ROME, Jeudi 25 septembre 2008 (ZENIT.org) – « Les Saintes Ecritures sont essentielles pour connaître le Christ » explique un des biblistes contemporains les plus prestigieux, le cardinal Albert Vanhoye, à quelques jours du Synode des évêques sur la Parole de Dieu qui s’ouvrira à Rome en octobre. Nous publions ci-dessous la deuxième partie de l’entretien qu’il a accordé à ZENIT.
ZENIT – Le synode se penchera aussi sur le thème de la prédication de la Parole de Dieu, surtout dans la liturgie. D’après votre expérience, quels sont les éléments essentiels dont il faut tenir compte dans les homélies ?
Card. Vanhoye – Les homélies doivent être le fruit de la Lectio Divina, pratiquée d’une manière ou d’une autre. Autrement dit, les homélies doivent donner aux fidèles un contact vraiment concret avec la Parole de Dieu, puis en expliquer assez clairement sa portée immédiate ; pour qu’il y ait ensuite un suivi au moment de son application dans la vie, dans son actualisation. Une homélie ne peut rester purement théorique. Elle doit avoir une force pénétrante dans la vie. Donc bien partir du texte pour ensuite l’appliquer à la vie spirituelle.
Il faut dire que pour la prédication il est aussi utile de prendre l’exemple des saints. Car les saints aident les gens à accueillir certains aspects qui, dans les textes bibliques, pourraient leur paraître trop éloignés. Les saints mettent davantage les textes bibliques à la portée directe des fidèles.
Il est clair par exemple, que l’esprit d’enfant qui est demandé par Jésus dans les Evangiles – « si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux » (Mt 18,3), est bien mieux compris par les gens si on prend sainte Thérèse pour modèle. Ou bien en ce qui concerne la charité envers les pauvres, Mère Teresa est un exemple qui stimule les gens à comprendre que la charité doit vraiment aller aux plus nécessiteux, que notre union au Christ n’est possible que si nous sommes ouverts à cette charité. D’autre part, Mère Teresa a très bien fait ce lien entre la prière, l’union au Christ et la charité. Sa vie était nourrie d’une prière très profonde, d’une vie spirituelle exigeante, parfois même douloureuse.
Donc les exemples sont utiles, mais ils doivent être utilisés en rapport avec les textes bibliques, car les saints sont faits pour rendre témoignage aux textes bibliques.
ZENIT – Le synode suscite et suscitera un nouvel intérêt pour la bible. Quel parcours suggèreriez-vous à un fidèle souhaitant mieux connaître la Parole de Dieu ?
Card. Vanhoye – Il est clair que pour un chrétien il est nécessaire de commencer par l’Evangile. Prendre un Evangile, l’approfondir et le méditer, dans la prière, pour qu’il puisse être ensuite appliqué dans la vie. C’est la première chose essentielle.
Mais l’Evangile même renvoie à l’Ancien Testament. Jésus est le messie promis. Il est donc utile de lire les textes prophétiques, spécialement les textes messianiques. Pour la prière les psaumes sont utiles, mais il faut dire qu’ils n’ont pas toujours l’esprit évangélique. Il faut donc savoir distinguer.
Certains psaumes abondent d’imprécations contre les ennemis, et sont très éloignés du commandement de Jésus qui demande que l’on aime ses ennemis et que l’on prie pour eux. Il est clair que pour un fidèle, un matériel de soutien est nécessaire, qui présentent les textes et les mettent à la portée de leur intelligence, de leur capacité à les comprendre et à les vivre. Ensuite, il y a aussi naturellement une différence entre les Evangiles synoptiques et l’Evangile de Jean. L’Evangile le plus intéressant à première vue pour un fidèle est celui de Marc qui est très vivant, fait le récit des miracles de manière détaillée, etc. L’Evangile de Matthieu nous donne un enseignement plus riche qui exige que l’on y revienne sans cesse pour se remplir de l’esprit évangélique.
D’autre part, l’Evangile de Jean approfondit la foi de manière merveilleuse. Il faut vraiment méditer l’Evangile de Jean, l’accueillir dans un esprit de foi et d’amour envers le Seigneur. Luc aussi est très intéressant. C’est l’Evangile du disciple. On pourrait également commencer par l’Evangile de Luc qui s’intéresse davantage à cette relation entre le disciple et le Seigneur Jésus. Les grands discours de Matthieu sont morcelés dans l’Evangile de Luc. Au lieu d’être présentées à la troisième personne, les béatitudes s’adressent directement aux disciples: « Heureux les pauvres … ». Ceci est un exemple. Puis Luc se rapporte à Jésus de façon très délicate, en particulier dans le récit de la Passion. Là on voit très bien son amour délicat pour le Seigneur; sa façon d’atténuer les choses les plus cruelles, les plus blessantes.
ZENIT – Les psaumes peuvent parfois apparaître aux jeunes prêtres un peu éloignés de leur réalité concrète. Quel conseil leur donneriez-vous pour tirer davantage profit de la prière de la liturgie des Heures ?
Card. Vanhoye – Je leur conseillerais de chercher un commentaire vraiment adapté, c’est-à-dire, un commentaire approfondi, non pas purement philologique, historique et critique, un commentaire qui mette en relief le contenu spirituel des psaumes. Car il est clair que les psaumes renferment une richesse merveilleuse d’un point de vue spirituel: le sens de l’adoration, le sens de la confiance en Dieu, le sens de l’union à Dieu dans la prière, dans la vie.
Il y a vraiment dans ces psaumes, de très belles et très fortes aspirations spirituelles. D’ailleurs, saint Ambroise disait que le psautier est comme le résumé de tout l’Ancien Testament, car on y trouve aussi des psaumes historiques, des psaumes sapientiaux, des psaumes sur l’accueil de la loi du Seigneur, etc. Après le Concile, l’application des psaumes à la vie chrétienne a été facilitée par l’omission des choses les plus éloignées de l’Evangile. Ce qui est à mon avis une bonne chose car un chrétien, par exemple, ne peut souhaiter que les enfants des persécuteurs soient écrasés sur la terre, comme il est dit dans le psaume sur la rive, des exilés. Ce psaume exprime une très profonde et tendre affection à l’égard de Jérusalem, mais finit par un souhait très cruel contre les ennemis. Il me parait opportun et utile, pour ce qui est de l’accueil concernant la Parole de Dieu, d’omettre les choses que Jésus a lui-même corrigées.
ZENIT – Le synode s’intéressera aussi aux Saintes Ecritures dans le contexte œcuménique. Avez-vous eu quelque expérience de travail, d’étude, de prière, dans ce domaine ?
Card. Vanhoye – J’ai collaboré à la traduction œcuménique française, un travail voulu par le Concile, très fécond au plan œcuménique. On a constaté que la Bible est vraiment un terrain d’unité. Naturellement il y a des textes bibliques qui ont suscité des divergences d’opinion très fortes. Mais tant de choses nous sont communes et nous devons en profiter. Le synode aura aussi cet aspect d’ouverture œcuménique.
Il est clair que le protestant qui suit le Sola Scriptura de Luther n’est pas dans le courant de la tradition. Il y a une difficulté. Mais d’autre part les catholiques avaient tendance à ne pas méditer sur la Bible, à être plus attentifs aux dogmes et aux dévotions. Ainsi l’attention que l’on accorde à la Parole écrite de Dieu constitue sûrement un lien très fort qui nous rapproche les uns des autres et nous place dans une attitude d’accueil commun.
ZENIT – Vous avez connu et enseigné à de nombreux exégètes. Comment peut-on éviter que la Bible ne se transforme en un simple objet d’étude, détaché de sa propre vie spirituelle, et en mesure d’engendrer des conclusions qui peuvent mettre en doute les vérités de la foi ?
Card. Vanhoye – Il me semble que le remède principal est la méditation des textes bibliques dans une attitude de foi et de prière. Les exégètes ne peuvent se contenter d’étudier ces textes. Ils doivent méditer dessus, dans un climat d’union au Seigneur, de recherche pour arriver à le connaître, et dans la conscience permanente que seul le Christ donne toute la richesse de l’Ecriture inspirée; que c’est Lui qui ouvre pleinement nos esprits à l’intelligence des Ecritures, comme nous dit Luc à la fin de son Evangile. Donc je dirais que le remède est la prière, perçue comme une méditation pour rechercher cette union avec le Seigneur, pour accueillir sa lumière, son amour. Il n’y a que comme ça que l’on peut échapper au risque de tomber dans le ‘rationnel’ et le ‘stérile’, et de devenir même un obstacle pour la vie des fidèles.
ZENIT – Quelles sont vos attentes de ce synode ? Aura-t-il aussi de l’influence sur les études bibliques ?
Card. Vanhoye – Je ne suis pas sûr que le synode puisse beaucoup influencer les études exégétiques, en ce sens que je ne suis pas sûr qu’il puisse suivre une perspective pastorale. C’est une perspective qui entre certainement aussi dans l’explication des textes bibliques, mais l’exégèse est une recherche scientifique approfondie, d’un point de vue qui n’est pas directement pastoral. Nous pouvons sûrement attendre de ce synode des indications très fécondes pour une plus grande connaissance de la Bible, un plus grand accueil de la Bible dans la vie des communautés chrétiennes et dans la vie spirituelle des personnes.
D’autre part il y a aussi un intérêt œcuménique, qui est directement exprimé dans l’ Instrumentum laboris. On peut espérer un rapprochement encore plus fort entre les différentes confessions chrétiennes grâce à cet accueil de la Parole de Dieu écrite. L’Instrumentum laboris laisse entendre que le synode s’intéressera spécialement à la Parole de Dieu écrite, tout en élargissant ses perspectives. Il y est dit que la Parole de Dieu est le Christ et donc que l’objectif du synode est de mieux faire connaître le Christ. Ce qui me parait juste en tant qu’objectif ultime mais l’objectif plus direct sera visiblement d’attirer l’attention sur la nécessité que tous les membres de l’Eglise aient plus de contacts, des contacts plus profonds, avec la Parole de Dieu écrite.
Naturellement, la Parole écrite doit redevenir vivante, et ne peut demeurer un texte mort; et pour qu’elle se remette à vivre elle doit être insérée dans le courant vivant de la Tradition, de la prédication et de la vie de l’Eglise.
Propos recueillis par le P. Lucas Teixeira, L.C.