Les populations de la forêt amazonienne sur le territoire de la Guyane française ont tenu un pré-synode en juillet 2019, autour de leur évêque, l’évêque de Cayenne, Mgr Emmanuel Lafont.
Mgr Emmanuel Lafont, né le 26 octobre 1945 à Paris – son 74e anniversaire tombe la veille de la conclusion du synode – , est évêque de Cayenne depuis 2004. Dans les années 1980, alors prêtre Fidei donum, il a été une figure importante de l’opposition à l’apartheid en Afrique du Sud.
Les peuples de la forêt
Lors de la conférence de presse de ce 7 octobre 2019, premier jour des travaux du synode, au Vatican, Mgr Lafont a fait observer que 90% du territoire de la Guyane française, “c’est la forêt”.
Il a précisé que sur 300 000 habitants, la Guyane française compte environ 15 000 Amérindiens “dispersés dans une multitude de villages”: « le plus loin de Cayenne, j’ai mis une fois 3 jours pour y arriver, habituellement c’est 2 jours, quand il y a de l’eau dans le fleuve ».
Il a ajouté qu’il y a aussi dans la forêt « un certain nombre d’Afro-Américains, d’anciens esclaves du Surinam ou de la colonie hollandaise de l’époque, qui ont re-vitalisé la forêt où ils se sont réfugiés et ils font aussi partie des peuples de la forêt ».
La crise de la « transmission »
Mgr Lafont n’a pas mâché ses mots quant à leur état d’esprit : « Ces gens là se sentent abandonnés, surtout les Amérindiens de l’intérieur, ils se sentent abandonnés par l’Etat : il ne savent plus très bien quelle est leur liberté sur leur propre terre, l’éducation de leurs enfants leur a été pratiquement retirée par l’éducation qui vient de France ».
Il a déploré la fracture culturelle qui s’installe entre les générations : « Les moyens de communication sont très difficiles, et les jeunes, de par l’école, se détachent de leurs parents de façon dramatique et la transmission de la culture amérindienne traditionnelle ne se fait plus, est en train de se perdre. Que ce soit dans le domaines éducatif, constructif, vannerie, poterie, chasse, pêche, connaissance de la forêt et des médicaments qu’on trouve dans la forêt, dans les arbres de la forêt, tout cela est en train de se perdre. »
Et de préciser : « Les enfants apprennent pendant ce temps là ce que les parents ne savent pas, ce qui crée un immense fossé entre adultes et jeunes. »
Il a dénoncé les suicides de jeunes : « Et ce n’est pas pour cela que les jeunes se trouvent dans la civilisation qui est celle du littoral : ils ne sont pas non plus reconnus là et ils ne se retrouvent plus nulle part, ce qui explique pour une bonne part le nombre de suicides de jeunes dont nous sommes frappés depuis des années maintenant. »
La barrière des langues
Un contexte sombre dans lequel le synode apporte de l’espérance : « C’est dans ce contexte-là que la venue du synode est une grande joie pour nous. »
L’évêque de Cayenne rappelle aussi la difficulté de la barrière linguistique : « L’Eglise aussi est beaucoup trop absente de ces territoires amérindiens. J’ai beaucoup de mal à faire en sorte que des prêtres apprennent une langue qui est parlée par 800 ou 1 000 personnes. C’est très difficile, mais comprenez que donner une bonne nouvelle à des gens dans une langue qui n’est pas la leur, ce n’est quand même pas formidable. »
« Et donc l’Eglise elle-même se trouve si j’ose dire, mise au pied du mur, grâce à ce synode et nous en attendons beaucoup », insiste Mgr Lafont.
Le pré-synode des villages de la forêt
Il évoque le « pré-synode » dans la forêt : « Je visite tous ces villages tous le sans, surtout ceux de l’intérieur. J’ai fait ce choix depuis le début de mon arrivée parce qu’ils sont les plus loin, les plus abandonnés, et ils ont droit à autant de tendresse, de respect et de proximité que tous les autres. Pour le synode, j’ai visité la plupart de ces villages, et puis nous avons eu une « assemblée pré-synodale » , de trois jours, début juillet, qui a été un moment assez extraordinaire… Des villages qui ne se rencontraient jamais, se sont rencontrés. Un beau dialogue aussi entre les Afro-Américains et les peuples amérindiens. Et ils ont voté que je vienne avec deux d’entre eux, un homme et une femme. » Un seul représentant a pu venir, mais l’autre viendra aussi plus tard, affirme Mgr Lafont.
Les grandes espérances
Il souligne l’espérance suscitée par l’assemblée de Rome : « Ils attendent beaucoup du synode, à la fois qu’on reconnaisse – le pape l’a fait de façon très belle – qu’on reconnaisse les déficits que nous avons eu dans notre approche de ces peuples là : il y a eu des belles choses, et il y a eu aussi pas mal de ratés, c’est reconnu, c’est bien. Mais ils attendent aussi beaucoup, parce que dans le combat qui est le leur pour que leurs droits soient respectés – par exemple la France ne reconnaît pas la charte des Nations Unies sur les Peuples autochtones – c’est un combat qui n’est pas encore gagné, loin de là. Eh bien ils attendent beaucoup parce qu’ils sente quand même quelque part que l’Eglise est une force qui peut les accompagner, les aider, les soutenir, sans vouloir prendre le pouvoir ce qui est malheureusement la tentation de ceux qui viennent en aide aux autres. »
Mgr Lafont conclut en évoquant la prière matinale au synode, ce 7 octobre : « L’expérience la prière de ce matin » et cette « procession », cette « proximité du Saint-Père » : « cela donne le ton de ce synode »
Sr Alba T. Cediel Castillo et Mgr Emmanuel Lafont, capture @ Vatican Media
Amazonie : le «pré-synode» en Guyane française, par Mgr Lafont
Les grandes espérances