Mgr Ivan Jurkovič © L'Osservatore Romano

Mgr Ivan Jurkovič © L'Osservatore Romano

OMC: Mgr Jurkovic réaffirme "l'engagement du Saint-Siège pour renforcer le multilatéralisme"

« Rechercher le bien commun en respectant la dignité de chaque personne »

Share this Entry

Mgr Jurkovic réaffirme « l’engagement du Saint-Siège pour renforcer le multilatéralisme et participer de manière constructive aux discussions sur tous les domaines d’activité de l’OMC’.

Mgr Ivan Jurkovic, nonce apostolique, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies et d’autres organisations internationales à Genève, est intervenu lors de la 11e session de la Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à Buenos Aires (Argentine), mardi 12 décembre 2017.

« Nous ne devons pas oublier que l’objectif principal des institutions multilatérales est de rechercher le bien commun en respectant la dignité de chaque personne, a insisté le nonce. Partant de l’aspiration originelle à la vérité, à l’amour et à la justice, partagée par chaque homme et chaque femme, chaque individu et chaque pays devrait avoir la possibilité de donner sa contribution au but commun; les institutions multilatérales doivent fournir le cadre dans lequel un tel dialogue constructif est facilité. »
Il a aussi notamment insisté sur le rôle des femmes dans la société: « Le Saint-Siège a toujours souligné l’importance de la contribution des femmes à la société. Les femmes sont essentielles non seulement au développement de la famille, mais aussi au développement de l’ensemble du système économique. »
Voici notre traduction intégrale des paroles prononcées en anglais.
AB
Déclaration de Mgr Ivan Jurkovic

Madame la Présidente,

Pour commencer, ma délégation voudrait remercier le gouvernement de l’Argentine pour l’organisation efficace de cette conférence opportune et pour sa généreuse hospitalité.

Madame la Présidente,

Le monde a acquis une impressionnante et longue tradition d’élan vers un commerce ouvert. Mais maintenant cet élan ralentit et affecte la croissance. Le commerce, en particulier au cours des dernières décennies, a aidé à sortir un milliard de personnes de la pauvreté dans les pays en développement et a amélioré les moyens de subsistance dans de nombreux pays développés. Un nombre croissant d’économies en développement et en transition ont réussi à s’intégrer dans l’économie mondiale. Cela a entraîné une expansion sans précédent du commerce international.

Au fil des ans, le monde a été témoin, entre autres développements positifs, d’un déclin de l’extrême pauvreté mondiale. Ceux-ci, cependant, n’ont pas été partagés également. Les avantages de la mondialisation, conjugués à une amélioration générale de la gestion macroéconomique, ont contribué à la reconversion de certains pays les moins avancés (PMA) et à l’intégration de nombreux pays en développement dans l’économie mondiale.

Cependant, le monde est toujours confronté à une répartition mondiale inégale des ressources et des opportunités; Aujourd’hui, nous sommes mieux placés pour prendre des mesures concrètes capables de lutter contre les inégalités entre et parmi les pays et les peuples. En 2015, les dirigeants mondiaux se sont mis d’accord sur la manière de mieux situer la communauté internationale pour relever certains des défis mondiaux les plus pressants. Adhérer à des principes tels que l’équité, l’inclusion, la responsabilité commune mais différenciée, le traitement spécial et différencié, la réciprocité qui ne soit pas totale et le droit au développement est essentiel pour renforcer le rôle des pays en développement dans l’économie mondiale.

Notre action dans un système normatif commercial multilatéral devrait contribuer à la réalisation d’aspirations communes pour parvenir à la prospérité, à la dignité et à une planète meilleure pour tous. Des règles équilibrées et la libéralisation des échanges sont essentielles, en particulier pour garantir le rôle prééminent de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans le commerce mondial et assurer des avantages équitables à tous ses membres, en particulier les PMA.

La Décision de Nairobi, la Décision ministérielle de Hong Kong sur l’accès au marché libre des contingents pour les PMA et la Décision sur la dérogation pour les services des PMA sont des exemples des objectifs de développement atteints ces dernières années.

Considérant la situation actuelle, le Saint-Siège considère qu’il est particulièrement important de reconnaître que le commerce peut causer la dislocation et l’incertitude dans certains secteurs et communautés et que les avantages du commerce n’ont pas réussi à atteindre autant de personnes qu’ils le devraient. Notre action commune qui se déroule ici à Buenos Aires, comme cela a été fait lors des deux conférences ministérielles précédentes, ne devrait pas affaiblir le système commercial multilatéral, mais le faire fonctionner mieux.

Si nous continuons à ne regarder que l’intérêt particulier en façonnant une économie fermée, alors, à moyen terme, la croissance économique pourrait diminuer et les plus pauvres seraient frappés le plus durement. Comme déjà expérimenté, cela augmenterait probablement les tensions entre les nations. Un esprit de solidarité devrait guider nos actions ces jours-ci pour redoubler d’efforts pour rendre le commerce véritablement inclusif et non pour continuer à défendre des positions privilégiées dans le commerce international.

Une nouvelle logique émerge progressivement.

La fin de la dimension bipolaire dans les relations mondiales et l’émergence de nouveaux acteurs dans l’arène économique et politique ont profondément modifié le scénario auquel nous sommes confrontés. Ce paysage international plus fragmenté et imprévisible devrait favoriser le dialogue et la coopération entre les pays, en particulier au sein des institutions multilatérales.

Dans le même temps, une nouvelle logique est progressivement apparue, une logique fondée sur des accords fragmentés et partiels reposant davantage sur une approche individualiste que sur une approche inclusive.

L’agenda commercial reflète largement cette nouvelle approche avec l’impasse des négociations multilatérales et le nombre croissant d’accords commerciaux régionaux et préférentiels.

Le Saint-Siège souhaite mettre en garde contre les dangers associés à la marginalisation du multilatéralisme. Malgré ses limites et sa complexité, le cadre multilatéral donne au pluralisme une dimension universelle et facilite un dialogue inclusif. Plus important encore, l’approche multilatérale fournit un cadre renforcé et plus sûr dans lequel les pays plus faibles et plus petits peuvent être mieux protégés que dans un cadre régional ou bilatéral, où une situation asymétrique tend inévitablement à favoriser des économies grandes et fortes.

Nous ne devons pas oublier que l’objectif principal des institutions multilatérales est de rechercher le bien commun en respectant la dignité de chaque personne. Partant de l’aspiration originelle à la vérité, à l’amour et à la justice, partagée par chaque homme et chaque femme, chaque individu et chaque pays devrait avoir la possibilité de donner sa contribution au but commun; les institutions multilatérales doivent fournir le cadre dans lequel un tel dialogue constructif est facilité.

Agriculture

Malgré la croissance généralement rapide du commerce agricole, la plupart des aliments consommés dans de nombreux pays sont produits localement; les importations nettes se situent dans la fourchette de 0 à 20% de l’approvisionnement alimentaire national dans de nombreux cas1. Avec plus de 800 millions de personnes sous-alimentées et souffrant de la faim dans le monde, le problème de la sécurité alimentaire reste un défi durable, en particulier pour les pays en développement. Beaucoup d’entre eux sont confrontés à des défis de taille, notamment un secteur agricole stagnant, des stocks alimentaires inadéquats, la volatilité des prix alimentaires sur les marchés internationaux et un faible pouvoir d’achat alimentaire parmi les pauvres et les nécessiteux. Il y a deux ans, l’Assemblée générale des Nations Unies, en adoptant l’ODD 2, a appelé à une action sur les restrictions commerciales et les distorsions dans l’agriculture pour atteindre l’objectif d’éliminer la faim et la malnutrition d’ici 2030. Les ODD dépendront de la mesure dans laquelle l’insécurité alimentaire et la malnutrition sont effectivement réduites et l’agriculture durable promue. Inversement, la progression vers l’ODD 2 dépendra des progrès réalisés vers plusieurs autres objectifs.

Le Saint-Siège estime qu’il est d’une importance cruciale de s’attaquer au problème de l’insécurité alimentaire en tenant compte d’une perspective à long terme, en éliminant les causes structurelles qui en découlent et en promouvant le développement agricole des pays les plus pauvres. L’agriculture à petite échelle, en tant que pilier de l’économie rurale, doit certainement jouer un rôle clé dans la croissance. L’accroissement de la productivité de l’agriculture à petite échelle est nécessaire pour permettre une augmentation de la production d’aliments de base pour la consommation des ménages et pour le marché lorsque l’on s’attaque aux problèmes d’amélioration des infrastructures. Les zones rurales jouent un rôle crucial dans la croissance économique des PMA. Ainsi, transformer les économies rurales en stimulant la productivité agricole et en développant des activités non agricoles viables, tout en maximisant les synergies entre les deux par un meilleur accès à la technologie et au financement, est crucial pour l’éradication de la pauvreté, la création d’emplois et le développement durable. Le milieu rural en lui-même n’offre pas les possibilités nécessaires pour améliorer de façon sensible leur situation de travail et de vie. « Leurs tentatives de passer à d’autres moyens de production plus diversifiés s’avèrent infructueuses en raison de la difficulté de liaison avec les marchés régionaux et mondiaux, ou parce que l’infrastructure de vente et de transport est destinée aux grandes entreprises. Les autorités civiles ont le droit et le devoir d’adopter des mesures claires et fermes en faveur des petits producteurs et de la production différenciée. « 2

Femmes

Il est clair que le commerce joue un rôle central dans le développement économique. De plus, l’effet positif du commerce peut être amplifié par des politiques qui favorisent l’inclusion de tous les membres de la société dans le développement économique. Les politiques visant à autonomiser les femmes dans le processus de développement peuvent jouer un rôle clé à cet égard.

Le Saint-Siège a toujours souligné l’importance de la contribution des femmes à la société. Les femmes sont essentielles non seulement au développement de la famille, mais aussi au développement de l’ensemble du système économique. Comme l’a récemment déclaré le pape François: «L’alliance entre l’homme et la femme est appelée à être une force directrice pour la société dans son ensemble. Nous sommes invités à être responsables du monde, dans les domaines de la culture et de la politique, dans le monde du travail et de la vie économique, ainsi que dans l’Église. Ce n’est pas simplement une question d’égalité des chances ou d’appréciation mutuelle. Cela implique la façon dont les hommes et les femmes comprennent la signification même de la vie et du progrès humain. » (3) De nombreuses études confirment qu’un taux de participation plus élevé des femmes est associé à une croissance économique plus forte et à des sociétés plus équitables.

L’agriculture est au centre du Programme 2030 et, à cet égard, les femmes rurales jouent un rôle essentiel pour assurer la sécurité alimentaire et la nutrition des ménages, notamment en préservant la biodiversité et les ressources phytogénétiques. Néanmoins, les femmes sont trop souvent discriminées et marginalisées par les sociétés d’une manière qui offense leur dignité. Les femmes sont surreprésentées parmi les travailleurs pauvres, dans l’emploi informel et représentent également la plus grande partie du travail non rémunéré.

Le pire type de discrimination est peut-être celui de l’éducation, où, dans plusieurs pays, les filles sont empêchées d’aller à l’école, ce qui exacerbe le cercle vicieux de la pauvreté, de l’exclusion et de la marginalisation. Garantir à toutes les filles et à tous les femmes un accès équitable à l’éducation n’est pas seulement une excellente occasion de mettre à profit leur plein potentiel, mais c’est aussi un facteur crucial qui influence les choix des générations futures. Les femmes mieux éduquées comprennent le plein bénéfice de l’éducation et sont plus susceptibles d’améliorer la scolarité de leurs propres enfants, contribuant ainsi grandement à l’avancement de la société.

Le Saint-Siège encourage fortement la promotion de la main-d’œuvre féminine à travers la formation et le développement des compétences et l’investissement dans des technologies qui permettent de gagner du temps et d’économiser de la main-d’œuvre et qui répondent aux besoins des femmes.

Commerce électronique

La révolution numérique a créé des opportunités de développement autrefois impossibles. La croissance explosive des technologies de l’information et de la communication (TIC) et l’économie numérique transforment les économies à un rythme sans précédent. La révolution du téléphone portable, l’élargissement de l’accès à Internet et de nouvelles plateformes en ligne obligent les entreprises à adapter leurs pratiques commerciales. La technologie a remodelé les chaînes de valeur mondiales et les modèles commerciaux. Elle démocratise les opportunités en permettant aux consommateurs et aux producteurs d’acheter et de vendre ce qu’ils veulent, de et vers qui ils veulent, ce qui rend le commerce plus inclusif. Elle offre également une plus grande liberté de choix pour effectuer des transactions à moindre coût, ce qui rend le commerce beaucoup plus concurrentiel.

La gouvernance du commerce électronique doit donc garantir la protection des consommateurs et des producteurs, à travers des règles et des normes transparentes, de manière à rendre le commerce plus juste et équitable. Dans ce spectre, notre intérêt commun est de façonner ensemble à l’OMC une réglementation mondiale, multilatérale et durable qui régisse le commerce électronique et facilite l’inclusion des personnes les plus vulnérables sur le marché numérique. À cet égard, il sera fondamental d’accroître la connectivité abordable des TIC dans le monde en développement et de renforcer le capital humain, l’infrastructure physique et le cadre politique qui sous-tendent l’utilisation des TIC.

Pêche

Dans le cadre de l’adoption du Programme 2030, l’ODD 14 est exclusivement consacré à la conservation et à l’utilisation durable des océans, des mers et des ressources marines. Des millions de personnes dans le monde dépendent de la pêche et de l’aquaculture pour leurs revenus et leurs moyens de subsistance. Les estimations les plus récentes indiquent que 56,6 millions de personnes travaillent dans le secteur primaire des pêches de capture et de l’aquaculture (4). Environ 350 millions d’emplois sont créés directement ou indirectement par l’économie des océans. Une grande partie des pays en développement, des PMA, des économies côtières et des petites nations insulaires dépendent directement de la pêche.

Par conséquent, la question des subventions est particulièrement sensible pour les pays petits et pauvres. Cela crée un nouvel élan au niveau multilatéral pour aborder les pratiques non durables dans le secteur de la pêche, englobant un objectif spécifique (ODD 14.6) visant à interdire d’ici 2020 les subventions à la pêche qui entraînent une surcapacité et une surpêche, pour éliminer les subventions qui contribuent à la pêche non réglementée (INN) et s’abstenir d’adopter de telles subventions.

La réglementation des subventions à la pêche ne peut pas être considérée comme une question autonome. Comme on le sait, les subventions à la pêche devraient atteindre 35 milliards de dollars dans le monde, dont environ 20 milliards sont considérés comme des mesures d’amélioration des capacités et contribuent directement à la surpêche. Il est essentiel d’adopter une approche holistique pour le développement du secteur, qui aborde également l’accès au marché (mesures tarifaires et non tarifaires) et les contraintes de capacité dans la mise en œuvre de mesures liées à la pêche durable.

Si ces subventions ne sont pas respectées, les moyens de subsistance des populations côtières seront menacés, en particulier dans les pays et les communautés qui dépendent le plus de la production de poisson.

Reconnaissant les grands obstacles auxquels les négociations sont confrontées, le Saint-Siège soutient l’adoption d’une approche pragmatique qui permette la consolidation effectuée jusqu’à présent. Plus nous attendons pour conclure l’accord actuel, moins les progrès réalisés seront bénéfiques, qui, dans certains domaines, sont vraiment significatifs.

L’inaction mettrait non seulement en péril tous les efforts déployés jusqu’à présent, mais, surtout, elle aurait un effet négatif sur les pays les plus pauvres qui seraient empêchés de tirer parti de la libéralisation des échanges. La finalisation de l’accord actuel permettrait en outre aux pays et à l’OMC de traiter plus efficacement de nouveaux problèmes importants qui se sont posés récemment.

En conclusion, le commerce est déséquilibré et injuste lorsqu’il complète le paysage de l’exclusion sociale et de l’inégalité; quand il transgresse la dignité de quelqu’un partout dans le monde; quand il néglige le bien commun de toute l’humanité.

Comme l’a répété le pape François: «Il devient de plus en plus difficile de trouver des solutions locales à d’énormes problèmes mondiaux qui submergent la politique locale avec des difficultés à résoudre. Si nous voulons vraiment réaliser une économie mondiale saine, ce qui est nécessaire à ce stade de l’histoire, c’est un moyen d’interaction plus efficace qui, dans le respect de la souveraineté de chaque nation, assure le bien-être économique de tous les pays, pas seulement de quelques-uns  » (5).

Tous les yeux du monde seront sur nos délibérations pendant ces journées. Si nous échouons à réitérer notre engagement envers le multilatéralisme, le développement et l’inclusion, notre silence enverra un message au monde qui sera plus fort que les mots. Les effets d’une non-décision auront des répercussions sur la crédibilité de l’organisation pour les années à venir. Permettez-moi de conclure, Madame la Présidente, en assurant cette Conférence de l’engagement du Saint-Siège pour renforcer le multilatéralisme et participer de manière constructive aux discussions sur tous les domaines d’activité de l’OMC.

Merci, Madame la Présidente.

***

1 Cf. FAO, L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture. Tendances et défis, Rome 2017, disponible sur (http://www.fao.org/3/a-i6583f.pdf)

2 Pape François, Lettre encyclique Laudato si ‘, n.129.

3 Pape François, Discours aux participants de l’Académie pontificale pour la vie, 5 octobre 2017.

4 Cf. FAO: La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture, 2016, p. 32-34.

5 Pape François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, n. 206.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

Share this Entry

Hélène Ginabat

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel