Benoît XVI et le cardinal Henri de Lubac, par le P. Jean Stern

Au lendemain du voyage en France

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ROME, Lundi 21 septembre 2008 (ZENIT.org) – Missionnaire de Notre-Dame de La Salette, le P. Jean Stern, spécialiste, entre autres, de la pensée du cardinal Henri de Lubac, revient sur l’importance du théologien français, cité par Benoît XVI lors de son passage à Paris.

Zenit – Dans l’avion qui l’amena à Paris vendredi 12 septembre dernier, le pape Benoît XVI évoqua les contacts qu’il avait entretenus avec plusieurs théologiens français, comme les Pères Congar et Daniélou. Cependant le pape insista particulièrement sur le futur cardinal Henri de Lubac : « J’ai eu le grand honneur et la joie d’être ami du père de Lubac, l’une des plus grandes figures du siècle passé », dit-il à l’intention des journalistes présents. Père Stern, vous l’avez personnellement connu. Pouvez-vous nous dire comment est né cet intérêt de Joseph Ratzinger pour le théologien français ?

Jean Stern – Dans son livre « Ma vie. Souvenirs 1927-1977 » (trad. fr. Paris 1998), le cardinal Ratzinger raconte comment, encore séminariste, il eut l’occasion de lire le premier ouvrage du Père de Lubac, « Catholicisme ». « Ce livre devint pour moi une lecture clé », confie-t-il dans ses « Souvenirs ». Puis en décembre 2004, lors d’une remise de prix à l’Ambassade de France auprès du Vatican, il donnera des précisions sur ses contacts personnels avec Henri de Lubac. Il fit sa connaissance pendant le concile Vatican II, auquel tous deux assistèrent en qualité d’experts. « J’étais très jeune, presque inconnu comme théologien, mais il m’a traité comme un frère, comme un ami, et il a dialogué avec moi sans me faire sentir la moindre trace de la grande distance qui existait entre cet homme, qui avait réellement ouvert des horizons nouveaux pour la théologie, et moi, qui étais un jeune homme au commencement de son chemin théologique. Plus tard, quand nous travaillions ensemble à la Commission théologique internationale, une profonde amitié s’est développée entre nous, fondée sur notre amour commun de l’Église et de la théologie» (Bulletin de l’Association internationale cardinal Henri de Lubac, 2005).

Zenit – Lors de sa rencontre avec la communauté juive à Paris, à la nonciature, dans l’après-midi de ce même vendredi 12 septembre, le pape Benoît XVI a de nouveau cité le cardinal Henri de Lubac par les paroles suivantes : « Le théologien Henri de Lubac, dans une heure « des ténèbres », comme disait le Pape Pie XII (Summi Pontificatus, 20.10.1939), a compris qu’être antisémite était aussi être antichrétien » (cf. « Un nouveau front religieux », publié en 1942 dans Israël et la Foi Chrétienne). Vous avez écrit un long article pour le Bulletin de l’Association cardinal Henri de Lubac sur le sujet (Tome IX du Bulletin, 2007). Comment de Lubac arrive-t-il à cette affirmation, en 1942 ?

Père Jean Stern – Le Père de Lubac faisait partie de ceux qui, dès les années trente, avaient senti la montée des périls. Déjà son livre « Catholicisme » fournissait les bases d’une réponse saine. Il contredisait en effet le racisme nazi, en insistant sur l’unité de l’humanité et le salut venu par l’intermédiaire d’Israël. Puis durant l’occupation, en janvier 1941, quatre mois après la promulgation par Vichy des premières lois d’exception à l’encontre des Juifs, le Père de Lubac tenta une opération de sensibilisation directe. L’occasion lui était fournie par des conférences sur les missions. Il y attaqua le mythe de la race, cher à l’occupant nazi. En juin 1941 le gouvernement de Vichy publia le deuxième statut des Juifs. Le Père de Lubac protesta alors vigoureusement au moyen d’une déclaration écrite, qu’il signa ensemble avec trois autres théologiens enseignant comme lui à Lyon, Chaine, Richard et Bonsirven. Puis il rédigea l’article cité par le pape Benoît XVI à Paris. Comme il fallait s’y attendre, le censure gouvernementale s’opposa à sa publication, malgré les efforts déployés dans ce but à Vichy par un confrère du Père de Lubac, le Père Dillard. Ce dernier mourra d’ailleurs dans un camp de concentration. Grâce aux efforts du futur cardinal suisse Journet, l’article parut finalement en Suisse, dans un livre contenant des contributions des trois autres théologiens lyonnais.

Zenit – Quel écho a eu ce texte, à l’époque?

Père Jean Stern – Curieusement, l’article fut à l’époque également publié en France, dans la revue « Vie spirituelle ». Le type des articles habituellement publiés dans cette revue avait sans doute assoupi l’attention du censeur de Vichy. Mais c’est surtout grâce à la presse clandestine, en particulier grâce à « Témoignage chrétien », que les enseignements du Père de Lubac atteignaient le public. On connaît d’autre part la si vigoureuse protestation de Mgr Saliège contre la déportation des Juifs. Datée du 23 août 1942, elle fut rapidement diffusée. Ce que l’on connaît moins, est le fait que le Père de Lubac joua un rôle dans sa préparation. Dans les jours qui précédèrent sa publication, il s’était rendu à Toulouse pour rencontrer Mgr Saliège.

Zenit – Quelle actualité pour les chrétiens aujourd’hui ?

Père Jean Stern – Aujourd’hui comme en 1942 les chrétiens ont à affronter de graves problèmes de conscience, qu’il s’agisse du respect de la vie, de la paix dans le monde, de la liberté, etc. La ligne de conduite suivie par le Père Henri de Lubac durant la guerre tient en un mot : la vérité. Fidélité à la vérité. Cette ligne de conduite lui a permis de résoudre les problèmes de conscience alors. La même fidélité permet de résoudre les problèmes de conscience aujourd’hui.

Propos recueillis par Anita S. Bourdin

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ZENIT Staff

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