Le pape Benoît XVI s’étonne qu’un volume de la collection « La théologie du pape François », éditée par la Librairie éditrice du Vatican (LEV), ait été confié au théologien allemand Peter Hünermann, aujourd’hui âgé de 89 ans, naguère opposant au magistère de Jean-Paul II, puis du pape Ratzinger lui-même. Il a enseigné à Münster et à Tübingen.
Dans une lettre à Mgr Dario Edoardo Vigano, préfet du Secrétariat du Saint-Siège pour la communication, Benoît XVI n’hésite pas à dire, tout d’abord, que l’auteur, durant son propre pontificat, « s’est distingué pour avoir dirigé des initiatives anti-papales ».
Ensuite, Benoît XVI indique que le théologien « a participé, dans une mesure importante, à la publication de la Déclaration de Cologne, qui a attaqué l’autorité du magistère du Pape [Jean-Paul II] de façon virulente, spécialement sur des questions de théologie morale ».
De fait, ce mémorandum de Cologne remonte au 6 janvier 1989, et, entre janvier et mai de cette année-là, il a attiré l’adhésion de quelque 220 théologiens, d’Allemagne, d’Autriche, de Suisse et des Pays-Bas, en réaction notamment contre le deuxième congrès international de théologie morale organisé, en italien, sous Jean-Paul II, au Vatican, en novembre 1988, sur l’encyclique de Paul VI Humanae Vitae (vingt ans après…), que le pape Wojtyla salue comme “prophétique”. Celui-ci achève son discours de clôture du congrès sur le rapport entre la liberté et la vérité, en citant saint Augustin: “Voilà notre liberté, nous soumettre à la vérité” (“De Libero Arbitrio”, 2, 13, 37).
De fait, dans sa lettre, Benoît XVI met les attaques de Hünermann en rapport avec l’encyclique de 1993 sur la vérité, “Veritatis splendor”.
Enfin, Benoît XVI évoque une association de théologiens fondée par Hünermann, la « Société européenne de théologie catholique », qui « a été pensée par lui initialement comme une organisation en opposition au magistère papal », même si, précise-t-il, les théologiens qui en font partie ont surmonté cette « orientation » grâce à leur « sens de l’Eglise ».
Voilà en somme trois raisons pour lesquelles le pape émérite Benoît XVI, connu aussi pour son excellente mémoire, a eu quelque réticence à apporter une contribution à la présentation de la collection lancée par la LEV pour le cinquième anniversaire du pontificat.
Mais le pape émérite dit bien que ses propos sur Hünermann sont marginaux par rapport à l’essentiel, à savoir ce qu’il affirme en premier de la continuité des deux pontificats, le sien et celui du pape François.
Benoît XVI a souligné plus longuement leur continuité dans son entretien avec le père Jacques Servais SJ, recteur de la Casa Balthasar de Rome : l’entretien est publié en français chez Parole et Silence avec d’importantes notes du p. Servais, d’où le titre, « Comprendre de manière nouvelle : Notes en marge de l’interview du pape émérite Benoît XVI » (novembre 2017).
Nous publions ce dimanche, 18 mars 2018, un article du père Servais qui donne des clefs de cette continuité, de nature théologique et pastorale, dont la « miséricorde ».
Enfin, en février 2006, au terme d’une audience générale, le prof. Hünermann avait participé à la présentation au pape Benoît XVI d’un ouvrage collectif sur le Concile Vatican II, réalisé par l’Université de Tübingen et publié chez Herder : l’université allemande a publié la photo sur son site. Le prof. Hünermann est le deuxième à partir de la droite.
Voici notre traduction, rapide, de travail, de la lettre de Benoît XVI à Mgr Dario Edoardo Vigano, écrite en italien, et publiée ce samedi 17 mars 2018 par le Vatican, pour mettre fin aux polémiques et aux spéculations sur ce passage de la lettre du pape émérite.
AB
Lettre du pape Benoît XVI à Mgr Vigano
Très Révérend Monseigneur,
Merci beaucoup pour votre aimable lettre du 12 janvier et pour le don adjoint des onze petits volumes sous la direction de Roberto Repole. J’applaudis à cette initiative qui veut s’opposer et réagir au préjugé insensé selon lequel le pape François serait seulement un homme pratique, dénué de formation théologique ou philosophique particulière, tandis que je serais uniquement un théoricien de la théologie qui aurait peu compris la vie concrète d’un chrétien aujourd’hui. Les petits volumes montrent, à raison, que le pape François est un homme d’une profonde formation philosophique et théologique et ils aident ainsi à voir la continuité intérieure entre les deux pontificats, même avec toutes les différences de style et de tempérament.
Cependant je ne me sens pas d’écrire à leur sujet une « page théologique brève et dense ». Toute ma vie, il a toujours été clair que je n’aurais écrit et que je me serais exprimé seulement sur des livres que j’aurais vraiment lus. Malheureusement, ne serait-ce que pour des raisons physiques, je ne suis pas en mesure de lire les onze petits volumes dans un avenir proche, d’autant que m’attendent d’autres engagements que j’ai déjà pris.
Je voudrais seulement noter, en marge, ma surprise devant le fait que parmi les auteurs, figure aussi le prof. Hünermann, qui, durant mon pontificat, s’est distingué pour avoir dirigé des initiatives anti-papales. Il a participé, dans une mesure importante, à la publication de la « Kölner Erklärung » (« Déclaration de Cologne », ndlt), qui, en rapport avec l’encyclique « Veritatis splendor » a attaqué l’autorité magistérielle du Pape de façon virulente, spécialement sur des questions de théologie morale. Même la « Europäische Theologengesellschaft » (« Société européenne de théologiens », ndlt) qu’il a fondée, a été pensée par lui initialement comme une organisation en opposition au magistère papal. Par la suite, le sens ecclésial de beaucoup de théologiens a empêché cette orientation, faisant de cette organisation un instrument normal de rencontre entre théologiens.
Je suis certain que vous comprendrez ma dénégation et je vous salue cordialement,
Vôtre,
Benoît XVI
Traduction de ZENIT, Anita Bourdin
Présentation d'un commentaire de Vatican II au Pape Benoît XVI, photo @ kath-theol.uni-tuebingen.de
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