Catéchèse du card. Monsengwo au Congrès eucharistique de Dublin

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« La réconciliation part toujours de Dieu »

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ROME, mardi 19 juin 2012 (ZENIT.org) – « La réconciliation part toujours de Dieu. C’est pourquoi il nous faut instamment prier Dieu le Père, le Fils et l’Esprit Saint de nous accompagner dans notre bonne volonté et dans nos efforts afin de les faire aboutir », a expliqué le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, archevêque de Kinshasa (RDC), dans sa catéchèse donnée au Congrès eucharistique de Dublin sur « Communion et réconciliation », à partir de l’Epître de saint Paul aux Ephésiens.

Catéchèse du card. Monsengwo:

Chers frères et sœurs,

Avant toutes choses, je me fais le plaisir et le devoir de remercier Mgr Darmuid MARTIN, Archevêque métropolitain de Dublin, ainsi que les autres organisateurs du Congrès eucharistique de m’avoir retenu parmi les catéchètes de ce Congrès. Dans la prière je forme le vœu que l’Eglise d’Irlande retrouve sa sérénité grâce à la communion de ses membres à travers une réconciliation fondée sur la justice et le pardon.

Il m’a été demandé de faire ma catéchèse sur la communion et la réconciliation. Nous partirons d’un texte biblique (Ep 2, 12-19) pour d’abord en tirer l’enseignement, puis nous examinerons les exigences de la réconciliation et de la communion pour voir ensuite les chemins concrets de la réconciliation, qui nous conduiront les uns et les autres au pardon, à la réconciliation, à la communion et à la paix.

1.       Lisons le texte de Ep 2, 12-19 :

1.1.       vv.12 « Rappelez vous qu’en ce temps-là vous étiez

–       Sans Christ,

–       Exclus de la citoyenneté d’Israël,

–       Etrangers aux alliances de la Promesse,

–       N’ayant ni espérance ni Dieu en ce monde.

               v.13 (tandisque) maintenant,

–       dans le Christ Jésus,

–       vous qui jadis étiez loin,

–       vous êtes proches dans le sang du Christ.

              v.14 Car c’est lui qui est notre Paix,

–       Lui qui a fait des deux une seule réalité,

–       Et qui a dissous le mur de séparation,

–       Qui a détruit la haine dans sa chair, la loi des préceptes (exprimée) dans ses ordonnances.

              v.15.

            –  afin de créer les deux en un seul Homme nouveau,

            –  faisant ainsi la paix,

            –  et les réconcilier tous les deux en un seul corps à Dieu ;

            – par la croix tuant la haine en lui-même.

             v.17.    Et en venant il a annoncé la paix à vous qui étiez loin et la paix à

                         ceux qui étaient proches,

              v.18.    puisque par lui nous avons accès tous les deux par le même Esprit  

                        au Père.

               v.19.  Ainsi donc vous n’êtes plus des étrangers ni des hôtes ; mais vous êtes

                        des concitoyens des Saints et de la maison de Dieu ».

1.2.       On  notera l’importance capitale que l’auteur accorde au Christ comme agent principal de la  Paix et de la réconciliation. L’auteur y insiste tellement qu’on a l’impression qu’il veut être exhaustif et n’entend rien omettre de ce que le Christ a fait à cette fin. D’une part, il montre comment  sans le Christ les païens étaient des exclus de la citoyenneté (civile et cultuelle) d’Israël, étrangers aux alliances de la Promesse, sans espoir et des sans-Dieu en ce monde. D’autre part, avec le Christ, par son sang, c’est-à-dire par son œuvre rédemptrice, et ils sont proches, autrement dit : des concitoyens (droit de cité) plus encore : ils sont de la maison, i.e. de la famille de Dieu. Ils ont accès égal à Dieu par l’Esprit.

1.3.       Par ailleurs tous les actes accomplis par le Christ : il a rassemblé Juifs et Gentils dans l’unité, il  a dissous le mur de séparation (= accès égal à Dieu), il a détruit la haine, afin qu’il (finalité) crée des deux un seul homme nouveau, les réconcilie tous les deux dans son corps à Dieu, il est venu annoncer la paix aux uns et aux autres, puisqu’en lui par l’Esprit nous avons l’accès (avec l’article définitif) au Père.

1.4.       Enfin cette importance du rôle du Christ, l’auteur sacré la souligne par l’accumulation des pronoms personnels : chôris Christoû, en tô Christô, en tô aimati autoû  en tô saρki, en autô,   Apokteinas en autô. C’est vraiment en lui  que se fait l’unité, que la haine est tuée, que se fait  l’accès au Père, que l’on devient proche. Bref, le Christ est essentiel à la réconciliation, mais  l’auteur n’oublie pas que l’accès au Père est une œuvre de l’Esprit.

1.5.       Il ya lieu de noter, d’une part, les aoristes utilisés par l’auteur sacré pour exprimer les actions du Christ par lesquelles il a réalisé la paix et est devenu la paix en personne et (avec les articles). Par l’aoriste, l’hagiographe veut signifier que la paix et la réconciliation données par le Christ sont acquises une fois pour toutes. D’autre part, il faut signaler le participe présent de Ποίŵν   έίρηνή (2,15), « faisant la paix » et le présent de l’indicatif  έχομεν την προσαγωγήν,  nous avons l’accès (avec l’article défini) au Père. Ce temps présent signifie une action durative :   la paix, la réconciliation l’accès au Père ne sont pas ponctuelles, mais permanentes et durables. Par ailleurs, ποίων είρήνην n’est pas sans rappeler Mt 5,9, où les artisans de paix (είρηνοποίο) sont appelés « fils de Dieu ». Le Christ est le premier artisan de paix, digne  d’être appelé « fils de Dieu » (Cfr Jn 10,36).

1.6.       On est frappé par l’importance que l’auteur sacré accorde au fait que le Christ a supprimé et  tué la haine dans son corps (vv. 14 et 16). Il décrit cette haine comme provenant de la loi des préceptes exprimés dans les ordonnances. C’est donc par la suppression et l’abolition des lois  de séparation cultuelle et sociale entre Juifs et Gentils que le Christ a créé un seul homme  nouveau et fait la paix.

1.7.       La réconciliation est unilatérale et gratuite : le Christ réconcilie Juifs et Gentils à Dieu et leur  donne l’accès au Père dans un seul Esprit (Cfr 2 Co 5,18-19) ; Dieu se réconcilie à lui le monde dans le Christ (Cfr Rm 5,10-11). Cela étant,  il devient  anormal et illogique sinon absurde de vouloir être ré concilié avec Dieu sans une réconciliation avec le prochain (Mt 5,23-24),  ou bien d’implorer le pardon de Dieu sans pardonner au prochain : car ce serait de nouveau séparer ce que Dieu a uni (Mt 18,23-35 : le débiteur impitoyable).

1.8.       Tout compte fait, les actions accomplies par le Christ pour réconcilier les hommes recouvrent les dimensions de la réconciliation telles que définies par l’étymologie donnée plus haut : unité, rassemblement, changement de sentiment. Seule une fois
le verbe αποκαταλλσσω est utilisé dans cette péricope qui baigne tout entière dans la paix et la réconciliation.

est la paix unique (ή είρήνη) (2,14). Parce qu’il est la Paix, il fait la paix (2,15) (ποίŵν είρήνην) et proclame (la bonne nouvelle de) la paix (ευαγγελεζαταί τήν εί(ήνην). Agere sequitur esse, dit le sage. Il   fait la paix en rassemblant et en faisant l’unité entre Juifs et païens (sens latin de reconciliatio) (2,14-15). Il fait l’unité en détruisant les barrières ethniques, sociales, et culturelles et en abolissant les lois et les préceptes y afférents(2,15), en supprimant les distances  raciales (2,14.16) et en tuant la haine dans son corps sur la croix. Créant ainsi en son corps un Homme nouveau, il donna à celui-ci, Juif et Gentils confondus, la Paix, il les réconcilia au Père et leur donne accès (avec l’article défini) au Père dans l’Esprit (culte nouveau : Jn 4,23-24). Juifs et Gentils ont en effet part au même héritage et aux mêmes promesses (Eph 3,6).

1.10.    Si la logique de la péricope est : Il est la paix- Il fait la paix- Il a annoncé la paix, la structure littéraire situe cependant le centre de cette paix dans « Il a fait la paix »(2,15), et cela en abolissant les lois et les préceptes qui séparaient et en créant un seul Homme nouveau. C’est donc l’œuvre rédemptrice du Christ qui, réalisant la paix, a fait de lui la paix personnifiée (2,16) et a réconcilié en son corps, l’Eglise, Juifs et gentils à Dieu(2,16) et leur a  donné de ce fait l’accès au père.

1.11.    La conclusion (2,19-21) est que ces païens qui étaient sans Christ, exclus du droit de cité dans l’alliance d’Israël et dès lors lointains et étrangers, sans espérance, et sans vrai Dieu, sont devenus dans le Christ proches, concitoyens des saints, intégrés dans l’Eglise et la famille de Dieu. C’est cela la réconciliation plénière : le changement de situation, de condition de vie, de sentiments et des relations entre Dieu et les hommes et des hommes entre eux. Le Nouveau Testament décrit ces changements de conditions d’être et de vie de manière variée et riche :

–       des relations perturbées à la paix,

–       des ténèbres à la lumière (Col 1,13 ; Eph 5,8 ; Ac 26,18 ; 1P 2,9),

–       de l’inimitié à l’amitié,

–       de la distance à la proximité,

–       d’étranger à la fraternité,

–       de la division et séparation à l’unité ;

–       de la condamnation au salut et la rédemption,

–       du statut d’hôte à celui de la famille,

–       de la haine à l’amour,

–       de l’exclusion à la participation au même héritage avec le Christ (Eph 3,6),

–       de l’homme ancien à l’homme nouveau,

–       de la malédiction à la bénédiction,

–       de l’exclusion à l’accès au Père,

–       d’étranger et hôte à la filiation adoptive (Gal 4,4).

1.12.    Tout cela se résume dans « l’Evangile de la Paix », la « Réconciliation ». Mais le Christ a fait la réconciliation en rassemblant Juifs et Païens, non pas en les gardant chacun « imperméables » aux autres, en les juxtaposant chacun gardant ses privilèges (alliance, promesse, espérance, Dieu unique (sens latin conciliare), mais en les unissant dans son corps  et en faisant une seule réalité : un Homme nouveau.

1.13.    La réconciliation implique des cœurs nouveaux dans le Christ, la suppression de toutes les barrières et de toute discrimination structurelle : raciales, ethniques, légales, religieuses. On ne peut vouloir la réconciliation chrétienne sans des cœurs convertis (μετάνοία entendue  comme le retournement, le changement radical), on ne peut se réconcilier qu’en étant UN. On ne se réconcilie qu’avec le prochain, c’est-à-dire celui qui l’est devenu parce que la haine a été tuée et que l’inimitié a été crucifié sur la croix. C’est dire que la réconciliation est une  épreuve, voir un chemin, un défi.

2.       Voies de la réconciliation

2.1.            En partant de cette page biblique (Ep 2, 12-19), vu la place centrale que l’auteur sacré accorde au Christ dans la réconciliation, nous devons affirmer que toute réconciliation se fait les yeux fixés sur la croix de Jésus. En dehors du Christ, toute tentative ou démarche de réconciliation est une gageure et un leurre. Elle est vouée à l’échec.

2.2.            Ensuite la réconciliation dit une rupture de communion entre deux ou plusieurs sujets à réconcilier. Dès lors l’initiative de réconciliation et sa finalité visent à rétablir cette communion rompue. Dans le cas de l’Irlande, il y a eu, par « l’agression » des pédophiles, rupture de communion entre eux et les victimes. Il s’est opéré une autre rupture entre les familles des victimes d’abord, dans la société ensuite et enfin dans l’Eglise dont la mission essentielle de sainteté et d’exemplarité a été ternie par le scandale de la pédophilie.

2.3.            Il faut donc restaurer la communion

–       Par la vérité : reconnaître devant Dieu, l’Eglise, la société et surtout devant les victimes la réalité et la gravité de la faute. « Peccavimus et facti sumus tamquam immundus nos. Et cecidimus » (Hymne Rorate).

–       Par la justice : répondre de sa faute devant la justice civile et ecclésiastique ainsi que la justice divine qui est miséricorde et pitié.

–       Par la réparation : s’engager à réparer le dommage moral et matériel causé aux victimes.

2.4.            Il faut absolument tuer la haine dans les cœurs et faciliter le rapprochement et l’accès des uns autres ainsi que le dialogue entre les victimes et les pédophiles sans animosité ni agressivité ni rancœur.

2.5.            Le dialogue a pour finalité de faciliter

–       Une demande de pardon sincère,

–       L’offre de pardon à la manière de Jésus,

–       Le renversement des barrières qui discrimineraient dans la société en plaçant d’un côté les violeurs et de l’autre les « justes ». Amener la société et l’Eglise à regarder les pédophiles avec le regard de Dieu qui sauve.

2.6.            Afin que triomphent en TOUT l’AMOUR et la PAIX qui est le Christ et que renaisse de ses cendres la Nation irlandaise.

2.7.            L’Etat et l’Eglise doivent favoriser cette renaissance et promouvoir l’unité de la Nation. Tous les corps ecclésiaux et sociaux y travailleront de toutes leurs énergies.

2.8.            Ce serait erroné et prétentieux de croire que nous puissions par nos propres forces réussir à rétablir la communion et la réconciliation du Peuple irlandais. La réconciliation part toujours de Dieu. C’est pourquoi il nous faut instamment prier Dieu le Père, le Fils et l’Esprit Saint de nous accompagner dans notre bonne volonté et dans nos efforts afin de les faire aboutir.

+ L
. Cardinal MONSENGWO PASINYA

Archevêque de Kinshasa

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ZENIT Staff

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