parole de soldat et de violent d’un nouveau converti, mais que l’absurde beauté d’un amour pur et vigoureux rend si belle.
Il ne suffit pas de pleurer sur celui qui n’a pas versé que des larmes, à moins que ces pleurs ne soient ceux de la Vierge, qui a accepté que l’épée de la souffrance la transperce jusqu’à accepter la mort de son Fils et à nous accepter comme ses enfants ; à moins que ces pleurs ne soient comme ceux de Pierre.
Combattons la bonne bataille avec le Christ et pour le Christ, en transformant l’épée de Pierre (mais aussi celle de Clovis) en Croix :
– sur la Croix, Jésus – la Vie – s’est offert à la mort par amour pour nous, pour que nous vivions éternellement dans notre Père qui est aux cieux ;
– avec la Croix, Jésus nous rappelle l’avertissement de la charité : « Celui qui ne prend pas sa croix, et ne me suit pas, n’est pas digne de moi » ;
– sous la Croix, Jésus tombe à trois reprises pour que nous devenions capables de nous relever en vertu de sa croix, et qu’elle ne nous effraie pas ;
– de la Croix, Jésus est temporairement « délivré », par le Cyrénéen, pour nous aider à Le distinguer dans notre prochain et soulager celui-ci du poids de la croix ; en même temps, il se laisse essuyer le visage par Véronique, pour que nous apprenions qu’en essuyant avec pitié les peines des autres, l’image du Sauveur reste imprimée en nous ;
– cloué sur la croix, Jésus, ne pouvant plus rien faire, a tout fait : il scelle l’Alliance de miséricorde, nous délivre de la culpabilité et de la mort, et il nous laisse ses dernières paroles à utiliser comme armes pour lutter dans la vie : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » ; « Femme, voici ton fils. Voici ta mère. » ; « Amen je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » ; « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » ; « J’ai soif. » ; « Tout est accompli. » ; «« En tes mains, Père, je remets mon esprit. »
2) Commémoration d’un drame.
Pour être plus précis, ce paragraphe devrait s’intituler la commémoration liturgique du drame d’un homme qui est entré dans la ville de Jérusalem fêté comme un roi, mais en est ressorti quelques jours plus tard, condamné à mort, avant de revenir vivant, d’une vie éternelle.
Une commémoration qui est participation au drame, comme cela est le cas durant la Sainte Messe avec la liturgie de la Parole et la Liturgie eucharistique.
La liturgie de la Parole nous offre aujourd’hui le récit de la Passion selon saint Luc, qui la présente comme l’étape finale du chemin entrepris par Jésus (cf. Lc 9,51) qui, de la Galilée, l’a conduit jusqu’à Jérusalem (cf. aussi Lc 9,31; 13,32) et, plus profondément, comme la fin de sa vie sur terre et de sa mission, mais aussi comme le passage vers la gloire, la résurrection. Ce chemin comporte des souffrances et la croix, considérées comme nécessaires (cf. Lc 17,25; 24,26), et, Jésus fut à parcourir ce chemin en premier, aussi comme modèle pour les chrétiens. La Passion du Christ est aussi la dernière, âpre et dure lutte contre le démon qui, apparemment plus fort (cf. Lc 22,53), sera battu.
Dans l’évangile selon saint Luc, la signification salvifique de la mort de Jésus s’exprime avec des caractéristiques hellénistes non sémites : il n’insiste donc pas sur le caractère expiatoire de la croix, mais plutôt sur la victoire de la résurrection. Celle-ci est liée à la mort qui reste le lieu de l’obéissance de Jésus Fils, au Père (cf. Lc 9,22; 13,33; 17,25; 22,37; 24,7.26), mais aussi celui de l’effusion de l’Esprit. Luc veut nous dire qu’en se comportant ainsi, Jésus a ouvert une voie de salut pour chaque homme. En soulignant la miséricorde de Dieu (saint Ambroise de Milan appelle l’évangile de Luc « l’évangile de la Miséricorde »), il montre aussi que sa Passion constitue pour tous une invitation à se convertir (cf. Lc 23,47-48). En effet, cet évangéliste raconte certains détails de la Passion qui sont l’expression du sentiment de compassion qui habite Jésus : malgré les souffrances de la croix qu’il porte, Jésus se préoccupe des femmes qui le suivent sur la route du Calvaire (cf. Lc 23, 27-31) ; il justifie auprès du Père ceux qui l’ont crucifié et lui demande de leur pardonner (cf. Lc 23,34) ; il promet au larron repenti de lui réserver une place à ses côtés, au paradis (cf. Lc 23,43).
Luc présente par ailleurs Jésus livrant au Père son esprit, dans une confiance totale pour les insondables projets qu’il a sur lui : « Il rendit l’esprit ». Contemplons Jésus mort, son côté transpercé et baigné de sang et d’eau, le baptême et l’eucharistie, les sacrements de la Rédemption. Regardons-le, déposé de la croix, reposant sur le ventre de sa Mère, pour que celle-ci, portée par l’amour de sa souffrance, reverse sur nous, universellement, toutes les grâces. C’est comme une Messe. En effet, dès ses débuts, l’Église a vu dans cette scène une anticipation de ce qu’elle fait pendant la liturgie. « Pour l’Église primitive le “dimanche des Rameaux” n’appartenait pas au passé. Comme le Seigneur jadis entré dans la Ville sainte, à dos d’âne, l’Église le voyait arriver de nouveau et toujours sous les humbles espèces du pain et du vin.
« L’Église salue le Seigneur dans la Sainte Eucharistie comme celui qui vient maintenant, qui est entré en son sein. Mais en même temps, elle Le salue comme celui qui y demeure toujours, celui qui vient et nous prépare à sa venue. En pèlerins, nous allons vers Lui, et Lui vient à notre rencontre et Il nous associe à sa “montée” vers la Croix et la Résurrection, vers la Jérusalem définitive qui, en communion avec son Corps, est déjà en train de grandir au milieu de ce monde » (Benoît XVI – Joseph Ratzinger, Jésus de Nazareth, Vol. II, p. 24).
Pendant la Messe, nous surmontons ce qui nous sépare du Christ, nous nous incorporons à Lui, hommes nouveaux dans la sainteté, nous écoutons le cri qui nous renvoie à la vérité de sa paix et de son amour. Nous accueillons le Christ dans notre cœur, comme la Vierge Marie. En cela, encore une fois, les vierges consacrées sont un témoignage. Elles nous donnent l’exemple d’une vie entièrement donnée au Christ, par amour pour Lui, parce qu’elles ont confiance en Lui et en sa force.
Dans leur rite de consécration, devant la Croix qui rappelle la Passion du Christ, l’Evêque leur présente – outre les autres insignes- le livre de la prière, comme de l’encens en signe de l’incessante prière que la consacrée est appelé à élever le cierge (ou une lampe), signe de fidélité au Christ même lorsque le Seigneur demande de participer à sa Passion. (Rituel de consécration N° 27 et 28)
La virginité n’est pas possible dans nos vies sans le sacrifice. Il nous faut mûrir dans un détachement progressif d’un mode de possession instinctive à un regard qui aime et respecte l’autre dans son être créature de Dieu. Dans ce détachement de l’instinct, nous vivons l’aube d’une nouvelle vie. C’est l’expérience du centuple promis par Jésus déjà durant sa vie sur la terre.
Il est essentiel pour la virginité d’être témoin, « martyre », terme grec qui signifie « témoin » et qui a pour racine le verbe « mimnesko » qui signifie « rappeler », c’est-à-dire se souvenir du Christ qui nous a rencontrés et qui avec sa passion nous a montré combien était grand son amour passionné pour nous. Passion pour que le Christ soit connu des autres et transforme leur vie, pour que le monde soit plus humain. La virginité est un mode de vie qui crie le nom du Christ, qui crie le Christ comme seule raison et seule possibilité de plénitude de l’existence. C’est le sommet de l’amour, c’est notre réponse à la prédilection du Christ, dans laquelle nous apprenons à aimer tout le reste.
Dans De sacra virginitate, saint Augustin exhorte les vierges à contempler la beauté du Christ (De s. virg. 54,55) : Contemplez la beauté de votre amant, pensez au Christ comme égal au Père et soumis à sa mère, c’est-à-dire, dans son humanité et sa divinité ; contemplez-le comme souverain du ciel et serviteur sur terre, contemplez-le comme créateur de toutes choses et créé lui-même entre les choses. Le même dont l’orgueilleux se moquait, contemplées le comme il est beau. Et ici, l’on se réfère au Christ crucifié : cela signifie que la Passion du Christ a aussi une beauté merveilleuse, une beauté qui n’est certainement pas extérieure. Avec les yeux intérieurs de l’esprit, contemplez les cicatrices de ce qui est suspendu à la croix, le sang de ce qui meurt, le prix de ce qui se donne et l’échange ineffable que celui qui nous délivre fait. Cette-là est une page merveilleuse de spiritualité qui a comme son centre la contemplation du Christ est l’objet de notre contemplation. C’est l’attitude propre à chaque chrétien. Mais dans la contemplation du Christ il y est un motif particulier d’amour, ainsi comme il y a ici un motif particulier pour considérer le Christ comme le seul objet, plein, total, exclusif de notre joie.
Lecture patristique
Saint Augustin (354 – 430)
Extrait du discours sur le Psaume 61,22
Nous sommes ses bénis, nous qu’il a sauvés par la Passion du Christ
« Mes frères, il a fallu le sang d’un juste pour effacer la cédule de nos péchés. Nous avions besoin d’un exemple de patience et d’humilité : le signe de la croix était nécessaire pour triompher du démon et de ses anges (cf. Col 2,14-15). 2 Il était indispensable pour nous que Notre Seigneur souffrît, car il a racheté le monde par sa Passion. De quels bienfaits ses souffrances ont été pour nous la source ! Toutefois, le Sauveur, le juste par excellence, ne les aurait jamais endurées, si les pécheurs ne l’avaient attaché à la croix. Mais est-ce bien à ses bourreaux qu’il faut imputer les heureux résultats de sa mort ? Non, ils l’ont voulue, Dieu l’a permise : la volonté seule de faire périr Jésus-Christ aurait suffi à les rendre criminels, mais Dieu n’aurait point permis une pareille mort, s’il y eût eu injustice à le faire.
Quel mal a-t-il éprouvé? Ceux qui ont travaillé à sa perte, se sont perdus eux-mêmes. Mais, pour lui, ils n’ont pu lui causer aucun dommage, même en le livrant au dernier supplice. En mourant dans sa chair, il a porté à la mort le coup de grâce, il nous a enseigné la patience, et nous a donné, dans sa résurrection, le modèle de la nôtre. Quelle précieuse occasion de faire le bien les méchants ont-ils fournie au juste, en le faisant mourir? T’aider par sa grâce à faire le bien, tirer le bien du mal même que tu fais, n’est-ce pas une des preuves les plus sensibles de la grandeur de Dieu ? Ne t’en étonne pas. Quand il permet de faire le mal, ce n’est point sans motifs. Il ne le fait, du reste, qu’avec poids, nombre et mesure : sa conduite est à l’abri de tout reproche. Pour toi, fais seulement tous tes efforts pour lui appartenir ; mets en lui ta confiance ; qu’il soit ton soutien et ton salut ; qu’en lui tu trouves un asile inviolable, une imprenable forteresse ; qu’il soit ton refuge, et il ne permettra pas que tu sois tenté au-dessus de tes forces (cf. 1 Cor10,13) et il t’en fera sortir avec avantage, en sorte que tu seras à même de supporter l’épreuve. Lorsque tu es éprouvé par la tentation, tu dois voir en cela l’action de sa puissance ; mais sa miséricorde se manifeste, quand il ne permet pas que tu sois tenté au-delà de tes forces. “La puissance est à Dieu, et à vous, Seigneur, appartient la miséricorde : aussi vous rendrez à chacun selon ses œuvres.” »
EN BREF… « On célèbre la Passion du Seigneur : c’est le moment de gémir, le temps de pleurer, le temps de confesser et de prier. Mais qui parmi nous est capable de verser des larmes selon la grandeur de tant de souffrances ? » (Discours sur le Psaume 21, 1.)
Mgr Francesco Follo, 17 déc. 2018 © Mgr Francesco Follo
"La Passion pour accomplir la mission", par Mgr Follo
Lectures du dimanche 14 avril 2019