La réponse de l’Evangile doit rejoindre « le gouffre spirituel » qui a permis « des faiblesses scandaleuses » et « le vide existentiel » dans lequel « Dieu a été rendu si muet, si réduit au silence ». C’est ce que le pape a déclaré devant 130 nouveaux évêques, au Vatican, ce 13 septembre 2018. Il a invité ainsi : « chacun de nous doit humblement entrer au plus profond de lui-même et se demander ce qu’il peut faire pour rendre plus saint le visage de l’Eglise », tout en veillant à ne pas se décourager car « l’Eglise n’est pas à nous, elle est à Dieu ! » Le pape a aussi recommandé de revoir les processus de sélection, d’accompagnement, et d’évaluation des séminaristes.
Dans son long discours aux évêques dépendants de la Congrégation pour les évêques et de la Congrégation pour les Eglises orientales, qui suivaient un cours à Rome, le pape leur a parlé « du plus urgent de (leurs) devoirs de Pasteurs : celui de la sainteté » : « La comptabilisation de nos vertus ne sert à rien », a-t-il souligné, car « la source de la sainteté est la grâce de nous approcher de la joie de l’Evangile et de la laisser envahir notre vie, de telle façon qu’on ne pourra plus vivre autrement ».
« Vous ne pouvez rien offrir au monde de plus efficace, de plus grand, de plus précieux, de plus nécessaire que la paternité qui est en vous, a aussi affirmé le pape. En vous rencontrant, toute personne peut au moins effleurer la beauté de Dieu, la sécurité de sa compagnie et la plénitude de sa proximité. » Il s’agit de témoigner de « la paternité de Dieu qui ne se résigne jamais… c’est le message que les fidèles ont le droit de trouver sur vos lèvres, dans vos cœurs et dans votre vie ».
Le pape François les a exhortés à mettre Dieu au centre de leur vie : « il ne vous est pas demandé seulement un dévouement intermittent, une fidélité en alternance, une obéissance sélective, non, vous êtes appelés à vous consumer nuit et jour ». Il a encouragé à « rester vigilants aussi quand disparaît la lumière, ou quand Dieu lui-même se cache dans les ténèbres, quand la tentation de reculer s’insinue et que le malin, qui est toujours aux aguets, suggère subtilement que l’aube ne se lèvera désormais jamais plus ».
« Ne vous laissez pas tenter par les récits de catastrophes ou de prophéties de malheur, parce que ce qui compte vraiment est de persévérer en empêchant que l’amour ne refroidisse et garder la tête haute et levée vers le Seigneur », a conclu le pape, invitant à « avancer joyeux et non pas amères, sereins et non pas angoissés, consolés et non pas désolés ».
Voici notre traduction du discours du pape.
Discours du pape François
Chers frères, bonjour !
Je vous accueille avec joie aujourd’hui à la conclusion de votre pèlerinage de nouveaux évêques aux sources spirituelles de cette Rome de Pierre et de Paul, ancienne et toujours nouvelle. En vous étreignant comme nouveaux pasteurs de l’Eglise, peut-être encore traversés par la surprise d’avoir été appelés à cette mission qui n’est jamais proportionnée et conforme à nos forces, je voudrais en quelque sorte vous prendre à l’écart, vous et chacun de vos Eglises ; je voudrais vous aborder avec le doigté du Christ, Evangile de Dieu qui réchauffe le cœur, rouvre les oreilles et délie la langue à la joie qui ne se gâte ni ne diminue parce qu’elle n’est jamais achetée ni méritée, au contraire elle est pure grâce !
Dans la perspective de la joie de l’Evangile, vous avez cherché à lire le mystère de votre identité à peine reçue comme un don de Dieu. Vous avez choisi l’optique juste pour pénétrer dans le ministère épiscopal, pour lequel nous ne pouvons nous attribuer aucun crédit et dont il n’existe pas de titres de propriété ni de droits acquis. Nous avons trouvé presque “par hasard” le trésor de notre vie et c’est pourquoi nous sommes appelés à tout vendre pour protéger le terrain dans lequel se cache cette mine inépuisable (cf. Mt 13,44). Il est nécessaire de reprendre quotidiennement en main ce don précieux, de chercher la lumière à sa lumière (cf. Ps 35,10) et de se laisser transfigurer par son visage.
Je vous parle ici du plus urgent de vos devoirs de Pasteurs : celui de la sainteté ! Comme l’exprime la prière de l’Eglise sur vous, vous avez été élus par le Père, qui connaît les secrets des cœurs, pour le servir nuit et jour, afin de le rendre favorable à votre peuple (cf. Pontifical Romain, Prière d’ordination des évêques).
Vous n’êtes pas le fruit d’un scrutin simplement humain, mais d’un choix d’En-haut. C’est pourquoi il ne vous est pas demandé seulement un dévouement intermittent, une fidélité en alternance, une obéissance sélective, non, vous êtes appelés à vous consumer nuit et jour.
Rester vigilants aussi quand disparaît la lumière, ou quand Dieu lui-même se cache dans les ténèbres, quand la tentation de reculer s’insinue et que le malin, qui est toujours aux aguets, suggère subtilement que l’aube ne se lèvera désormais jamais plus. C’est justement là qu’il faut à nouveau être prostrés le visage en terre (cf. Gn 17,3), pour écouter Dieu qui parle et qui renouvelle sa promesse jamais démentie. Et puis rester fidèles aussi quand, dans la chaleur de la journée, les forces de la persévérance diminuent et que le résultat de la fatigue ne dépend plus des ressources que nous avons.
Et tout cela non pas pour alimenter la prétention narcissique d’être essentiels, mais pour rendre le Père favorable à votre Peuple. Dieu est déjà en faveur de l’homme. Son divin être, qui pouvait aussi exister sans nous, dans son Fils Jésus se révèle pour nous. En Lui, s’offre la paternité de Dieu qui ne se résigne jamais ; en Lui nous connaissons le cœur divin que que rien ni personne ne perd jamais. Et c’est le message que les fidèles ont le droit de trouver sur vos lèvres, dans vos cœurs et dans votre vie.
Au début de votre ministère, je vous prie de mettre Dieu au centre : Il est Celui qui demande tout mais qui en échange offre la vie en plénitude. Pas cette vie édulcorée et médiocre, vide de sens parce que pleine de solitude et d’orgueil, mais la vie qui jaillit de sa compagnie qui n’est jamais amoindrie, de l’humble force de la croix de son Fils, de la sécurité sereine de l’amour victorieux qui nous habite.
Ne vous laissez pas tenter par les récits de catastrophes ou de prophéties de malheur, parce que ce qui compte vraiment est de persévérer en empêchant que l’amour ne refroidisse (cf. Mt 24,12) et garder la tête haute et levée vers le Seigneur (cf. Lc 21,28), parce que l’Eglise n’est pas à nous, elle est à Dieu ! Il était là avant nous et il sera après nous ! Le destin de l’Eglise, du petit troupeau, est caché victorieusement dans la croix du Fils de Dieu. Nos noms sont gravés dans son cœur – gravés dans son cœur ! –; notre destin est dans ses mains. C’est pourquoi, ne dépensez pas vos meilleures énergies pour comptabiliser les échecs et reprocher les amertumes, en vous laissant rapetisser le cœur et rétrécir les horizons. Que le Christ soit votre joie, que l’Evangile soit votre nourriture. Gardez votre regard fixé seulement sur le Seigneur Jésus, et en vous habituant à sa lumière, sachez la chercher incessamment où qu’elle se réfracte, et même dans d’humbles lueurs.
Là, dans les familles de vos communautés, où, dans la patience tenace et dans la générosité anonyme, le don de la vie est bercé et nourri.
Là, où subsiste dans les cœurs la certitude fragile mais indestructible que la vérité prévaut, qu’aimer n’est pas vain, que le pardon a le pouvoir de changer et de réconcilier, que l’unité vainc toujours la division, que le courage de s’oublier soi-même pour le bien de l’autre est plus satisfaisant que le primat intangible du moi.
Là, où tant de consacrés et de ministres de Dieu, dans le don de soi silencieux, persévèrent sans se soucier du fait que le bien ne fait souvent pas de bruit, n’est pas le thème des blogs ni n’arrive en Une. Ils continuent à croire et à prêcher avec courage l’Evangile de la grâce et de la miséricorde à des hommes assoiffés de raisons de vivre, d’espérer et d’aimer. Ils ne s’effraient pas devant les blessures de la chair du Christ, toujours infligées par le péché et souvent par les enfants de l’Eglise.
Je sais bien combien sévissent aujourd’hui la solitude et l’abandon, combien se répand l’individualisme et combien croît l’indifférence au destin des autres. Des millions d’hommes et de femmes, d’enfants, de jeunes, sont égarés dans une réalité qui a assombri les points de référence, ils sont déstabilisées par l’angoisse de n’appartenir à rien. Leur sort n’interpelle pas la conscience de tout le monde et souvent, malheureusement, ceux qui auraient plus de responsabilités, esquivent coupablement. Mais à nous il n’est pas permis d’ignorer la chair du Christ, qui nous a été confiée non seulement dans le Sacrement que nous rompons, mais aussi dans le Peuple duquel nous avons hérité.
Ses blessures aussi nous appartiennent. Il est nécessaire de les toucher non pour en faire des manifestes programmatiques de colère pourtant compréhensible, mais des lieux où l’épouse du Christ apprend jusqu’à quel point elle peut être défigurée quand se fondent sur son visage les traits de l’époux. Mais elle apprend aussi d’où repartir, dans une fidélité humble et respectueuse à la voix de son Seigneur. Lui seul peut garantir que, dans les sarments de sa vigne, les hommes ne trouvent pas de mauvais raisins (cf. Is 5,4), mis le bon vin (cf. Jn 2,11), celui de la vraie vigne, sans laquelle nous ne pouvons rien faire (cf. Jn 15,5).
C’est l’objectif de l’Eglise : distribuer dans le monde ce vin nouveau qu’est le Christ. Rien ne peut nous détourner de cette mission. Nous avons un besoin continuel d’outres neuves (cf. Mc 2,22), et tout ce que nous faisons n’est jamais assez pour les rendre dignes du vin nouveau qu’elles sont appelées à contenir et à verser. Mais c’est pour cela qu’il faut que les récipients sachent que sans le vin nouveau ils seront de toute façons des jarres de pierre froide, capables de rappeler le manque mais pas de donner la plénitude. S’il vous plaît, que rien ne vous détourne de ce but : donner la plénitude !
Votre sainteté n’est pas fruit de l’isolement, mais fleurit et fructifie dans le corps vivant de l’Eglise qui vous est confiée par le Seigneur, comme il confia au pied de la croix sa mère au disciple bien-aimé. Accueillez-la comme une épouse à aimer, une vierge à protéger, une mère à rendre féconde. Que votre cœur ne s’entiche pas d’autres amours ; veillez pour que le terrain de vos Eglises soit fertile pour la graine du Verbe et jamais ravagé par des sangliers (cf. Ps 80,14).
Comment pouvez-vous faire ? En vous rappelant que ce n’est pas nous qu sommes à l’origine de notre “portion de sainteté”, mais que c’est toujours Dieu. C’est une sainteté minuscule, qui se nourrit de l’abandon entre ses mains comme un enfant sevré qui n’a pas besoin de demander de démonstration de proximité maternelle (cf. Ps 130,2). C’est une sainteté consciente que vous ne pouvez rien offrir au monde de plus efficace, de plus grand, de plus précieux, de plus nécessaire que la paternité qui est en vous. En vous rencontrant, toute personne peut au moins effleurer la beauté de Dieu, la sécurité de sa compagnie et la plénitude de sa proximité. C’est une sainteté qui grandit tandis qu’elle découvre que Dieu n’est pas domesticable, il n’a pas besoin d’enclos pour défendre sa liberté, et il n’est pas contaminé quand il s’approche, au contraire, il sanctifie ce qu’il touche.
La comptabilisation de nos vertus ne sert à rien, ni un programme d’ascèse, ni des entraînements d’efforts personnels ni un régime qui se renouvelle d’un lundi à l’autre, comme si la sainteté était le fruit de sa volonté. La source de la sainteté est la grâce de nous approcher de la joie de l’Evangile et de la laisser envahir notre vie, de telle façon qu’on ne pourra plus vivre autrement.
Avant encore que nous existions, il y avait Dieu et il nous aimait. La sainteté c’est toucher cette chair de Dieu qui nous précède. C’est entrer en contact avec sa bonté. Regardez les pasteurs appelés dans la nuit de Bethléem : ils ont trouvé dans cet Enfant la bonté de Dieu ! C’est une joie que personne ne pourra leur dérober. Regardez ceux qui observaient de loin le calvaire : ils sont retournés chez eux en se frappant la poitrine parce qu’ils avaient vu le visage ensanglanté du Verbe de Dieu. La vision de la chair de Dieu creuse le cœur et prépare la place pour que la plénitude divine y fassent peu à peu sa demeure.
Je vous recommande donc de ne pas avoir honte de la chair de vos Eglises. Entrez en dialogue avec leurs questions. Je vous recommande une attention particulière au clergé et aux séminaires. Nous ne pouvons pas répondre aux défis que nous avons à leur égard sans mettre à jour nos processus de sélection, d’accompagnement, d’évaluation. Mais nos réponses n’auront pas d’avenir si elles ne rejoignent pas le gouffre spirituel qui, dans de nombreux cas, a permis des faiblesses scandaleuses, si elles ne mettent pas à nu le vide existentiel qu’elles ont alimenté, si elles ne révèlent pas pourquoi Dieu a été rendu si muet, si réduit au silence, si absent d’une certaine façon de vivre, comme s’il n’existait pas.
Et ici, chacun de nous doit humblement entrer au plus profond de lui-même et se demander ce qu’il peut faire pour rendre plus saint le visage de l’Eglise que nous gouvernons au nom du Pasteur Suprême. Il ne sert à rien de pointer les autres du doigt, de fabriquer des boucs émissaires, de se déchirer les vêtements, de déterrer la faiblesse des autres comme aiment le faire les enfants qui ont toujours vécu chez eux comme s’ils étaient des serviteurs (cf. Lc 15,30-31). Ici il est nécessaire de travailler ensemble et en communion, certains que la sainteté authentique est celle que Dieu accomplit en nous, quand, dociles à sont Esprit, nous retournons à la joie simple de l’Evangile, afin que sa béatitude prenne chair pour les autres dans nos choix et dans nos vies.
Je vous invite par conséquent à avancer joyeux et non pas amères, sereins et non pas angoissés, consolés et non pas désolés – cherchez la consolation du Seigneur – en gardant des cœurs d’agneaux qui, même entourés de loups, savent qu’ils vaincront parce qu’ils comptent sur l’aide du pasteur (cf. S. Jean Chris., Hom. 33,1: PG 57,389).
Que Marie, celle qui nous prend dans ses bras sans nous juger, soit l’étoile lumineuse qui conduise votre chemin.
Tandis que je remercie le cardinal Marc Ouellet et le cardinal Leonardo Sandri et leurs Congrégations respectives pour le généreux travail réalisé, je donne la Bénédiction apostolique à chacun de vous et à vos Eglises que vous êtes appelés à servir. Merci !
Traduction de Zenit, Anne Kurian
Evêques des Eglises orientales catholiques, 13 sept. 2018 © Vatican Media
"L'Eglise n'est pas à nous, elle est à Dieu !" rappelle le pape aux évêques
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