CITE DU VATICAN, Mercredi 6 mars 2002 (ZENIT.org) – A quelques semaines du début de la polémique à propos du film « Amen », Jean-Yves Riou fait le point en trois questions trois réponses.
– Comment évolue la polémique autour d´Amen ?
– J´entends des choses très bizarres, y compris en milieu chrétien, y compris dans les médias chrétiens. Notamment sur la repentance. Que l´on se comprenne bien, entre la défense d´un pape « outragé » et six millions de victimes : il n´y a pas photo ! Et notre préoccupation doit d´abord aller à la compréhension de ce qu´a été cette tragédie. Je l´ai déjà suggéré dans notre numéro du magazine sur le film : la Shoah est un drame singulier et cosmique, qui doit être médité. La responsabilité des chrétiens, si responsabilité il y a, doit être jugée à l´aune de ce qu´a été ce crime. Point. Mais ce n´est pas ce film – intéressant à cause des questions métaphysiques qu´il pose – qui va nous aider à trouver de bonnes réponses à de bonnes questions. Tout simplement parce que la thèse du film relève du hold up intellectuel. Si j´osais, je dirais que cela me fait penser au bouquin de Laurence Lacour sur l´Affaire Villemin.
– Pourtant on explique qu´il faut distinguer l´affiche du film ?
– Cela n´a aucun sens. Non seulement il n´est pas possible de distinguer l´affiche du film mais on ne peut distinguer, l´affiche et le film, du livret que les journalistes ont reçu. Tout se tient. J´ai trop de respect pour M. Costa-Gavras pour penser qu´il soit incohérent.
Pour le dire autrement : j´ai rarement vu une Une de magazine ne correspondant pas au contenu. L´affiche explique la collusion du christianisme et du nazisme, ou la co-responsabilité face à la Shoah. C´est M. Toscani qui le dit. Je suggère que l´on postule qu´il sache mieux le message qu´il souhaite faire passer qu´un juge, voire qu´un évêque. Chacun son travail, non ? En tout cas, c´est méthodologiquement plus sûr.
J´ajoute que le débat autour de l´affiche ne m´a pas intéressé : cette affiche je ne l´avais même pas comprise avant de lire Toscani. Il faut dire que je n´imaginais pas que l´on puisse avancer l´idée d´une collusion entre la croix du Christ et la croix gammée. C´est tellement stupide que ç´en est presque désarmant.
Quant au film, il dit quoi ? Il dit que le Vatican n´a pas condamné le crime parce qu´il avait peur du « péril rouge » et, au moins indirectement, parce qu´il préférait les « bruns » – rempart contre le bolchevisme – aux « rouges ». Le point suivant : c´est dans le livret remis aux journalistes : Pie XII était peut-être raciste, voire antisémite… ce qui expliquerait sa connivence brune, etc. Cette thèse est fausse, une véritable erreur judiciaire !
– Et c´est grave ?
– Ce n´est pas grave pour les relations judéo-chrétiennes qui sont fortes. Mais c´est doublement grave. D´abord, parce que ce film conforte les préjugés installés dans l´opinion publique. Ensuite parce que c´est un mauvais film pour la repentance.
Il y a deux types de spectateurs : ceux – minoritaires – qui savent, et qui peuvent donc prendre de la distance avec le film, et ceux – majoritaires – qui ne savent pas et qui vont tout mélanger. Les échos qui remontent aujourd´hui en provenance de la base sont : « Ils se sont trompés hier, ils se trompent encore aujourd´hui ! » C´est d´ailleurs l´idée de Costa-Gavras : le chrétien de base ne peut être si mauvais mais l´Eglise catholique n´est qu´une institution politique poursuivant ses buts propres. L´option préférentielle pour les pauvres, c´est aussi se préoccuper de ceux qui n´ont pas toujours les outils intellectuels, voire spirituels, pour discerner, non ? La formation est tout de même un enjeu grave, pointé à juste titre par la Lettre aux catholiques de France.
Alors, quand on laisse entendre qu´Amen est un bon film pour la repentance , cela fait désordre. Je sens l´agacement monter chez bien des historiens et cela désole le journaliste que je suis. Selon moi, la repentance est une intuition théologique géniale mais qui rencontre encore de fortes résistances. Parler de repentance sur des bases historiques faussées, c´est marquer un but contre son camp. On ne peut solder l´Histoire sous prétexte de repentance et de pastorale. C´est même la condition sine qua non de la repentance, non ?