A l’occasion du premier « Dimanche de la Parole », dimanche prochain, 26 janvier 2020, IIIème dimanche du Temps ordinaire (Année A), Mgr Francesco Follo lit dans les lectures proposées par la liturgie une invitation à « suivre le Christ, vérité de l’amour, par le don de soi ».
Comme lecture spirituelle, l’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris propose une homélie de Lansperge le Chartreux (+ 1539).
Suivre le Christ : conversion, communion et mission.
1) Suivre le Christ c’est la première conversion.
Le point central de l’évangile d’aujourd’hui est clair : c’est suivre Jésus Christ qui appelle à la communion avec lui.
En effet, après avoir annoncer le règne et la conversion, la première chose que le Rédempteur du monde fait, est celle de nous montrer comment se réalise le règne de Dieu. La modalité principale de cette réalisation du règne de Dieu c’est de suivre Jésus Christ, parce qu’en le\ suivant nous devenons ce que nous sommes : fils dans, avec par le Fils. Faisant le même chemin du Fils, nous réalisons pleinement notre vérité de fils. L’homme nouveau nait d à cause de cette marche du Christ devant nous et à cause de notre marche derrière lui, même si nous le suivons à tâtons et faisant des fautes.
Il faut garde à l’esprit que ce chemin de conversion n’exige pas qu’un « conversion morale » qui implique un changement de vie. Il demande aussi une « une conversion intellectuelle » qui implique un changement dans la manière de penser et de sentir. Finalement, il exige une « conversion existentielle » qui implique de vivre de la présence du Christ qui est à suivre avec amoureuse confiance et total abandon.
Donc la conversion n’est réductible à un petit ajustement de notre chemin. Elle est vraiment une inversion de marche. Conversion est aller contre-courant, c’est à dire contre un style de vie superficiel, incohérent et illusoire qui souvent nous entraine vers le bas, nous domine et nous rend des esclaves du mal ou, au moins et en tout cas, nous rend prisonniers de la médiocrité morale, intellectuelle et existentielle.
C’est en suivant le Fils de Dieu que la foi devient une réalité, devient une relation personnelle avec Lui. Cette relation n’est pas seulement une relation d’amitié, Elle est une relation d’action : c’est à dire nous le suivons, nous faisons le même chemin et devenons fils en lui, comme je viens de dire. C’est dans la « séquelle » de Jésus que tout se réalise. Toutefois, suivre Jésus n’est pas une initiative qui part de nous. Nous le suivons parce qu’il nous a appelés. Le suivre est notre réponse à son invitation à nous convertir, de croire à Lui, de vivre en relation avec Lui et de vivre comme Lui, en Le suivant.
2) La vocation à la conversion.
Dans l’extrait de l’Evangile d’aujourd’hui l’apôtre Matthieu nous raconte que Jésus quitta Nazareth, où il vivait caché une vie quotidienne si normale qu’aucun de ses concitoyens[1] n’avaient vu en Lui quelqu’un d’exceptionnel, et s’en alla à Capharnaüm porter la lumière de Dieu. Il alla dans endroit où il y avait un grand mélange de juifs et d’autres peuples, et que les Juifs appelaient pour cette raison la « Galilée des gentils », ou bien « province des païens ».
La logique humaine aurait voulu que l’annonce messianique parte du cœur du judaïsme, c’est-à-dire de Jérusalem[2], or la voilà partir d’une région périphérique, la Galilée, généralement méprisée et vue comme contaminée par le paganisme. Mais la surprise vient justement de ce que pour Saint Matthieu elle est l’accomplissement d’une ancienne prophétie et le signe révélateur de Jésus : le Messie universel qui brise en mille morceaux toute forme de particularisme.
Jésus commença par cette « apparente » périphérie[3] pour éclairer tant la Ville sainte que le monde, et Matthieu résume son annonce en une brève formule: « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche ». Les premiers mots de Jésus sont simples, brefs. Saint Marc écrit: « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1,15). Les paroles rapportées dans l’Evangile d’aujourd’hui sont encore plus dépouillées: « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche » (Mt 4,17), voire même guère claires pour nous de par leur sobriété. Pour les comprendre, et comprendre aussi la différence entre le message de Jean et l’annonce de Jésus, je propose une explication dans notre langage à nous, en essayant de faire ressortir leur signification vivante et éternelle.
« Les temps sont accomplis ». Les temps attendus, prophétisés, annoncés, sont arrivés à leur accomplissement. Les temps vécus sans connaître la beauté de la vie avec Jésus Christ sont finis. Le temps des tromperies est fini. L’heure est venue de nous faire ouvrir les yeux par Dieu et de contempler Son visage, dont une partie devient ensuite le nôtre.
« Le Royaume est proche ». Jena Le Baptiste disait qu’un Roi serait bientôt venu fonder un nouveau royaume: le Royaume des Cieux. Jésus donne l’heureuse nouvelle que le Roi est venu et que les portes du Royaume sont ouvertes. Le Royaume n’est pas l’invention archaïque d’un pauvre Juif d’il y a vingt siècles ; ce n’est pas une chose rétrograde, une mémoire morte, un rêve brisé. Le Royaume des cieux est en nous. Il commence tout de suite: il est aussi notre œuvre, pour notre bonheur, dans cette vie, sur cette terre. Il dépend aussi de notre volonté, du fait que nous répondions oui ou non à la vocation du Christ, qui nous appelle à être des saints, c’est-à-dire à regarder le ciel, à désirer le ciel et à espérer de toujours vivre au ciel. Le Royaume de Dieu est paix et joie[4].
« Convertissez-vous » ajoute Jésus. « Convertissez-vous »: ce « vieux » mot a lui aussi été détourné de son vrai sens. Le terme grec « Metanoèite » de l’Evangile ne saurait être traduit par « poenitemini » en latin ou « faites pénitence » en français. Au sens propre du mot, « Metànoia » est un changement dans la manière de penser, un changement d’esprit, la transformation de l’âme. La métamorphose est un changement de forme ; metànoia, changement d’esprit, c’est changer de mentalité. A juste titre, la traduction dit « conversion » qui est le renouvellement de l’homme intérieur. L’idée de « repentir » et de « pénitence » ne sont que les applications et illustrations de l’invitation de Jésus à se tourner vers Lui, à avancer vers la lumière.
Le Messie nous invite à nous convertir à la lumière de la vérité et à la béatitude de l’amour.
En l’aimant nous le connaitrons mieux, et en le connaissant mieux nous L’aimerons bien plus encore: on n’aime bien que ce que l’on connaît; l’amour rend transparent celui qu’on aime. La première conversion consiste à croire, à croire au Verbe d’Amour. « Dans la mesure où la foi est liée à la conversion, elle est l’opposé de l’idolâtrie ; elle est une rupture avec les idoles pour revenir au Dieu vivant, au moyen d’une rencontre personnelle. Croire signifie s’en remettre à un amour miséricordieux qui accueille toujours et pardonne, soutient et oriente l’existence, et qui se montre puissant dans sa capacité de redresser les déformations de notre histoire. La foi consiste dans la disponibilité à se laisser transformer toujours de nouveau par l’appel de Dieu. » (François, Lett. Enc. Lumen Fidei, n. 13).
2) Un appel dans l’appel
L’extrait de l’Encyclique du pape François permet de passer au commentaire de la seconde partie de l’Evangile d’aujourd’hui qui parle de l’appel des premiers disciples. Cette proposition à Le suivre, Jésus la fait sur les rives du lac de Capharnaüm, là où Il prêchait et où les hommes étaient occupés à leur travail.
Aucun cadre exceptionnel pour l’appel des premiers disciples : un port au bord d’un lac, lieu de travail pour des pêcheurs.
Essayons de faire ressortir les traits essentiels de ce récit de vie.
Jésus est l’acteur principal. Il est le personnage central. L’initiative est la Sienne (« il vit deux frères » – Pierre et André – « il leur dit: suivez-moi »; « il vit deux autres frères » – Jacques et Jean de Zébédée – « et il les appela »). Ce n’est pas l’homme qui s’autoproclame disciple, mais Jésus qui convertit l’homme et l’appelle à devenir son disciple, en le choisissant avec amour. Puis le disciple n’est pas d’abord appelé à apprendre une doctrine mais à vivre avec une Présence, qui est le centre affectif de sa vie d’appelé. L’attachement à la personne de Jésus vient en premier.
Cette adhésion exige un profond détachement. Jacques et Jean, Pierre et André quittent leurs filets, leur barque et leurs pères. Autrement dit, ils quittent métiers et familles. Le métier garantit sécurité et estime sociale, le père représente ses propres racines. Il s’agit d’un détachement radical.
Ce détachement permet de répondre à l’appel de Jésus, de se mettre totalement et gratuitement dans ses pas. Les deux verbes « quitter » et « suivre » indiquent un déplacement du centre de la vie de la personne appelée. L’appel de Jésus ne vise pas un aménagement social, ne place pas dans un état, mais met en marche pour une mission.
Pour finir on voit que le disciple a deux caractéristiques : il est en communion avec Jésus Christ (« suivez-moi ») et va vers l’humanité (« Je vous ferai pêcheurs d’hommes »). La seconde nait de la première. Jésus ne place pas ses disciples dans un espace séparé, fermé : il les envoie sur les routes du monde. A ce propos le pape François, en parlant de Saint Pierre Favre, jésuite français, invite lui aussi à imiter ce « Compagnon de Jésus » en permettant que « le Christ occupe le centre du cœur »[5].
Les Vierges consacrées, elles aussi, vivent cette « centralité » du Christ, en le suivant dans un abandon total et une confiance amoureuse. En imitant les 4 premiers apôtres choisis par Jésus. Qu’ils fussent des pêcheurs n’est pas un hasard. Le pêcheur, qui vit une bonne partie de ses journées dans la pure solitude de l’eau, est la personne qui sait attendre. Il est une personne patiente, qui n’est pas pressée, qui fait descendre ses filets et s’en remet à Dieu. L’eau fait ses caprices, le lac a ses bizarreries et les jours ne se ressemblent jamais. En partant en large à la recherche de poissons, le pêcheur ne sait pas s’il reviendra le bateau plein ou sans un poisson à mettre sur le feu pour son repas. Il s’en remet aux mains du Seigneur qui envoie l’abondance et la famine ; il se console de la mauvaise journée en pensant à la bonne journée qui arrive et à celle qui viendra.
Avec leur génie et leur sensibilité féminine capable de dévouement suprême, les Vierges Consacrées vivent le même appel que les apôtres pêcheurs, le même chemin de sainteté que celui qui va derrière le Christ, (cf. rituel de consécration des vierges, n° 24 : Et toi, Dieu toujours fidèle, sois leur fierté, leur joie et leur amour ; sois pour elles consolation dans la peine, lumière dans le doute, recours dans l’injustice ; dans l’épreuve, sois leur patience, dans la pauvreté, leur richesse, dans la privation, leur nourriture, dans la maladie leur guérison. En toi, qu’elles possèdent tout, puisque c’est toi qu’elles préfèrent à tout) avec le cœur dilaté, la même humilité que la sainte Famille de Nazareth (comme rappelle la liturgie ambrosienne d’aujourd’hui), dont Jésus étaient de toute évidence le centre et où, de toute évidente, la maison de l’un était l’affect de l’Autre.
Marie et Joseph veillèrent sur Jésus et l’aidèrent à grandir, non seulement parce que, devenu grand, il aurait dit des paroles de vie éternelle, mais parce qu’ils avaient foi et savaient qu’Il était la Parole de vie pour toujours.
Lecture Spirituelle
Le Christ, lumière de notre vie
Homélie de Lansperge le Chartreux (+ 1539)
Sermon 5, Opera omnia, 3, 315-317
Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière (Is 9,1). Mes frères, nul n’ignore que nous sommes tous nés dans les ténèbres et que nous y avons vécu autrefois. Mais faisons en sorte de ne plus y rester, maintenant que le soleil de justice s’est levé pour nous.
Le Christ est donc venu illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, pour guider leurs pas dans le chemin de la paix. De quelles ténèbres parlons-nous? Tout ce qui se trouve dans notre intelligence, dans notre volonté ou dans notre mémoire, et qui n’est pas Dieu ou n’a pas sa source en Dieu, autrement dit tout ce qui en nous n’est pas à la gloire de Dieu et fait écran entre Dieu et l’âme, est ténèbres.
Aussi le Christ, ayant en lui la lumière, nous l’a-t-il apportée pour que nous puissions voir nos péchés et haïr nos ténèbres. Vraiment, la pauvreté qu’il a choisie quand il n’a pas trouvé de place à l’hôtellerie, est pour nous la lumière à laquelle nous pouvons connaître dès maintenant le bonheur des pauvres en esprit, à qui appartient le Royaume des cieux.
L’amour dont le Christ a témoigné en se consacrant à notre instruction et en s’exposant à endurer pour nous les épreuves, l’exil, la persécution, les blessures et la mort sur la croix, l’amour qui finalement l’a fait prier pour ses bourreaux, est pour nous la lumière grâce à laquelle nous pouvons apprendre à aimer aussi nos ennemis.
Elle est pour nous lumière, l’humilité avec laquelle il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur (Ph 2,7), et, refusant la gloire du monde, voulut naître dans une étable plutôt que dans un palais et subir une mort honteuse sur un gibet. Grâce à cette humilité nous pouvons savoir combien détestable est le péché d’un être de limon, un pauvre petit homme de rien, lorsqu’il s’enorgueillit, se glorifie et ne veut pas obéir, tandis que nous voyons le Dieu infini, humilié, méprisé et livré aux hommes.
Elle est aussi pour nous lumière, la douceur avec laquelle il a supporté la faim, la soif, le froid, les insultes, les coups et les blessures, lorsque comme un agneau il a été conduit à l’abattoir et comme une brebis devant le tondeur il n’a pas ouvert la bouche (Is 53,7). Grâce à cette douceur, en effet, nous voyons combien inutile est la colère, de même que la menace, nous consentons alors à souffrir et nous ne servons pas le Christ par routine. Grâce à elle, nous apprenons à connaître tout ce qui nous est demandé: pleurer nos péchés dans la soumission et le silence, et endurer patiemment la souffrance quand elle se présente. Car le Christ a enduré ses tourments avec tant de douceur et de patience, non pour des péchés qu’il n’a pas commis, mais pour ceux d’autrui.
Dès lors, frères très chers, réfléchissez à toutes les vertus que le Christ nous a enseignées par sa vie exemplaire, qu’il nous recommande par ses exhortations et qu’il nous donne la force d’imiter avec l’aide de sa grâce.
NOTES
[1] « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » (Lc 4, 22). Marc et Matthieu ajoutent : « Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie, et ses frères : Jacques, Joseph, Simon et Jude ? Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes chez nous ? Et ils étaient profondément choqués à son sujet » (Mc 6,3; cf Mt 13,55).
2 Aux temps de la vie terrestre du Christ, Jérusalem était le centre religieux pour un fidèle juif, mais politiquement elle était considérée comme marginale par rapport au pouvoir romain.
3 Il faut tenir compte du fait que Capharnaüm, loin du Temple, est plus proche de la mer Méditerranée et sur la route des caravanes des marchands, et devient le carrefour d’une nouvelle histoire, celle du salut.
4 “En effet, le Royaume de Dieu ne consiste pas en des questions de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint. Celui qui sert le Christ de cette manière-là plaît à Dieu, et il est approuvé par les hommes » (Rm 14, 17-18). 13,55).
[5] “Ce n’est que si l’on est centré sur Dieu qu’il est possible d’aller vers les périphéries du monde! Et Pierre Favre a voyagé sans cesse jusqu’aux frontières géographiques, au point que l’on disait de lui : « Il semble qu’il soit né pour ne rester en place nulle part » (mi, Epistolae i, 362). Pierre Favre était dévoré par le désir intense de communiquer le Seigneur. Si nous n’avons pas le même désir que lui, alors nous avons besoin de nous arrêter dans la prière et, avec une ferveur silencieuse, de demander au Seigneur, par l’intercession de notre frère Pierre, de revenir nous fasciner : cette fascination du Seigneur qui poussait Pierre à toutes ces « folies » apostoliques. » (François, Homélie en l’Eglise du Gesù à Rome, 3 janvier 2014).