Dimanche 21 février 1858: sixième apparition à Lourdes

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Comparution

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Entre « apparition » et « comparution », je reconnais que je joue sur les mots. Mais, ce dimanche 21 février, Bernadette a vécu ce contraste : le matin, l’apparition de la Dame dans un climat de confiance et de prière ; l’après-midi, la comparution devant le commissaire de police, dans un climat de défiance et d’intimidation. Jusqu’au mois de mai, Bernadette sera en butte aux tracasseries des Pouvoirs publics. Parlons-en une fois pour toutes.

A Lourdes, les représentants de l’ordre public sont le maire, le commissaire de police, le procureur impérial. A Tarbes, le préfet.

Le maire est M. Lacadé. C’est un honnête homme, comme les autres, d’ailleurs. Sous le second Empire, les élections municipales ont été maintenues mais les maires des communes de plus de 3 000 habitants (c’est le cas de Lourdes) sont nommés par l’empereur et étroitement surveillés par les préfets. C’est dire que leur liberté de manœuvre est limitée. Quoi qu’il en pense, Lacadé appliquera les ordres.

Le commissaire de police, M. Jacomet, est le zèle personnifié. Il l’a montré lors de l’épidémie de choléra qui avait touché la ville, en 1855. Il avait fait preuve d’un véritable dévouement, comme le curé Peyramale : ce qui avait créé des liens entre eux. Lourdes n’était pas un village. C’était la troisième ville du département, avec ses quatre mille et quelques habitants. Mais quand même, ce qui se passait à Massabielle s’était répandu comme une traînée de poudre. Les uns disaient déjà que c’était la sainte Vierge. Les autres se méfiaient, prêts à y voir, soit une manœuvre du clergé pour relancer la dévotion, soit un coup, qu’on dirait aujourd’hui médiatique, des Soubirous pour ramasser de l’argent. En plus, le nombre de personnes se massant près de la Grotte, sur les flancs d’une pente très raide et non loin du gave, un vrai torrent, constituait un vrai danger.

Tout cela faisait désordre. Il fallait y mettre un terme. Le commissaire pensait que, pour cela, il lui suffirait de convoquer Bernadette, de lui faire peur et de lui interdire de retourner à la grotte. Le brave homme n’y arrivera jamais. Comme Bernadette le dira plus tard : quand elle devait répondre aux accusations portées contre elle, et donc contre la Vierge, elle n’était plus seule à répondre. « Ne vous tourmentez pas de ce que vous aurez à dire », avait promis Jésus à ses apôtres quand il leur parlait de leur mission à venir. Témoin de l’interrogatoire, le garde-fontaines Latapie se souvient de la scène. Il commente : « Il fallait qu’elle soit sainte ou inspirée pour être de sang-froid comme elle l’était, la petite. » Sang-froid et humour. Bernadette a bien observé le commissaire : « Il tremblait. Il avait à sa calotte un gland qui faisait tintin. »

Lourdes possédait aussi un tribunal. Le personnage important était le procureur, M. Dutour. Bernadette comparut devant lui à plusieurs reprises. Il était parfois entouré du maire, du commissaire, du juge. Il ne pouvait toujours accuser Bernadette de rien de précis. Les tentatives pour prouver que, soit le clergé, soit la famille l’avaient poussée à jouer la comédie, avaient échoué. Il s’agissait, cependant, d’arrêter un phénomène que ces Messieurs ne comprenaient pas. S’ils n’y arrivaient pas, ils seraient déconsidérés, mal notés par leurs supérieurs.

Au sortir d’une de ces auditions, Bernadette se met à rire. Elle qui commence à peine d’apprendre à écrire, elle a remarqué que les notes du procureur étaient couvertes de croix et de ratures. La séance avait été dramatique. La mère pleurait. Bernadette riait. « Que tu es enfant ! », dit la mère. « Enfant », comme Mgr Laurence, beaucoup plus tard : « Avez-vous vu cette enfant ? » Dans l’esprit de l’Evangile, c’est un beau compliment.

Bien qu’il ne soit pas sur place, le préfet Massy suit l’affaire de près, d’autant plus qu’elle est vite remontée jusqu’à Paris. Il menace Bernadette d’une autre forme de prison : l’asile psychiatrique. Il nomme une commission de trois médecins pour conclure à la folie de Bernadette. Prudents mais honnêtes, les médecins décevront l’attente du préfet : il n’y a pas lieu d’interner Bernadette.

Pourquoi tous ces hommes s’acharnent-ils sur Bernadette ? Parce que ce sont des notables et Bernadette, la fille d’une famille ruinée ? Peut-être un peu. Mais pas seulement. Ce sont des catholiques. Des catholiques éclairés. Ils pensent, sans doute sincèrement, que ces apparitions ne peuvent être qu’une illusion. Pire encore : elles ridiculisent la religion. Un siècle après Voltaire, ces choses-là ne sont plus de saison. C’était bon pour le Moyen-Age, alors que nous sommes à l’âge du télégraphe et du chemin de fer. En plus, Lourdes est à quelques kilomètres du Béarn, pays protestant : ils vont bien se moquer de nous, les protestants ! En arrêtant cette folie, les autorités pensent rendre service à l’Eglise qu’elles trouvent trop attentiste. Matériellement, dans quelques semaines, le préfet fera planter des barricades devant la grotte : tout un symbole !

Ce matin du dimanche 21 février, elle s’est peut-être trouvée à la Messe en même temps que Jacomet ou que Dutour. Trois ou quatre heures plus tard, à quelques mètres de là, ils s’opposent. Ils sont pourtant de la même Eglise et chacun est sincère. Cela aussi fait partie du message de Lourdes : l’incompréhension.

Seigneur,
Tu as donné à Bernadette la force et la paix du Saint-Esprit
Quand elle devait répondre à ceux qui l’accusaient.
Elle n’a pas reculé devant les menaces.
Elle a déjoué les pièges du Menteur.
Que l’humble Bernadette nous serve d’exemple
Quand nous avons à croire et à témoigner
Dans un monde qui souvent se ferme à la Vérité
Parce qu’elle dérange nos courtes certitudes.
Au Nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit.
Amen !

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Jacques Perrier

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