Dans un article intitulé « ces couvents qui sauvèrent des juifs de la Shoah », Vatican News en italien (Paolo Ondarza) a rendu hommage, début janvier 2020, aux catholiques engagés aux côtés de la communauté juive de Rome en danger de mort pendant l’Occupation nazie: « Cachés dans des églises, des couvents ou des instituts religieux pendant la persécution nazie: c’est l’histoire de nombreux juifs qui échappèrent aux rafles ».
Pour Radio Vatican: « Une porte ouverte, refuge sûr pour échapper à la mort : c’est ce que représentèrent plus de 220 couvents, églises et maisons appartenant à différents ordres religieux qui, au coeur de la persécution nazie, offrirent un abri à environ 4 500 juifs de Rome, presque la moitié de toute la communauté juive de la capitale, qui représentait alors entre 10 et 12 mille personnes. »
Fuyant les rafles nazies
Vatican News décrit la rafle commémorée chaque année à Rome: « Huit heures et demie, de 5h30 à 14h, c’est ce que dura la rafle du 16 octobre 1943. C’était un samedi, fête du repos pour la religion juive, jour qui ne fut pas choisi par hasard par le dessein diabolique des nazis, dont l’intention était d’éliminer systématiquement tout un peuple. Une fois l’opération terminée, les rues désertes du ghetto résonnaient encore des cris d’angoisse des 1 259 juifs romains, dont 689 femmes, 363 hommes et 207 enfants, arrachés de force par les troupes de la Gestapo. Sur les 1 023 qui furent aussitôt déportés dans le camp d’extermination d’Auschwitz, seuls 16 d’entre eux rentreront chez eux. D’autres, avaient fuit pour demander de l’aide pendant les heures nocturnes qui précédèrent l’incursion. »
Des témoignages oraux
Pour les historiens, rappelle la même source, « il est impossible de quantifier précisément le nombre total des juifs cachés et sauvés par l’Église catholique », avant tout du fait de la clandestinité et donc de « l’absence presque totale de documentation écrite qui fut évitée par prudence et afin de ne laisser aucune traçabilité compromettante », car « il ne faut pas, en effet, oublier le phénomène honteux des délations ».
La recherche historique se base donc principalement sur les témoignages oraux: « des juifs cachés dans des maisons religieuses à la libre initiative de celles-ci, d’autres hébergés dans des monastères cloîtrés sur l’indication et avec la dispense du Saint-Siège ; des sites chrétiens comme les Catacombes de Priscille, devenus des lieux de référence pour le réseau des faux papiers, des maisons religieuses qui recevaient des vivres du Vatican pour nourrir les réfugiés accueillis. Des structures qui ouvraient leurs portes gratuitement et celles qui demandaient le paiement d’une pension. »
Cachés par des chrétiens
« L’hospitalité se présentait selon des modalités différentes, explique la même source : de l’accueil de familles entières à celui réservé uniquement aux hommes, aux femmes ou aux enfants. Si, dans de nombreux cas, pour des raisons de sécurité, les hôtes durent apprendre les prières chrétiennes, il y eut aussi ceux qui revêtirent la soutane en cas de blitz nazi-fascistes. La majeure partie des témoignages atteste un respect total de la part de soeurs ou de prêtres pour leur croyance juive. Les mois de cohabitation furent indéniablement une occasion de connaissance interreligieuse qui aida à dissiper de nombreux préjugés réciproques. »
Coexistence et partage
Notons que le grand séminaire du Latran par exemple, le séminaire du pape accueillait toute sorte de réfugiés, notamment des opposants au fascisme, y compris des communistes. Radio Vatican continue: « Le fait d’avoir trouvé refuge dans des églises et des couvents revient fréquemment dans les récits des survivants. L’accueil prodigué aux juifs s’est fait dans le contexte plus large de l’hospitalité offerte aux réfugiés politiques, aux personnes déplacées et aux orphelins. Pendant une situation d’urgence qui a duré des mois, les communautés religieuses ont poursuivi leurs activités habituelles en partageant avec leurs hôtes le peu de produits à leur disposition à cause des restrictions économiques imposées par la guerre. Dans les hôpitaux, les personnes accueillies se déguisaient en patients, dans les écoles en collégiens et dans les instituts caritatifs en personnes handicapées. »
Les modalités d’arrivée
Pour ce qui est des réseaux de sauvetage l la même source indique des chemins variés : « Les familles juives arrivèrent souvent dans les maisons religieuses par connaissance directe ou par le biais de listes de couvents remises clandestinement par les évêques aux comités juifs d’assistance. Certains étaient en possession de recommandations influentes, d’autres frappèrent à la porte des églises et des monastères, tentant désespérément d’y trouver refuge. Le secrétaire particulier de Pie XII de l’époque, Robert Leiber, confirmera en 1961 à la « Civiltà Cattolica » que le pape avait fait savoir que les maisons religieuses « pouvaient et devaient » offrir un refuge aux juifs. Il faut noter qu’entre septembre et octobre 1943, la secrétairerie d’État et le Vicariat de Rome firent distribuer aux différents instituts religieux des pancartes attestant l’extraterritorialité du lieu et destinés à éviter perquisitions et irruptions. »
On connaît aussi l’histoire héroïque du champion cycliste Gino Bartali cachant dans sa bicyclette des faux papiers à destinations des juifs, grâce à un réseau de religieux et au cardinal archevêque de Florence, qui avait présidé à son mariage. Il faisait la navette entre Rome et Florence sous prétexte de « s’entraîner » et les contrôles allemands étaient si respectueux envers le vainqueur du Tour de France de 1938 qu’il passait les contrôle sans obstacle!
L’accueil des pères augustins à Rome
Les Soeurs de Maria Bambina, à deux pas du Vatican, furent parmi les premières maisons religieuses à offrir un accueil aussitôt après le bombardement du 19 juillet 1943.
Le collège international adjacent Sainte Monique, des pères augustins, accueillit de nombreux réfugiés. Parmi ceux-ci, Giampietro Stuccoli, Servio et Adolfo Di Castro provenaient certainemetn de la communauté juive, comme en a témoigné le regretté cardinal Prosper Grech qui entra comme étudiant à Sainte Monique dans les années immédiatement après 1943.
Des prêtres, religieuses et religieux « Justes parmi les Nations »
Sur les 468 Italiens proclamés « Justes parmi les Nations » par le mémorial de la Shoah de Yad Vashem, qui examine depuis 1962 les dossiers des non juifs qui sauvèrent des juifs pendant la Shoah, environ un huitième appartiennent au clergé catholique : 30 prêtres diocésains, 12 religieux, 15 religieuses et 4 évêques.
De Mgr Placido Nicolini, chef d’un réseau de secours à Assise, au nonce à Budapest Angelo Rotta, qui distribua aux juifs 19.000 lettres de protection avec des lettres de créance du Vatican. De la bienheureuse mère Elisabeth Marie Hesselblad, la fondatrice suédoise des Brigittines mais active pendant la guerre dans la maison généralice à Rome, à don Pietro Pappagallo, martyr des Fosses ardéatines pour avoir caché les juifs et leur avoir distribué de faux papiers ; des soeurs Emerenzia Bolledi et Ferdinanda Corsetti qui hébergèrent 30 jeunes filles juives et des familles entières dans le couvent romain des Joséphines de Chambéry à don Gaetano Tantalo, curé de Tagliacozzo, qui conserva jusqu’à sa mort un petit morceau de pain non levé que lui avait offert la famille Orvieto, qu’il avait protégée dans son presbytère.
Nous nous permettons d’ajouter les religieuses de Notre-Dame de Sion, sur la colline du Janicule, sur la vie Fabrizi: les femmes étaient dans le couvent, les hommes dans la serre du grand parc. En cas de perquisition, une cave avait été vidée de son charbon, la porte, donnant dans la cuisine, réduite à une ouverture invisible derrière une grande armoires à casseroles. Comme pour beaucoup d’autres couvents, le pape Pie XII savait qu’il abritait des bouches à nourrir: des soeurs témoignent avoir vu un camion apportant de la farine arriver avec, à côté du chauffeur, soeur Pascalina Lehnert (1894-1983), secrétaire du pape, Bavaroise, capable de parler avec l’Occupant en cas de souci.
Le Collège jésuite de Mondragone et l’Observatoire du Vatican
En 2010, la médaille de « Juste parmi les Nations » a été remise au père jésuite Raffaele de Ghantuz Cubbe qui, en tant que recteur du Noble Collège de Mondragone, à Frascati, sauva de l’extermination nazie trois enfants juifs, les cachant parmi les étudiants de l’Institut. L’un d’eux était Graziano Sonnino.
On pourrait aussi nommer un jésuite, le frère Karl Treush, qui a, probablement par la volonté de Pie XII, a aidé de nombreux Juifs, selon l’histoire de l’employé de l’Observatoire astronomique du Vatican, Luigi Lori. Il passait facilement les postes de contrôle parce que l’allemand était sa langue maternelle. Le compte twitter de la « Specola Vaticana » le rappelle aujourd’hui.
Avec Anita Bourdin