Au Pakistan, l’idée du dialogue islamo-chrétien fait son chemin, témoigne Mgr Joseph Coutts, évêque de Faisalabad, président de la Conférence épiscopale pakistanaise. Il a évoqué la cohabitation de chrétiens et musulmans dans son pays lors d’une table ronde organisée dans le cadre d’Assise 2016, lundi, 19 septembre, 16h30.
Des musulmans du Pakistan sont venus le trouver pour remercier le pape François d’avoir refusé d’identifier islam et terrorisme, dans l’avion de Cracovie à Rome, le 31 juillet dernier.
Voici notre traduction complète de son témoignage.
AB
Témoignage de Mgr Joseph Coutts
C’est pour moi une grande joie d’être ici aujourd’hui, dans la ville du poverello, l’homme d’Assise pauvre et saint qui nous a laissé, parmi tant d’autres choses, une belle prière « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix ».
Un des meilleurs moyens pour promouvoir la paix c’est d’aller à la rencontre de l’autre, d’un cœur ouvert, avec amour, et le désir de le comprendre. Si nous ne cherchons pas à aller l’un vers l’autre, nous resterons confinés dans nos petits mondes, prisonniers de nos préjugés et de nos incompréhensions. C’est pourquoi, il y a trente ans, le grand pape Jean-Paul II nous a montré le chemin, invitant tous les chefs religieux à se rassembler pour prier pour la paix dans cette ville de paix.
Je suis heureux de dire que, depuis quelques années, dans le pays d’où je viens, le Pakistan, l’idée du dialogue islamo-chrétien fait son chemin. Malgré les attaques de groupes extrémistes comme les talibans ou Daech – avec leur interprétation déformée de l’islam – musulmans et chrétiens, de la même façon, sont arrivés à comprendre que ceci n’est pas le vrai visage de l’islam. Notre gouvernement, avec l’aide de l’armée, est sur les traces des groupes terroristes et détruit leurs cachettes.
Je suis heureux de pouvoir dire que tant d’initiatives visant à promouvoir le dialogue islamo-chrétien sont nées, ces dernières années, surtout parmi les ONG. Et le gouvernement du Pakistan aussi, à travers son Ministère des affaires religieuses, a commencé à utiliser l’expression « dialogue interreligieux » et à encourager ces interactions. Le mois dernier, une délégation du Jamaat-e-Islami, le pus grand parti politique musulman du Pakistan, est venu me voir à Karachi. Pour remercier et dire combien ils avaient apprécié ce que le pape François avait dit, le 31 juillet, à bord de l’avion qui le ramenait de Pologne. Il avait répondu à un journaliste : « Je ne parle pas de violence musulmane car … je crois qu’il n’est pas juste d’identifier l’islam à la violence. C’est injuste et faux … » La délégation musulmane s’est félicitée des paroles du pape et trouvait important qu’elles viennent d’un leader religieux mondial comme le pape François, pour dissiper les incompréhensions sur l’islam, et préparer le terrain au dialogue et à la compréhension.
Ces appréciations provenant d’un parti politique musulman aussi important sont certainement encourageantes. Elles sont porteuses d’espoir et ouvrent la porte à plus de dialogue et de compréhension avec l’islam. Certes, il n’en reste pas moins que ce chemin est encore parsemé d’embuches.
La grande majorité des musulmans perçoivent le monde occidental (Europe et Etats-Unis) comme un produit des pays chrétiens. Donc tout ce que ces pays font est perçu comme quelque chose qui vient des chrétiens. Ainsi, les attaques contre l’Irak puis contre l’Afghanistan, sont perçues comme une attaque des chrétiens contre les pays musulmans. Et cela explique pourquoi tant d’imams prêchent que les croisades n’ont jamais pris fin; ils disent que celles-ci se poursuivent sous d’autres formes. Par exemple, la présence des forces de l’OTAN en Afghanistan est souvent prise pour une « croisade ». Et cela vient de ce qu’un grand nombre de pays musulmans, après la Seconde guerre mondiale, étaient sous les pouvoirs coloniaux de l’Occident. Donc, les chrétiens de ces pays sont perçus, malheureusement, comme ayant des liens avec l’Occident ou, pire, d’être sous l’influence des anciens pouvoirs coloniaux.
L’autre difficulté c’est que l’islam, contrairement à l’Eglise catholique, n’a pas de structure hiérarchique, n’a pas d’autorité centrale. Même si les grands centres de la culture musulmane, comme l’université d’Al-Azhar au Caire, ou le Grand Imam d’un pays, ont beaucoup d’autorité et sont respectés, leurs affirmations ne lient pas tous les musulmans du monde. Si bien que beaucoup de groupes islamiques fanatiques et extrémistes restent bloqués dans leur perception que le monde occidental est chrétien et les croisades jamais finies; et donc qu’une jihad est nécessaire. La nécessité d’un dialogue n’apparaît donc pas. Toutes les influences occidentales, voire la démocratie même, sont forcément perçues comme opposées ou contre, voire néfastes à l’islam.
Si cette idée négative qui répand la haine n’est pas neutralisée, ou pour le moins adoucie, elle restera un grand obstacle au dialogue et à la compréhension entre l’islam et le christianisme.
Le concept musulman de « guerre sainte », ou « jihad », est une autre difficulté qui empêche d’entrer dans cet esprit de dialogue. Tant d’étudiants musulmans interprètent cette guerre comme une bataille morale et spirituelle contre tout mal, alors que d’autres l’assimilent à une guerre qui doit être engagée contre les ennemis de l’islam qu’ils voient aujourd’hui peupler le monde. Au Pakistan, il y a des groupes musulmans qui insistent sur le fait que les écoliers musulmans doivent recevoir un enseignement sur la jihad pour être plus forts et devenir des guerriers de la foi. La Da-wa est plus importante que « dialoguer » avec les autres religions. Il n’y a pas de place pour le dialogue. La Da-wa est le devoir de chaque musulman d’inviter l’autre à accepter sa foi.
Je dis cela avec le respect dû à tous mes amis musulmans qui ne se sentent pas liés à ces idées et les ont dépassées, comprenant l’islam comme une religion de paix et de fraternité avec tout le genre humain. C’était la pensée de nos grands saints et poètes Soufis, mystiques musulmans. Leurs sermons étaient basés sur l’amour, la paix et la fraternité.
Le temps des croisades est loin. Aujourd’hui, l’enseignement officiel de l’Eglise est plutôt clair sur les comportements que nous devons avoir. Le document de Vatican II, Nostra Aetate n. 3, dit ceci: « L’Église regarde aussi avec estime les musulmans… Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. »
Au Pakistan, un Centre chrétien d’études a été institué il y a plus de 50 ans pour promouvoir la compréhension et le dialogue entre musulmans et chrétiens. Ce centre organise des rencontres interreligieuses et encourage les recherches et les études dans ce domaine. Il a une revue trimestrielle appelée Al Mushir, et les étudiants ou chercheurs ont accès à la bibliothèque ou au centre, en général, pour faire leurs recherches.
Les papes Jean-Paul II puis Benoît XVI et maintenant le pape François, nous ont tous montré le chemin à suivre. C’est le chemin de Jésus-Christ qui a dit: « Heureux les artisans de paix … ». Ecoutons la voix de saint François qui priait en ces termes: « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix! ». Décidons, Inch’Allah, d’être des instruments de paix et d’amour! Alhamdolillah!
Traduction de Zenit, Océane Le Gall
Mgr Joseph Coutts © AED
Pakistan: des musulmans remercient le pape de refuser d’identifier islam et terrorisme
Témoignage de Mgr Joseph Coutts à Assise 2016