CITE DU VATICAN, Mardi 24 septembre 2002 (ZENIT.org) – « La paix est et sera donc toujours l’unique option viable »: Mgr Jean-Louis Tauran Secrétaire pour les Relations du Saint-Siège avec les Etats a expliqué la pensée du Saint-Siège sur la Terre Sainte, à Marseille, le 27 janvier 2001. Voici le texte de cette intervention très détaillée sur la situation au Moyen Oient et la position du Saint-Siège (cf. www.vatican.va)
– Intervention de Mgr Tauran –
Exposer la pensée du Saint-Siège sur la Terre Sainte signifie pénétrer au cœur des préoccupations du Pape Jean-Paul II. Son récent pèlerinage en Terre Sainte a montré avec quelle liberté il affronte, dans une perspective typiquement religieuse, les situations les plus délicates et les plus difficiles, et avec quelle efficacité il réussit à mobiliser la conscience des peuples.
S’adressant il y a quelques jours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, le Pape Jean-Paul II disait: « Personne ne doit accepter, dans cette partie du monde qui a accueilli la révélation de Dieu aux hommes, la banalisation d’une sorte de guérilla, la persistance de l’injustice, le mépris du droit international, ou la mise entre parenthèses des Lieux Saints et des exigences des communautés chrétiennes. Israéliens et Palestiniens ne peuvent envisager leur avenir qu’ensemble, et chacune des deux parties doit respecter les droits et les traditions de l’autre. Il est grand temps de retourner aux principes de la légalité internationale: interdiction de l’acquisition des territoires par la force, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, respect des résolutions de l’Organisation des Nations Unies et des conventions de Genève, pour ne citer que les plus importants. Sinon tout est à craindre : des initiatives unilatérales aventureuses à une extension difficilement contrôlable de la violence ».
L’un des buts du pèlerinage du Saint-Père aux sources du christianisme a été de rappeler à tous qu’après la chute du mur de la honte, il était toujours plus impérieux d’abattre le mur de la haine et de la méfiance qui, en cette partie du monde, divise de nombreux peuples.
Avant de continuer, je crois utile de définir les termes autour desquels va se développer notre réflexion: Saint-Siège et Terre Sainte.
1. Le Saint-Siège.
a. Le Saint-Siège n’est pas l’État de la Cité du Vatican. Il s’agit plutôt de la personnification juridique du ministère de communion du Pape, un statut que l’histoire lui a toujours garanti : « la Papauté », centre d’unité et de communion pour les Églises locales.
b. Le Saint-Siège se sert de son autorité morale internationalement reconnue pour arriver à obtenir le bien de l’Église partout dans le monde.
c. Mais, en tant qu’entité morale, le Saint-Siège considère que sa mission inclut aussi la recherche de la paix, le renforcement de la justice, la défense des droits fondamentaux, la protection du pauvre et du faible.
d. Le Saint-Siège poursuit ces deux aspects de sa mission (dimension ecclésiale et dimension de moralisation du politique) avec les moyens qui sont à sa disposition, y compris la diplomatie.
2. La Terre Sainte.
a. Comme l’expression même l’indique, nous parlons d’un territoire géographiquement indéfinissable. Pendant des siècles, cette expression a été utilisée pour désigner la Palestine. Depuis le temps de la conquête romaine jusqu’aux croisades, le nom de Palestine s’appliquait au territoire qui s’étend de la Mer Méditerranée jusqu’à l’autre rive du Jourdain; il incluait aussi une partie du Liban et de la Syrie actuels. Dans les années 1920, l’Angleterre, détentrice du mandat sur la région, utilisait l’expression pour indiquer les territoires se trouvant à l’ouest du Jourdain et qui, de nos jours, correspondent à l’État d’Israël dans les frontières qu’il avait au moment de sa proclamation et à la Transjordanie, à savoir la Rive Ouest du Jourdain. Dans mes propos, l’expression de Terre Sainte s’appliquera seulement à ces limites géographiques, à savoir l’actuel État d’Israël et la Rive Ouest.
b. Elle est « sainte » à cause de sa relation avec la foi et avec Dieu :
– pour les Juifs, parce qu’elle est la terre de leurs Pères, la terre du Livre et de la révélation biblique;
– pour les Chrétiens, parce qu’elle est la terre où Jésus est né et a enseigné, où ont eu lieu les grands événements de la Rédemption et où les premières communautés de chrétiens – qui ont continué à y vivre – ont leur origine;
– pour les Musulmans, parce que c’est la terre traditionnellement liée aux origines de l’Islam, la terre où les Musulmans ont été continuellement présents pendant plus de mille ans.
Par ailleurs, au centre, comme source et synthèse de la sacralité de cette terre, il y a Jérusalem, « patrie de cœur de tous les descendants spirituels d’Abraham […] symbole de rassemblement, d’union et de paix pour toute la famille humaine… [mais qui malheureusement]… continue d’être une cause de rivalité continuelle, de violence et de revendications particulières »…, patrimoine sacré de tous les croyants et ville qui devrait être un lieu de paix et de rencontre pour tous les peuples du Moyen-Orient » (Redemptionis anno, 20 avril 1984).
Une terre divisée à la recherche de la paix
Les événements qui se sont succédé entre la fin des années 1980 et le début des années 1990 ont contribué à la naissance d’un nouvel ordre mondial, qui a lui-même permis l’effondrement de l’architecture bipolaire des rapports politiques et militaires, née des rivalités idéologiques entre les deux « super-puissances » d’alors, et qui a permis aussi la tenue de la Conférence régionale de paix pour le Moyen-Orient à Madrid en octobre 1991.
Depuis lors une « dynamique de la paix » a été mise en mouvement. Ce processus constitue la tentative la plus sérieuse, soutenue au niveau international, pour résoudre un conflit qui dure depuis des décennies et qui est la cause de risques d’instabilité dans la région. En définitive, c’est le nœud de la politique au Moyen-Orient, à travers laquelle passent, dans la région, les nouveaux équilibres et les risques correspondants de déséquilibre. Il faut reconnaître que, même si le processus de paix est long et laborieux, il a déjà entraîné des progrès notables et il a mis en évidence l’engagement obstiné de toutes les parties pour le faire réussir et pour mettre ainsi fin à l’ensemble du conflit.
L’obtention de la paix pourrait en effet transformer complètement la région du Moyen-Orient, qui est actuellement dans une phase de transition vers de nouveaux équilibres. De ce fait, seraient libérées des énergies et des ressources énormes, qui pourraient être utilisées pour le développement et la croissance économique des pays de la région, pris non seulement individuellement mais aussi collectivement, dans leurs relations entre eux comme avec les autres continents.
La réduction des menaces envers la sécurité donnerait une impulsion à l’affermissement de la société civile, aux processus de démocratisation politique; à son tour, une plus grande prospérité économique réduirait sensiblement le développement de mouvements idéologiques et politiques à caractère extrémiste, qui naissent et se nourrissent du désespoir des masses de déshérités. Par contre, l’échec d’une solution attendue ne peut pas être compris simplement comme le fait de prolonger indéfiniment le statu quo actuel.
La reprise d’un ou de plusieurs conflits armés n’est que l’un des nombreux périls que la région pourrait encourir. En effet, beaucoup des pays de la région risqueraient d’être entraînés dans des tensions internes insupportables, du fait que le renvoi de la paix, ou pire encore sa non-réalisation, pourrait signifier auss
i l’ajournement des espérances de démocratisation politique, un ralentissement de la libéralisation économique, le maintien des concentrations de réfugiés ou d’autres marginaux. Une telle tension pourrait inexorablement s’étendre et aboutir à des crises aux conséquences bien plus désastreuses. La paix est et sera donc toujours l’unique option viable.
Principes-conducteurs de l’action du Saint-Siège
Devant ces perspectives, je voudrais préciser quelques éléments à partir des principes qui guident l’action du Saint-Siège dans les questions d’ordre international, en harmonie avec sa mission spécifique. Ensuite, je tenterai d’exposer comment le Saint-Siège les a mis en application dans son activité en faveur de la paix au Moyen-Orient.
Pour le Saint-Siège, liberté, sécurité et justice sont les trois facteurs principaux sur lesquels se fondent les démocraties modernes et autour desquels les communautés cherchent à s’organiser. S’il est vrai que sécurité et justice avancent d’un même pas, il est vrai aussi qu’en leur absence il ne peut y avoir de liberté. En conséquence, le problème de la justice constitue le fondement indispensable à toute forme de démocratie.
Le Saint-Siège a fréquemment rappelé que la paix résultant des accords doit être une paix juste, non seulement au titre d’impératif moral, mais aussi comme condition de stabilité et de continuité. Une paix qui ne serait pas perçue par les populations concernées comme juste et équitable ne pourrait pas tenir à long terme, et elle créerait des ressentiments croissants qui ne pourraient pas toujours rester inexprimés.
Pour que la paix soit juste, il est avant tout nécessaire que le chemin pour y parvenir soit équitable, que les négociations se déroulent dans le respect de l’égale dignité des parties et de l’égalité de leurs exigences respectives de liberté et de sécurité. Pour que la paix soit durable, elle doit être vraiment « globale », « compréhensive », sans que des groupes sociaux et politiques importants ne soient exclus de cette paix et de ses avantages.
L’âme d’une région en paix est la solidarité, aussi bien entre les nations qu’à l’intérieur des nations elles-mêmes. Dans le discours au Corps diplomatique du 10 janvier 2000, le Saint-Père affirmait que le siècle qui s’ouvre devra être celui de la solidarité. « Nous le savons – disait le Saint-Père – nous ne serons jamais heureux et en paix les uns sans les autres, et encore moins les uns contre les autres ». La solidarité peut se manifester dans la répartition généreuse et partagée de ressources essentielles, telles les ressources en eau, comme aussi dans la création de structures régionales efficaces pour le développement.
Le phénomène de la mondialisation fait que le rôle des États s’est en partie modifié: le citoyen est devenu plus actif et le principe de subsidiarité contribue sans aucun doute à équilibrer les forces vives de la société civile; le citoyen est devenu davantage « partenaire » du projet commun (cf. Discours au Corps diplomatique, 10 janvier 2000).
Malgré le déclin des idéologies, on ne peut pas ne pas être préoccupé de la réapparition d’autres rivalités plus anciennes entre grandes puissances qui sont en compétition pour rétablir ou pour acquérir des zones d’influence au Moyen-Orient, région dont l’importance est particulièrement stratégique. C’est un processus qu’il faut combattre, afin que les acquis et les espérances de ces dernières années ne soient pas rendus vains.
C’est pourquoi la double présidence de la Conférence régionale de paix est particulièrement significative, de même que la participation de l’Europe et d’autres pays qui ont voulu apporter leur contribution. Cette coresponsabilité multilatérale devrait être conservée et renforcée, non seulement en maintenant formellement le cadre de la Conférence, mais aussi en traduisant dans la réalité ses intentions réelles et justes.
La reconnaissance obligée du rôle joué, de manière louable, par une puissance déterminée ne doit pas se transformer en concession d’un monopole. En effet, non seulement l’efficacité même du processus de paix mais aussi la nécessité d’éviter d’inutiles compétitions semblent exiger que la « sponsorisation » et « l’accompagnement » international du processus soient effectivement une responsabilité commune et partagée.
L’ensemble devrait aussi être organiquement relié à l’activité des plus grandes instances internationales et à leurs directives. Il s’agit en définitive de reconnaître l’importance du droit international et le rôle irremplaçable que la communauté des nations, dans sa totalité, est appelée à jouer et qui lui est confié par le préambule de la Charte des Nations Unies.
Situation au Moyen-Orient Comment se présente à nos yeux, aujourd’hui, le Moyen-Orient?
On ne peut qu’être frappé par la précarité de la situation, qui ne saurait certes pas être définie comme une situation de paix. Pour ne pas m’étendre outre-mesure, je voudrais évoquer seulement les situations les plus préoccupantes.
* Le processus de paix.
Nous savons tous que l’objet principal des négociations est un accord qui scellerait la naissance d’un État palestinien, permettant à ce dernier de vivre en paix avec son voisin israélien.
Aujourd’hui, il est clair que l’incertitude des négociations israélo-palestiniennes est due aux hésitations des négociateurs à s’engager de manière décisive. On est encore à la recherche d’un accord capable de donner finalement la paix et la sécurité à la région. Quoi qu’il en soit, les protagonistes du processus de paix n’ont pas d’autre choix que de trouver un compromis sur les trois points essentiels de la négociation: les frontières du futur État palestinien (et donc l’avenir des implantations juives), la question des réfugiés et Jérusalem.
* L’Irak se trouve toujours dans un état d’isolement, et ses populations vivent une situation humanitaire dramatique, à laquelle la Communauté internationale devrait sans aucun doute être plus sensible.
Le programme de contrôle de la destruction des arsenaux chimiques et biologiques a marqué un temps d’arrêt; la politique d’embargo à l’égard de l’Irak semble s’être transformée en une politique visant à renverser le régime actuel.
* Le Liban continue à être un pays à souveraineté limitée, avec la présence sur son territoire de troupes étrangères et de nombreuses milices armées.
* La Syrie est aussi un élément irremplaçable du processus de paix au Moyen-Orient. Elle devra revenir à la table des négociations et elle y reviendra assurément avec la demande bien connue de la restitution des hauteurs du Golan, occupées par Israël depuis 1967. Il y a par ailleurs une grande incertitude sur la position qu’elle adoptera à l’avenir quant à sa présence et à son influence au Liban.
* L’Iran, enfin, ne peut pas ne pas être mentionné, en raison de son importance géostratégique, mais aussi de son évolution politique intéressante, marquée par l’élection en mai 1997 du Président Khatami, dont les paroles-clés de son discours programme au commencement de son mandat ont été: dialogue, état de droit et promotion de la société civile.
À ces éléments ponctuels, j’ajouterais d’autres aspects qui préoccupent la diplomatie du Saint-Siège.
Le Moyen-Orient est la région du monde qui investit le plus d’argent en armements. Les courants politiques islamiques extrémistes sont présents partout et l’apparente stabilité des régimes de la région ne peut faire oublier que l’ouverture économique des deux dernières décennies a certes modifié les équilibres sociaux, mais n’a pas produit une réelle ouverture politique.
L’absence d’alternance politique, la pauvreté des classes les plus faibles, l’urbanisation non contrôlée, le chômage chronique et la pression démographique
, favorisent une minorité de privilégiés et la pratique de la corruption.
Lignes de force de l’action du Saint-Siège
Devant un tel tableau, quelles sont les lignes de force de l’action du Saint-Siège ? On peut les résumer comme suit :
– respect des personnes, quelle que soit leur situation religieuse et politique; – liberté de conscience et de religion;
– refus de la guerre et du terrorisme comme solutions des différends entre les États.
Comme on le voit, le Saint-Siège ne fait rien d’autre que de rester fidèle aux principes du droit international qu’il faut appliquer en toutes circonstances et auxquels tous sont soumis. En trois occasions récentes, le Saint-Siège a montré qu’il se conformait à cette philosophie des relations internationales :
1. En premier lieu, dans le conflit israélo-palestinien.
Les interventions des Papes et de leurs plus proches collaborateurs peuvent être résumées ainsi: chaque peuple a droit à la dignité, à la justice, à la paix, à l’autodétermination et à la sécurité. Mais on ne peut évidemment pas s’assurer ces droits à soi-même tout en piétinant ceux des autres. Voilà pourquoi les Papes, comme la communauté internationale, n’ont jamais accepté l’annexion de territoires par la force et ils ont toujours invité à la rencontre, au dialogue, aux négociations. Voilà encore pourquoi Jean-Paul II a encouragé le processus de paix engagé avec la Conférence de Madrid (les deux lettres aux Présidents Clinton et Gorbatchev en sont un témoignage éloquent).
La tenue de la Conférence de Madrid et sa dynamique ont permis au Saint-Siège de conclure, en décembre 1993, l’Accord fondamental avec l’État d’Israël (puis l’établissement de relations diplomatiques) et, au début de l’an dernier, l’Accord de base avec l’Organisation pour la Libération de la Palestine. Il est clair que ces accords, comme on peut le déduire de leur lecture, n’ont en rien modifié les convictions du Saint-Siège – solution pacifique des conflits, refus de l’occupation par la force d’une partie de la ville de Jérusalem, demande d’un statut spécial internationalement garanti pour les parties les plus sacrées de la Ville Sainte.
2. La crise libanaise.
Le Saint-Siège ne s’est jamais lassé de répéter que le Liban, pays fondateur et membre des Nations Unies, est un pays comme les autres, qui a droit à l’indépendance, à la souveraineté et à la dignité. Aujourd’hui encore, après le retrait des troupes israéliennes, la communauté internationale attend que l’armée du pays se déploie dans la région méridionale. Pour le Saint-Siège, un Liban uni et fidèle à son histoire est un point d’ancrage pour tous les chrétiens de la région du Moyen-Orient.
En outre, comme le Pape l’a dit une fois, « ce pays qui permet à toutes les communautés de vivre ensemble sur un plan d’égalité, est plus qu’un pays, il est un message ». De là, découle l’importance de sauvegarder la formule de cœxistence féconde qui a fait de lui, durant de nombreuses décennies, le pays le plus tolérant et le plus démocratique de la région. C’est pourquoi le Saint-Siège a toujours rappelé à ceux qui étaient tentés de diviser le Liban ou de créer un petit État chrétien que l’avenir du pays réside dans la sauvegarde de son pluralisme politique et religieux. Si je puis la résumer en un slogan facile, la ligne du Saint-Siège a été: sauvons le Liban pour sauver les chrétiens; et non : sauvons les chrétiens pour sauver le Liban !
3. Enfin, la troisième occasion pour réaffirmer avec clarté les principes de fidélité à la philosophie des relations internationales fut offerte en 1991 par la guerre du Golfe. Le Pape Jean-Paul II parla alors de la guerre comme d’une « aventure sans retour » et il fut particulièrement attentif à repousser toute motivation ou toute interprétation religieuse de la crise.
En invitant les protagonistes à parcourir sans jamais se lasser le chemin du dialogue et à évaluer les proportions entre les remèdes employés pour conjurer un mal (la violation des frontières internationales) et leurs conséquences sur les peuples, le Pape montra l’indépendance de l’action internationale du Saint-Siège, qui modèle toujours sa conduite sur les principes du droit international et de la morale internationale.
Vous ne serez évidemment pas surpris si j’ajoute une préoccupation spécifique du Saint-Siège, en raison de sa qualité de sujet de droit international à caractère moral et religieux, à savoir la défense de la liberté de religion et de culte. L’intérêt de l’Église catholique à l’égard du Moyen-Orient remonte, en réalité, aux premières années de l’existence de l’Église. Le sort des chrétiens de cette partie du monde a varié au gré des événements politiques, souvent violents, qui ont plusieurs fois modifié la configuration ethnique et religieuse des populations. En outre, au cours des siècles, le sort des chrétiens dans cette région a été lié aux intérêts des puissances européennes. À l’occasion du processus de décolonisation du siècle dernier, les chrétiens ont eu le sentiment d’être abandonnés face à l’Islam majoritaire, face à un nouvel État créé pour les juifs et face aux Palestiniens, engagés surtout dans la lutte armée.
Comme on l’a écrit un jour : « Les chrétiens sont devenus, peu à peu, trois fois minoritaires: arabes parmi les juifs, arabes chrétiens parmi les arabes musulmans; minoritaires dans la société chrétienne ». Il était donc normal que les Papes protègent – et au besoin défendent – l’existence des catholiques et des chrétiens dans cette partie du monde. Et le Saint-Siège a toujours cherché non pas à faire vivre les chrétiens dans un ghetto mais, au contraire, en symbiose avec l’Islam et le Judaïsme.
Le dialogue entre les religions est considéré par le Saint-Siège comme un facteur décisif pour la paix au Moyen-Orient, dans la conviction que la foi en Dieu ne peut être que pour la concorde et non pour l’opposition. Le Saint-Père l’a souligné de nouveau dans sa récente Lettre apostolique Novo millennio ineunte, où il redit: « Ce dialogue doit se poursuivre. Dans un contexte de pluralisme culturel et religieux plus marqué, tel qu’il est prévisible dans la société du nouveau millénaire, un tel dialogue est important pour assurer aussi les conditions de la paix et éloigner le spectre épouvantable des guerres de religion qui ont ensanglanté tant de périodes de l’histoire humaine. Le nom du Dieu unique doit devenir toujours plus ce qu’il est, un nom de paix et un impératif de paix » (n. 55).
Pour le Saint-Siège, et le Pape l’a répété avec force au cours de son récent pèlerinage en Terre Sainte, tout extrémisme religieux pour justifier des actes d’exclusion et de violence n’est qu’une perversion de la religion et donc une action à condamner. Si Dieu est unique, il nous demande à tous de nous reconnaître comme frères. Le Saint-Siège s’est fait le promoteur d’une pédagogie de la paix, qui invite à ne pas considérer l’autre comme un ennemi à agresser ou à convertir, mais à voir en lui un partenaire avec qui s’unir pour faire ensemble un bout de chemin et construire une société et un monde où l’on peut bien vivre.
Cette position a aussi une portée universelle, étant donné que les trois religions monothéistes, qui ont leurs racines historiques au Moyen-Orient, ont des disciples dispersés dans le monde entier et insérés dans toutes les sociétés. C’est pourquoi la Terre Sainte, comme les Papes aiment à qualifier le Proche-Orient, devrait être, en quelque sorte, le laboratoire du dialogue interreligieux, et Jérusalem, la Ville sainte par excellence, son symbole.
Ainsi s’expliquent la persévérance et l’intensité avec lesquelles, depuis 1947, les Papes se sont faits les défenseurs du caractère sacré et unique de cette ville. Je voudrais saisir ici l’occasion pour rappeler la position du Saint
-Siège à propos de la Ville Sainte. Le Saint-Siège a toujours accepté ce qui fut fixé par la Résolution 181 du 29 novembre 1947, à savoir que Jérusalem devait être l’objet d’un régime spécial, sous l’égide de la Communauté internationale. On parla alors d’un « corpus separatum » qui concernait une extension beaucoup plus vaste de la Jérusalem dont on discute aujourd’hui. Cette Résolution est encore en vigueur.
Depuis lors, de nombreuses Résolutions ont repris ce principe et le Saint-Siège, surtout après l’annexion par la force de la part d’Israël de la zone « est » de la Ville, a plaidé pour l’adoption d’un « statut spécial internationalement garanti » afin de sauvegarder le caractère unique des parties les plus sacrées de la Ville, chère aux trois religions monothéistes.
En agissant ainsi, le Saint-Siège a toujours eu soin de distinguer deux aspects :
a) l’aspect territorial, qui devra faire l’objet d’une négociation bilatérale entre Israéliens et Palestiniens, sur la base des Résolutions et des Conférences internationales (Madrid, Oslo);
b) l’aspect multilatéral, découlant de la dimension religieuse et culturelle de la Ville, les sanctuaires étant certes une réalité sacrée, mais insérés dans un contexte historique et culturel: je me réfère aux communautés humaines qui les entourent, avec leurs langues, leurs traditions, leurs écoles, leurs hôpitaux, leurs commerces, etc.
Le Saint-Siège est d’avis que ce statut est l’unique moyen valable pour éviter qu’à l’avenir, sous la pression d’événements ou de changements politiques, l’une des parties puisse revendiquer pour elle-même l’exclusivité du contrôle des sanctuaires et des réalités qui les entourent. Conclusion Face aux choix que les responsables locaux et ceux de la Communauté internationale devront assumer dans les mois à venir, le Saint-Siège continuera à user de sa « puissance morale » pour aider ces peuples si divers, mais contraints par la géographie, par l’histoire (et, en un sens, par la religion) à vivre ensemble et à pratiquer le respect des droits humains fondamentaux et du droit international.
Il ne sera pas moins attentif à défendre les droits de tous les États à exister dans des frontières sûres sans être constamment en état d’alerte. Il rappellera enfin à tous que la guerre, qui trop souvent a ensanglanté la région, ne pourra jamais être un moyen digne de l’homme – à plus forte raison s’il est croyant – pour résoudre les inévitables problèmes entre les peuples. Au Moyen-Orient, il a déjà été démontré, dans le dernier quart de siècle, que le courage politique (et personnel), conjugué avec l’imagination et la clairvoyance, est capable de rompre les schémas, de dépasser les obstacles paraissant insurmontables, d’oser – et même d’obtenir – ce qui ne semblait pas proposable, et peut-être d’oser l’impossible.
Au début de ce nouveau millénaire, le Saint-Père, dans sa réponse aux vœux qui lui étaient adressés par le Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, a lancé un appel au monde entier pour la défense de l’homme et, donc, de l’humanité. Évoquant les risques du désir de dominer la nature et l’histoire, le Saint-Père a dit : « L’égoïsme et la volonté de puissance sont les pires ennemis de l’homme. Ils sont toujours, de quelque manière, à l’origine de tous les conflits … Le croyant – et tout particulièrement le chrétien- sait qu’une autre logique est possible. Je la résumerai avec des mots qui pourront vous paraître trop simples: tout homme est mon frère. Si nous étions convaincus que nous sommes appelés à vivre ensemble , qu’il est beau de se connaître, de s’estimer et de s’aider, le monde serait radicalement différent » (nn.4-5).
Ces paroles inspirées trouvent un écho puissant au Moyen-Orient et elles semblent indiquer avec force les seuls moyens capables de rendre l’homme digne de la vocation à laquelle Dieu l’a appelé. Une utopie ? Je ne le pense pas ! Ou bien l’humanité progressera sur le chemin de la fraternité, de la solidarité et de la paix, ou bien les barbaries reviendront, comme l’ont montré les crises qui ont secoué l’humanité à la fin du siècle qui vient de s’achever.
Marseille, 27 janvier 2001