Collège San Carlo © Vatican Media

Collège San Carlo © Vatican Media

Education : une culture ouverte, pour regarder l’étranger comme un sujet à écouter

Dialogue avec les étudiants et les enseignants de l’Institut San Carlo de Milan (2/4)

Share this Entry

Le pape François a encouragé « une culture ouverte, qui nous permette de regarder l’étranger, le migrant, celui qui appartient à une autre culture comme un sujet à écouter, considéré et apprécié », en dialoguant avec les enseignants et les étudiants de l’Institut San Carlo de Milan, le 6 avril 2019.
Depuis la Salle Paul VI du Vatican, le pape a répondu à des questions posées par les participants à la rencontre. Il a notamment critiqué « le manque de patriotisme » : « Le patriotisme ne consiste pas seulement à chanter l’hymne national ou à rendre hommage au drapeau : le patriotisme, c’est le fait d’appartenir à une terre, à une histoire, à une culture… et c’est cela, l’identité. Identité signifie appartenance. On ne peut avoir d’identité sans appartenance. Si je veux savoir qui je suis, je dois me poser la question : « À qui est-ce que j’appartiens ? ». »
« La jeunesse ne peut pas avancer si elle n’est pas enracinée », a également averti le pape, en encourageant à « arroser ces racines par ton travail, par la confrontation avec la réalité », en particulier en parlant « avec les personnes âgées ».
Voici notre traduction de la deuxième question de ce dialogue.
AK
Dialogue avec l’Institut San Carlo de Milan (2/4)
Silvia Perucca (Enseignante) – Bonjour, Saint-Père, Je m’appelle Silvia et j’enseigne au Lycée classique San Carlo depuis 13 ans. Nous autres, enseignants de tous les niveaux scolaires, nous nous trouvons tous les jours confrontés à des défis éducatifs toujours plus grands. En effet, nous vivons dans une société multiethnique et multiculturelle, projetée vers l’avenir et qui offre constamment des possibilités de rencontre et de confrontation avec les personnes, des instruments et des méthodes éducatives différents, il suffit de penser à la technologie et aux opportunités qu’elle offre mais aussi aux inévitables risques que cela comporte. En tant qu’éducateurs, nous désirons enseigner à nos étudiants une manière de saisir au mieux ces opportunités en nous ouvrant à l’autre sans craindre les éventuels conflits, forts de la conscience que cela ne signifie pas perdre son identité, mais au contraire l’enrichir. Aujourd’hui, nous voudrions donc vous demander comment nous pouvons transmettre au mieux à nos étudiants les valeurs enracinées dans la culture chrétienne et en même temps comment nous pouvons les concilier avec l’exigence de plus en plus incontournable d’éduquer à la confrontation et à la rencontre avec les autres cultures. Merci.
Pape François – Merci à toi. Je commence par la dernière partie de la question pour remonter ensuite : « Comment pouvons-nous les concilier avec l’exigence de plus en plus incontournable d’éduquer à la confrontation et à la rencontre ? » et « Comment pouvons-nous transmettre au mieux à nos étudiants les valeurs enracinées dans la culture chrétienne ? ».
Le mot clé ici, c’est « enracinées ». Et pour avoir des racines, il faut deux choses : de la consistance, c’est-à-dire de la terre – un arbre a des racines parce qu’il a de la terre – et de la mémoire. Le mal d’aujourd’hui, selon les analystes, les experts – en suivant l’école de Bauman – c’est la liquidité. Le dernier livre de Bauman s’appelle « Nés liquides » et il dit que vous, les jeunes, vous êtes nés liquides, sans consistance. Mais la traduction allemande – et c’est curieux – au lieu de dire « nés liquides », dit « déracinés ». La liquidité se fait quand tu n’es pas capable de trouver ton identité, c’est-à-dire tes racines, parce que tu n’es pas capable d’aller au-delà avec ta mémoire, et de te confronter avec ton histoire, avec l’histoire de ton peuple, avec l’histoire de l’humanité, avec l’histoire du christianisme : les valeurs, ce sont celles-là ! Cela ne signifie pas que je dois me fermer au présent et me couvrir avec le passé et rester là par peur. Non ! Cela, c’est de la pusillanimité… Mais vous devez aller aux racines, prendre la sève des racines et les faire vivre en grandissant. La jeunesse ne peut pas avancer si elle n’est pas enracinée. Les valeurs sont les racines, mais il faut que tu grandisses avec. Arroser ces racines par ton travail, par la confrontation avec la réalité, mais grandir avec la mémoire des racines. C’est pourquoi je conseille tellement de parler avec les personnes âgées : je défends ma catégorie, mais nous devons parler avec les personnes âgées, parce qu’elles sont la mémoire du peuple, de la famille, de l’histoire. « Oui, mais je parle avec papa et maman ». C’est bien, mais la génération intermédiaire n’est pas aussi capable – aujourd’hui – de transmettre les valeurs, les racines, que les personnes âgées. Je me souviens, dans mon autre diocèse, quand je disais quelquefois aux jeunes : « Allons faire quelque chose ! Allons dans cette maison de retraite jouer de la guitare pour aider les personnes âgées ! – Père, c’est ennuyeux. – Allons-y un peu… ». Les  jeunes y allaient, commençaient avec la guitare et les personnes âgées, qui étaient endormies, commençaient à se réveiller, à poser des questions : les jeunes aux personnes âgées, les personnes âgées aux jeunes. À la fin, ils ne voulaient plus partir. Mais d’où venait la fascination pour les personnes âgées ? Des racines ! Parce que les personnes âgées leur faisaient vivre les valeurs de leur histoire, de leur personnalité, les valeurs qui sont une promesse pour aller de l’avant. C’est pourquoi les valeurs enracinées – j’emploie ton expression – sont importantes, si importantes.
Ensuite, un second aspect, c’est l’identité personnelle. Nous ne pouvons pas faire une culture du dialogue si nous n’avons pas d’identité, parce que le dialogue serait comme l’eau qui s’en va. Avec mon identité, je dialogue avec toi qui as ton identité, et l’un et l’autre nous avançons. Mais il est important  d’être conscient de mon identité et de savoir qui je suis et que je suis différent des autres. Il y a des personnes qui ne savent pas quelle est leur identité et qui vivent des modes ; elles n’ont pas de lumière intérieure : elles vivent des feux d’artifice qui durent cinq minutes et qui s’arrêtent. Connaître son identité. C’est très important. Pourquoi as-tu eu telle réaction ou telle autre ? « Parce que je suis comme ça… » : connaître ton identité, ton histoire, ton appartenance à un peuple. Nous ne sommes pas des champignons, nés tout seuls : nous sommes des personnes nées dans une famille, dans un peuple et très souvent cette culture liquide nous fait oublier notre appartenance à un peuple. Une critique que je ferais, c’est le manque de patriotisme. Le patriotisme ne consiste pas seulement à chanter l’hymne national ou à rendre hommage au drapeau : le patriotisme, c’est le fait d’appartenir à une terre, à une histoire, à une culture… et c’est cela, l’identité. Identité signifie appartenance. On ne peut avoir d’identité sans appartenance. Si je veux savoir qui je suis, je dois me poser la question : « À qui est-ce que j’appartiens ? ».
Et la troisième chose : au début, tu as parlé d’une société multiethnique et multiculturelle. Remercions Dieu pour cela ! Remercions Dieu, parce ce que c’est une richesse, le dialogue entre les cultures, entre les personnes, entre les ethnies… Une fois, j’ai entendu un homme, père de famille, qui était heureux quand ses enfants jouaient avec les enfants d’autres personnes, avec une autre culture… des personnes que nous sous-évaluons peut-être ou que nous méprisons, mais pourquoi ? Tes enfants ne grandiront peut-être pas purs dans ta race ? « Père, qu’est-ce qui est plus pur que l’eau distillée ? » – m’a dit une fois un homme. « Mais moi, je ne sens pas le goût de l’eau distillée… elle ne me désaltère pas ». L’eau de la vie, de cette multiethnicité, de cette multi-culturalité. N’ayez pas peur. Et ici, je touche une plaie : n’ayez pas peur des migrants. Les migrants sont ceux qui nous apportent des richesses, toujours. L’Europe a aussi été faite de migrants ! Les barbares, les Celtes… tous ceux qui venaient du Nord et qui ont apporter leur culture, l’Europe s’est développée ainsi, avec la contraposition des cultures. Mais aujourd’hui, faites attention à cela : aujourd’hui, il y a la tentation de faire une culture des murs, d’élever des murs, des murs dans les cœurs, des murs sur la terre pour empêcher cette rencontre entre les cultures, avec d’autres personnes. Et celui qui élève un mur, qui construit un mur finira esclave à l’intérieur des murs qu’il aura construits, sans horizons. Parce qu’il lui manque cette altérité. « Mais Père, faut-il que nous accueillions tous les migrants ? ». Le cœur ouvert pour accueillir, avant tout. Si j’ai le cœur raciste, il faut que j’examine bien pourquoi et que je me convertisse. Deuxièmement : les migrants doivent être reçus, accompagnés, intégrés ; qu’ils prennent nos valeurs et que nous connaissions les leurs, un échange de valeurs. Mais pour intégrer, les gouvernants doivent faire des calculs : « Mais mon pays a la capacité de n’intégrer que cela ». Dialogue avec les autres pays et chercher les solutions ensemble. C’est la beauté de la générosité humaine : accueillir pour devenir plus riche. Plus riche de culture, plus riche dans la croissance. Mais cela ne sert à rien d’élever des murs.
J’ai cité récemment le roman « Le pont sur la Drina », dans lequel Ivo Andrić écrit cette belle phrase à propos des ponts et il dit que les ponts sont quelque chose de si ineffable et de si grand que ce sont des anges, ce ne sont pas des choses humaines. Il dit ceci : « Le pont est fait par Dieu avec les ailes des anges pour que les hommes puissent communiquer ». La grandeur de construire des ponts avec les gens est qu’ils servent à la communication et nous grandissons avec la communication. En revanche, nous refermer sur nous-mêmes nous amène à être des non communicants, à être de « l’eau distillée », sans force. C’est pour cela que je vous dis : enseignez aux jeunes, aidez les jeunes à grandir dans la culture de la rencontre, capables de rencontrer des personnes différentes, les différences, et à grandir avec les différences : c’est ainsi qu’on grandit, par la confrontation, une bonne confrontation.
Il y a autre chose, qui est sous-jacent à ce que tu dis : aujourd’hui, dans notre monde occidental, une autre culture s’est beaucoup développée : la culture de l’indifférence. L’indifférence qui vient d’un relativisme : ce qui est à moi, est à moi, point final ; et par l’abolition de toute certitude. La culture de l’indifférence est une culture non créative, qui ne te fait pas grandir ; au contraire, la culture doit toujours s’intéresser aux valeurs, aux histoires des autres. Et cette culture de l’indifférence tend à éteindre la personne en tant qu’être autonome, pensant, pour le dominer et le noyer. Faites attention à cette culture de l’indifférence. C’est de là que découlent les intégrismes, les fondamentalismes et l’esprit sectaire. C’est à cela plus ou moins que nous devons réfléchir : une culture ouverte, qui nous permette de regarder l’étranger, le migrant, celui qui appartient à une autre culture comme un sujet à écouter, considéré et apprécié. Merci.

Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
Share this Entry

Hélène Ginabat

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel