Depuis 40 ans au service du Saint-Siège (II)

L’archevêque Józef Kowalczyk, nouveau primat de Pologne, raconte

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ROME, Vendredi 7 mai 2010 (ZENIT.org) – Certains prêtres donnent leur vie pour la mission aux frontières de la pauvreté ou de la maladie, d’autres le font dans la diplomatie au service de l’Eglise et des papes. C’est le cas de l’archevêque Józef Kowalczyk (Jadowniki Mokre, 28 août 1938), qui a été nommé ce samedi, archevêque de Gniezno, et primat de Pologne, par Benoît XVI.

Le pape Jean-Paul II l’avait nommé nonce apostolique en 1989. Plus de 20 ans ont passé depuis lors, et le monde et la Pologne ont radicalement changé, comme il l’explique dans cette interview accordée à ZENIT au terme de l’Année sacerdotale. Nous publions ci-dessous la deuxième partie de cet entretien. Pour la première partie, cf. Zenit, 7 mai.

Q – Autrement dit, deux futurs papes ont travaillé à la Nonciature apostolique de Varsovie ?

Mgr Kowalczyk – Exact. Le 5 septembre 1939, quelques jours près le déclenchement de la Seconde guerre mondiale, le Nonce de l’époque, Filippo Cortesi, quittait la capitale pour ne plus y revenir.

Q – Après la parenthèse communiste, l’histoire de la Nonciature a repris avec votre nomination en 1989.  Quels ont été les plus grands défis que vous avez dû affronter ces 20 années-là ?

Mgr Kowalczyk – Avant tout, il me fallait organiser et faire fonctionner la Nonciature. Et cela, suivant les instructions de Paul VI, qui disait : le représentant du Saint-Siège est le signe visible de l’Eglise particulière avec Pierre, ajoutant que l’Eglise locale agit toujours cum Petro et sub Petro

Je devais affronter deux grands défis comme Nonce en Pologne : le Concordat et la nouvelle organisation administrative de l’Eglise catholique en Pologne et, ensuite, l’agrandissement, approprié et digne, du siège de la Nonciature apostolique en Pologne. L’avènement de la démocratie en Pologne a permis d’élaborer un document de caractère international – le Concordat précisément – qui engageait tant l’Etat que l’Eglise. Aujourd’hui, avec le recul des années passées, on peut dire que ce Concordat moderne a bien fonctionné, au point qu’il est apprécié par les autres Eglises en Pologne, qui l’utilisent comme modèle pour leurs relations avec l’Etat.

Jean-Paul II avait très à coeur la restructuration administrative de l’Eglise polonaise, parce que c’était une chose nécessaire, bien qu’extrêmement délicate. Je pense que si nous avons réussi, c’est grâce aux prières du pape et à la collaboration de la Conférence épiscopale polonaise.   

Q – Excellence, avec une certaine amertume et, je dirais aussi un peu de colère, j’aimerais m’entretenir avec vous d’un sujet délicat qui concerne l’Eglise en Pologne : la dite »lustracja » (loi de lustration ou vérification du passé). Nous rappelons à nos lecteurs que, en 1989, les communistes polonais ont cédé le pouvoir (à la suite des accords dits « de la Table ronde ») en échange de l’impunité pour les membres du parti et de tout l’appareil des services de sécurité. L’intouchabilité était ainsi assurée aux organisateurs et aux bourreaux de l’Etat totalitaire, ainsi qu’aux fidèles serviteurs du régime communiste – juges, journalistes, professeurs, hommes de culture etc. La règle de l’impunité a été respectée, jusqu’au jour où il a été décidé d’ouvrir les archives des services de sécurité pour permettre aux victimes du régime de consulter leur dossier. Hélas, les premiers qui ont « profité  » de la possibilité d’accéder aux archives des services de sécurité ont été non pas les victimes, mais quelques journalistes uniquement intéressés par les papiers concernant le clergé. C’est ainsi que l’opinion publique, non seulement en Pologne, mais dans le monde entier, au lieu d’entendre les histoires des bourreaux et des fidèles serviteurs du régime communiste, a commencé à être informée de la prétendue « collaboration » du clergé polonais avec les services de sécurité. On a assisté alors à un renversement de la perspective historique, et des prêtres polonais, les premières victimes du régime, ont été présentés comme des espions et des collaborateurs. Il y a quelques années, j’avais intitulé un de mes articles sur le cas du lynchage médiatique de l’archevêque Wielgus : « Depuis la tombe de l’histoire, le communisme continue à frapper l’Eglise « . Les venins vous ont atteint vous aussi, quand on a extrait des archives les « documents » qui montrent votre prétendue collaboration avec les services secrets communistes (enregistré comme « contact information » sous le pseudonyme de « Cappino »)…  

Mgr Kowalczyk – La lustracja était un processus de vérification du passé dont le but était de découvrir qui avait collaboré avec les services secrets communistes, délibérément. A ce processus étaient également soumis des prêtres et évêques polonais. Je suis citoyen du Saint-Siège, je le représente en Pologne, je suis doyen du Corps diplomatique et, comme les autres ambassadeurs, je jouis de l’immunité diplomatique. C’est pourquoi le processus de lustracja ne m’a pas concerné. Mais comme je suis né ici, que je parle la langue de ce pays, pour beaucoup je suis un évêque polonais comme les autres. Alors, ça et là, des voix se sont levées pour « vérifier » également l’archevêque Kowalczyk. J’ai décidé de faire contrôler mon dossier provenant des archives communistes, en signe de solidarité avec les autres évêques. On a découvert à l’Institut de la Mémoire nationale (IPN) quelques pages qui ont été remises aux membres de la Commission historique de l’archidiocèse de Varsovie. L’examen de ces quelques papiers a permis à la Commission de constater que, depuis 1963, quand j’étudiais à Rome et travaillais dans les structures de la Curie romaine et au sein du Groupe du Saint-Siège pour les contacts permanents de travail avec le gouvernement polonais, les services de sécurité polonais m’avaient à l’oeil (comme tous les autres étudiants-prêtres que ce soit en Pologne ou à Rome) ; après mon départ pour Rome pour mon poste à la Curie, à partir de 1971, j’ai été sous surveillance des services secrets polonais (le Département du Ministère de l’Intérieur) et, le 15 décembre 1982, j’ai été enregistré – évidemment, à mon insu – dans ce même ministère comme « contact information » sous le pseudonyme de « Cappino ». Il y avait parmi les papiers une note datée du 3 janvier 1990, avec l’information que le dossier a été détruit, compte tenu de l’inutilité opérationnelle. En conséquence, la Commission de l’archidiocèse a déclaré qu’il n’existe aucun indice qui pourrait suggérer la collaboration volontaire et consciente de celui qui était alors monseigneur Józef Kowalczyk avec les services de sécurité polonais. Par la suite, la Conférence épiscopale polonaise a publié une déclaration, dans laquelle elle réaffirme sa pleine confiance à Mgr Kowalczyk, en tant que collaborateur fidèle et loyal du Saint-Père Jean-Paul II.

Ensuite, ils ont trouvé dans les archives de l’IPN « un document », publié plus tard dans un journal polonais sous le titre « les services de sécurité communistes ont raté avec le Nonce », car l’enregistrement a été fait à l’insu de la personne concernée, afin de couvrir l’un des secrétaires du représentant du gouvernement polonais accrédité près le Saint-Siège qui faisait office d’espion des autorités communistes de Varsovie. Ceci prouve l’hypocrisie et la perversité des méthodes de travail des représentants du gouvernement communiste polonais, ainsi que de ceux accrédités près le Saint-Siège.

Q – Votre cas démontre que les anciens services de sécurité communistes – depuis la tombe de l’histoire – frappent encore leurs victimes. Mais je voudrais changer
de sujet : nous parlions de votre mission pendant quarante ans auprès de la Curie romaine et dans la diplomatie du Saint-Siège. Mais vous, avant tout, êtes un prêtre qui célèbrera en 2012 le 50e anniversaire de son ordination sacerdotale. J’aimerais que vous nous fassiez part de vos réflexions sur le sacerdoce en cette année que Benoît XVI a voulu consacrer justement aux prêtres. 

Mgr Kowalczyk – Jean-Paul II, réfléchissant sur son sacerdoce, a écrit que le prêtre est surtout l’ « administrateur des mystères de Dieu », qu’il est appelé à distribuer les biens de la foi, les biens du salut aux personnes pour lesquelles il a été envoyé. Il est donc l’homme de la Parole de Dieu, du sacrement, du « mystère de la foi ». La vocation sacerdotale – pour Jean-Paul II – est un mystère, le mystère d’ « un merveilleux échange entre Dieu et l’homme ». Un mystère et un don : l’homme donne au Christ son humanité, pour qu’Il puisse l’utiliser comme instrument de salut. Il doit donc être disponible pour tous ceux qui l’approchent et sollicitent l’aide d’un prêtre indépendamment de l’appartenance politique. Mais il ne doit pas s’impliquer de façon active dans les affaires politiques, parce que cette activité n’est pas sa vocation, et le peuple de Dieu n’accepte pas cette activité venant d’un prêtre. Qu’il est important de rappeler ces choses en l’Année sacerdotale que nous vivons !

Benoît XVI, durant son voyage apostolique en Pologne, a exposé aux prêtres polonais ce qui compte vraiment dans la vie sacerdotale et ce qui, en revanche, peut détourner un prêtre – en particulier ayant vécu sous le régime totalitaire – de son authentique mission : « Les fidèles n’attendent qu’une chose des prêtres : qu’ils soient des spécialistes de la promotion de la rencontre de l’homme avec Dieu. On ne demande pas au prêtre d’être expert en économie, en construction ou en politique. On attend de lui qu’il soit expert dans la vie spirituelle. Dans ce but, lorsqu’un jeune prêtre accomplit ses premiers pas, il faut qu’il puisse faire référence à un maître expérimenté, qui l’aide à ne pas s’égarer face aux nombreuses propositions de la culture du moment. Face aux tentations du relativisme ou du permissivisme, il n’est pas du tout nécessaire que le prêtre connaisse tous les courants de pensée actuels et changeants ; ce que les fidèles attendent de lui c’est qu’il soit le témoin de la sagesse éternelle, contenue dans la parole révélée. L’attention à la qualité de la prière personnelle et à une bonne formation théologique porte des fruits dans la vie. Vivre sous l’influence du totalitarisme peut avoir engendré une tendance inconsciente à se cacher sous un masque extérieur, avec la conséquence de céder à une certaine forme d’hypocrisie. Il est clair que cela n’est pas bénéfique à l’authenticité des relations fraternelles et peut conduire à une concentration exagérée sur soi-même. En réalité, on ne grandit dans la maturité affective que lorsque le coeur adhère à Dieu. Le Christ a besoin de prêtres qui soient mûrs, virils, capables de cultiver une authentique paternité spirituelle. Pour que cela se produise, il y a besoin d’honnêteté avec soi-même, d’ouverture envers le directeur spirituel et de confiance dans la miséricorde divine » (Rencontre avec le clergé, Varsovie, Cathédrale 25 mai 2006).

Pour vivre son sacerdoce tel que Benoît XVI l’a décrit, il faut un examen de conscience permanent et un engagement de formation de chaque prêtre. Les défis de notre temps exigent des prêtres qu’ils donnent un témoignage non pas tant par des paroles que par des actions, qui peuvent parfois être perçues comme un signe de contradiction par rapport au monde imbu de mentalité laïciste et laïcisante ainsi que de relativisme moral. C’est pourquoi le pape a institué cette Année sacerdotale en proposant saint Jean Vianney comme un exemple du prêtre consacré totalement à servir les âmes et à les rapprocher de Dieu. C’est seulement en adoptant cette attitude qu’un prêtre peut affronter les défis du monde contemporain.

Propos recueillis par Wlodzimierz Redzioch

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ZENIT Staff

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