Après le génocide, la résurrection de l’Eglise catholique au Cambodge

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« La cathédrale de la Rizière, histoire de l’Eglise au Cambodge »

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ROME, Mardi 12 décembre 2006 (ZENIT.org) – Après le génocide, François Ponchaud raconte la résurrection de l’Eglise catholique au Cambodge dans « La cathédrale de la Rizière, histoire de l’Eglise au Cambodge ».

Prêtre des Missions étrangères de Paris (MEP), François Ponchaud est connu du grand public pour avoir publié le premier livre en français dénonçant le génocide perpétré par les Khmers rouges.

Il est aussi l’auteur de « La cathédrale de la rizière, histoire de l’Eglise du Cambodge » aujourd’hui réédité et actualisé (CLD, 2006). Tout à la fois historien, acteur et témoin, François Ponchaud raconte une aventure aux accents bibliques.

Zenit : Pourquoi avez-vous souhaité rééditer la cathédrale de la Rizière?

François Ponchaud : J’ai souhaité rééditer « la Cathédrale de la Rizière » en y ajoutant un chapitre et une nouvelle annexe pour continuer à faire connaître l’Eglise du Cambodge aux Eglises sœurs. La dernière édition s’arrêtait en 1990. Or, depuis, beaucoup de réalités nouvelles ont pris naissance ou se sont développées. Nous venons de célébrer, avec un an de retard, les 450 ans de présence chrétienne au Cambodge, il ne fallait donc pas manquer cet anniversaire. D’autre part, les Missions Etrangères de Paris à qui l’évangélisation du Cambodge a été confiée depuis plusieurs siècles, s’apprêtent à fêter leurs 350 ans. C’était un autre anniversaire important!

Zenit : Quelles traces restent-ils encore dans l’Eglise du Cambodge de l’époque Khmers rouges ?

François Ponchaud : La période khmère rouge s’inscrit comme en vide dans l’Eglise du Cambodge, en ce sens que la plupart des chrétiens des villes sont morts ou ont été exécutés, les deux évêques et quatre frères, la plupart des religieuses khmers ont disparu dans la tourmente. En 1990, il n’y avait plus de lieux de culte, pratiquement plus de communautés. Il a fallu donc tout reconstruire à partir de zéro. Malgré cette souffrance, cela a été une grâce, en un certain sens, car nous sommes repartis sur de nouvelles bases, à savoir la Bible et le Concile Vatican II. L’Eglise du Cambodge est désormais composée de jeunes, elle n’est pas bloquée par des traditions, et regarde donc plus vers l’avenir que vers le passé.

Zenit : L’histoire de l’Eglise du Cambodge est aujourd’hui celle d’une résurrection, résolument tournée vers l’avenir. Quel rôle les chrétiens jouent-ils dans cette longue reconstruction politique, économique et sociale ? Quelles difficultés rencontrent-ils ?

François Ponchaud : Les chrétiens sont très peu nombreux : environ dix mille Khmers et vingt mille Vietnamiens. A part cinq prêtres et trois religieuses khmers, tous les responsables de l’Eglise sont des Etrangers. Donc l’Eglise en tant que telle n’a pas grande voix au chapitre dans le domaine public, elle doit se faire accepter, avec humilité. D’autre part, les nouveaux chrétiens n’ont pas encore bien saisi les dimensions sociales de leur foi. Dans un contexte où tout le pouvoir politique et économique est concentré entre les mains d’une mafia gouvernementale composée d’anciens Khmers rouges, il est difficile de se faire entendre. Toute opposition structurée est muselée. Cependant, les différentes petites communautés cambodgiennes répandent autour d’elles un esprit nouveau d’attention aux plus pauvres, par le soin apporté aux malades, par le souci d’éduquer les enfants pauvres en leur donnant des chances de faire des études, jusqu’à l’université. Certains groupes de paysans chrétiens sont à la tête du travail d’irrigation des rizières, Caritas Cambodge, équivalent au Secours catholique français, lance des programmes de développement appréciés, l’Eglise a créé le premier lycée professionnel du pays, elle lance des initiatives limitées, mais réelles, proche du peuple. Peu à peu l’Eglise trouve ses marques et fait partie du paysage. Mais il faut du temps!
La principale difficulté qu’elle rencontre est son caractère encore trop étranger, les chrétiens sont souvent considérés comme des « traîtres à la religion du pays », surtout à cause des groupes pseudo-chrétiens anglo-saxons qui méprisent souverainement la religion bouddhique et la culture khmère. Si les autorités commencent à faire la différence entre les catholiques et les autres, pour le commun du peuple, tout est du « Jésus », et objet du même rejet.

Zenit : Le bouddhisme a largement façonné la société khmère. Comment la communauté chrétienne s’y prend-elle pour exprimer sa foi de manière signifiante, avec le souci d’un vrai dialogue avec la culture cambodgienne ?

François Ponchaud : Le bouddhisme a façonné profondément l’âme khmère, on ne peut l’ignorer si l’on veut avoir quelque chance d’être compris. Avant le Concile Vatican II, le dialogue interreligieux était l’œuvre de spécialistes! Le Concile nous dit que toute religion porte un rayon de l’Unique Vérité et tente de résoudre les énigmes de la condition humaine. Dans une mentalité bouddhique où la vie n’est qu’une période de souffrance purificatrice, impermanente et sans sujet, où la notion de personne n’existe pas, où la vie et l’amour sont mauvais, il nous a semblé qu’annoncer la Bonne Nouvelle était de proclamer de diverses façons : votre vie a de la valeur! Et de le prouver par nos actes d’amour. Peu à peu, cette idée fait son chemin et change la mentalité des gens qui nous entourent. Peu à peu, se sentant aimés, ils remontent au Père qui aime les hommes, et à Jésus qui est venu nous révéler cet amour. Il faut repenser sérieusement « le patois de Canaan » qu’est trop souvent le langage biblique et le langage d’Eglise!

Si nos rapports avec les autorités bouddhistes sont bons, ce n’est pas vraiment à ce niveau que se noue le dialogue le plus intéressant. Nous invitons souvent les chrétiens khmers, lors de sessions de responsables de communautés, à dialoguer au plus profond de leur cœur : est-ce que la foi donne un nouveau sens à leur action. Par exemple, ils nous demandent souvent : « Est-il permis aux chrétiens d’aller à la pagode? D’offrir du riz aux moines ». La réponse par le permis-défendu serait inopérante sur le plan de la foi. Nous répondons par une interrogation : « Quand tu vas à la pagode, quand tu donnes à manger aux moines, qu’est-ce que tu recherches? » Si c’est pour gagner des mérites, alors tu n’as pas encore bien compris ce qu’implique le foi en Jésus-Christ. Si c’est par convention sociale, pourquoi pas? C’était jadis les questions que posaient les chrétiens de Corinthe à Paul, au sujet des viandes offertes aux idoles…
Après 1979, date de la « libération » du pays par l’armée vietnamienne, l’Eglise a été contrainte de se « khmériser » afin de pouvoir survivre : adoption de la position assise et des mains jointes dans la liturgie, bâtonnets d’encens, décoration des lieux de culte à la khmère, fixation de la Toussaint au jour de la fête des morts cambodgienne, etc. Mais le plus important reste à faire : comment repenser un contenu de foi marqué au coin de la culture occidentale? Au XIIIe siècle, saint Thomas d’Aquin, a utilisé la philosophie du païen Aristote pour faire une admirable synthèse théologique, que l’on continue à répéter jusqu’à présent. Pour nous, nous devrions commencer la théologie à parti de la philosophie bouddhiste. Le Christ alors deviendrait khmer! Vaste chantier!

Zenit : Quels fruits, le dialogue entre le christianisme et le bouddhisme, portent-ils aujourd’hui ?

François Ponchaud : Souvent, nous employons les mêmes mots que les bouddhistes, mais le contenu sémantique est diamétralement opposé. Par exemple nous utilisons le mot « bap » pour traduire « péché », mais ce mot signifie « poids » qui affecte automatique
ment les énergies vitales de la personne, et non pas une rupture d’alliance avec Dieu. Parfois, croyant bien faire nous disons l’inverse de ce que nous voudrions dire : jeune missionnaire, j’essayais de dire ma foi à un vieux moine, en lui parlant de Dieu, en l’appelant « la première des divinités ». Le moine murmura alors à son voisin moine : « Ce Français a l’air sympathique, mais il est bien naïf de croire encore à ces êtres inférieurs »! En effet, pour un bouddhiste, les divinités restent dans notre monde, sujettes à la réincarnation, donc bien inférieures au Bouddha qui a atteint le paré-Nirvana.

Zenit : Le bouddhisme attire beaucoup d’Occidentaux. Quel regard portez-vous sur cette fascination ?

François Ponchaud : Je regarde le bouddhisme français avec sympathie, mais sans me sentir vraiment concerné, car c’est le bouddhisme tibétain qui est répandu en Occident, une forme assez éloignée du bouddhisme khmer. Si la base reste les quatre Nobles Vérités de Bouddha, leurs règles d’observation sont très différentes et me font penser à de l’exotisme. Mais à chacun sa voie…

Zenit : En cette veille de Noël, que nous souhaiterait un bouddhiste du Camdodge ?

François Ponchaud : En cette veille de Noël, un bouddhiste nous souhaiterait : « Que tous les êtres soient heureux », non pas heureux par la satisfaction de posséder des biens matériels, en ignorant la vraie nature de la vie et son sens, ou en dominant les autres, mais être heureux en se purifiant des désirs que sont la soif de posséder, la soif de domination et l’ignorance de la vraie valeur des choses. En cette période de Noël, retrouver les vraies valeurs de la vie est un rappel que les bouddhistes pourraient faire à notre monde occidental! Oui, que tous les êtres soient heureux!

« La cathédrale de la Rizière, histoire de l’Eglise au Cambodge », François Ponchaud, préface de Mgr Yves Ramousse et postface du cardinal Roger Etchegaray, Editions CLD, 384 pages, 21 euros.

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ZENIT Staff

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