« Le Vatican, un livre et un journal qu’on ne cesse de feuilleter » par D. Chivot

Publication de « Vatican », chez Assouline

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ROME, Vendredi 24 avril 2009 (ZENIT.org) – « Le Vatican constitue à la fois un livre et un journal qu’on ne cesse de feuilleter » : Dominique Chivot, pendant cinq ans envoyé spécial permanent de La Croix à Rome donne à feuilleter son nouveau livre : « Vatican ».

Loin de « l’académisme ennuyeux » ou de la « caricature » à la Dan Brown – le Vatican « mérite mieux » proteste l’auteur – il publie ce livre beau et passionnant : il vient de le présenter, le 21 avril, au centre culturel Saint-Louis de France. Il ne donne aussi la primeur aux lecteurs de Zenit.

Zenit – Dominique Chivot, vous venez d’intervenir à Rome dans le cadre d’une conférence-débat avec Mgr Renato Boccardo, secrétaire du Gouvernorat de la Cité du Vatican, sur « À quoi sert l’État du Vatican? » A quelle occasion?

Dominique Chivot – Le directeur du centre, Jean-Luc Pouthier, a pris l’heureuse initiative d’organiser cette rencontre à l’occasion du 80e anniversaire des accords du Latran mais aussi de la sortie en librairie de mon dernier ouvrage consacré au Vatican et édité chez Assouline.

Zenit – Quel regard pose sur ces 80 ans le correspondant de La Croix que vous avez été pendant cinq ans?

Dominique Chivot – Les cinq années que j’ai passées à Rome m’ont permis de découvrir ce monde très particulier qu’est le Vatican. De quoi assouvir la curiosité naturelle d’un journaliste mais aussi de me donner l’envie de continuer à m’y intéresser une fois rentré à Paris. L’actualité du Vatican s’éclaire en effet perpétuellement par son histoire : ses 80 ans, mais aussi tout ce qu’on peut retrouver plus en amont avec les Etats pontificaux. Je comprends mieux pourquoi l’activité de l’administration centrale de l’Eglise catholique ne peut se comprendre que par un rappel régulier du passé, tout comme on comprend mieux ce qui se passe à Rome, quand on sait que le Vatican n’est « que » le centre d’une Eglise universelle.   

Zenit – Vous-même venez donc de publier ce beau livre intitulé simplement « Vatican » (chez Assouline) qui sera aussi publié en anglais: c’est une heureuse rencontre avec l’anniversaire de ce jeune Etat?

Dominique Chivot – Nous nous sommes en effet dit, avec les éditeurs Martine et Prosper Assouline, qu’il était opportun aujourd’hui, non pas d’ajouter un nouveau guide à la collection ni même de refaire un livre d’histoire, mais plutôt de détailler par le texte et l’image ces différentes approches du Vatican : historique, culturelle et spirituelle. La pérennité de ce petit Etat tout comme sa notoriété tiennent en effet beaucoup à cet assemblage permanent de dimensions.

Zenit – Vous n’avez pas craint d’ajouter un livre à la belle bibliographie dans ce domaine ?

Dominique Chivot – J’ai souvent constaté, au cours de mes pérégrinations professionnelles, que ce célèbre petit État reste méconnu. Certes, le Vatican constitue aujourd’hui une destination incontournable pour nombre de touristes et un lieu sacré pour les foules de pèlerins. Mais au-delà des musées et de la basilique Saint-Pierre, et en dehors de la bénédiction urbi et orbi du souverain pontife à Noël ou Pâques, qu’en savent-ils plus précisément ?

Zenit – Ce livre est certes sérieux et documenté, mais il est extrêmement attrayant: quels sont les partis pris pour ce parcours historique et topographique dans les 44 hectares de la Cité du Vatican?

Dominique Chivot – En effet, nous avons voulu éviter deux écueils traditionnels lorsqu’il s’agit en matière d’édition de parler du Vatican ou de questions liées à l’Eglise. D’abord, éviter l’académisme ennuyeux. Tout le monde connaît plus ou moins les grands chefs d’œuvre des musées du Vatican comme la basilique Saint-Pierre. Il s’agissait donc d’aller plus loin pour mieux présenter un monde trop souvent encore méconnu, à travers la vie du Vatican et son histoire au quotidien.

Ensuite, éviter la caricature. Un exemple nous est malheureusement fourni avec le livre « Anges et démons » de Dan Brown dont une adaptation cinématographique sort en ce moment sur les écrans. Même si l’on verse dans le « thriller » religieux, le Vatican mérite mieux ! Il est important de raconter avec précision ces lieux mais aussi de décrire ces hommes qui ont fait cette histoire d’hier et d’aujourd’hui.

Zenit – Pouvez-vous préciser par exemple comment le film tombe dans la « caricature » ?

Dominique Chivot – C’est en effet un scénario peu soucieux de précision géographique ou de rigueur historique.

Voici quelques exemples. Sur la piazza Navona, la Fontaine des Quatre Fleuves décrite par Dan Brown est profonde comme une piscine et, de son sommet, l’on peut admirer toute la ville. Sur la place Saint-Pierre, un héliport a trouvé place, et sur la façade de la basilique, trônent deux tours qui ressuscitent apparemment le projet originel de Maderno. Dans la confession de Pierre, vous admirez, dans la niche, les palliums que l’on remet aux cardinaux récemment élus (je cite toujours Dan Brown). En passant par les Grottes vaticanes qui ont curieusement ici des allures de catacombes, vous arrivez devant le cercueil de Pierre en terre cuite, lézardé (je cite encore). En sortant, vous tombez sur le palais du Tribunal qui est, figurez-vous, la résidence papale avec laquelle « seule Versailles peut rivaliser ». Vous accédez bizarrement aux Archives secrètes au fond des jardins, au sommet de la colline, par la porte Sainte-Anne. Et vous avez été guidé par un jeune prêtre, qui réussit l’exploit, sans être ni cardinal ni évêque, d’être à la fois le secrétaire particulier du pape et le camerlingue. On ne s’étonnera donc plus d’apprendre dans cette belle histoire que Galilée a été « exécuté » par l’Église (je cite toujours)…

Bien sûr, une fiction peut s’autoriser toutes les libertés. Elle permet de faire la distinction avec l’Histoire. Mais une mauvaise fiction permet aussi d’éviter la confusion avec les bons auteurs…

Zenit – Quelles sont, selon vous, les raisons de la pérennité de ce petit État de la Cité du Vatican ?

Dominiue Chivot – Le Vatican est remarquable d’abord par sa trace permanente dans l’histoire. Dernier avatar des États pontificaux nés au VIIIe siècle, l’État de la Cité du Vatican reste, à son âge honorable de 80 ans, une invention originale sur la planète, à tel point qu’il sert encore de référence dans le monde diplomatique et même de modèle à quelques chercheurs de paix sur le dossier de Jérusalem.

Pendant plus de onze siècles, les États pontificaux ont incarné le pouvoir temporel de la papauté. Au VIe siècle, alors que l’empire d’Occident s’est écroulé depuis plus d’un siècle, et que celui d’Orient est incapable de faire face, Grégoire le Grand prend en charge l’administration de Rome ainsi que sa défense. L’Église adopte alors un système monarchique, avec un souverain pontife qui va prendre appui sur les rois francs puis les empereurs d’Allemagne. L’acte de naissance des États pontificaux date de ce premier accord : en 754, Etienne II reconnaît l’autorité des Carolingiens et, en échange, Pépin le Bref chasse les Lombards de Rome. Les territoires conquis sur les Lombards, autour de Rome, sont donnés au pape. Dès lors, aux yeux de l’Église, la possession d’un État doit lui permettre de garantir son indépendance.

Ce schéma va durer jusqu’au XIXe siècle mais le déclin sonne avec l’offensive française. Beaucoup connaissent cet épisode : Les troupes de Bonaparte commencent à dépecer les États pontificaux et proclament la République romaine en 1798. Napoléon annexe de nouveau ces territoires en 1809, mais la chute de l’empereur ramène Pie VII triomphalement à Rome en 1814. Le coup de grâce vient des Italiens eux-mêmes. La vague ré
volutionnaire de 1848 et le mouvement unitaire se conjuguent pour faire abolir l’État pontifical. Réfugié à Naples en 1849, Pie IX revient au Vatican avec l’appui des troupes françaises, mais après la déroute de Sedan, la France rappelle son armée. Les Italiens, rassemblés sous l’autorité de Victor-Emmanuel, font leur entrée dans Rome en 1870. C’est la fin des États pontificaux.

Pie IX se déclare prisonnier du Vatican. Ses successeurs, que ce soit Léon XIII, Pie X ou Benoît XV, adoptent une égale intransigeance. Le dégel vient avec Pie XI, qui marque un intérêt pour la politique d’ouverture engagée par le nouvel homme fort de l’Italie, Benito Mussolini. Les conversations nouées en secret à partir de 1926 aboutissent aux accords du Latran, signés le 11 février 1929 par le Duce et le secrétaire d’État, le cardinal Gasparri.

Ces accords ont survécu à la chute du fascisme et restent en vigueur à quelques assouplissements près. Un aménagement a notamment été apporté par l’aggiornamento signé en 1984 avec le gouvernement du socialiste Bettino Craxi, qui retire à l’Église catholique son statut de religion d’État en permettant notamment d’étendre le concordat à d’autres confessions religieuses, comme les Églises protestantes.

Zenit – Pourquoi ce choix de Pie XI d’un Etat « le plus petit possible » ?

<b>Dominique Chivot – Avec ce territoire neutre et inviolable, l’Église entend se concentrer sur son pouvoir spirituel, tout en préservant son indépendance vis-à-vis des puissances européennes. Cet État offre ainsi aujourd’hui une assise territoriale à l’Église tout en abritant, comme vous le savez, quelques-uns des services centraux de la curie romaine. Le Vatican est le plus petit État souverain du monde : quarante-quatre hectares, c’est une superficie quatre fois et demie moindre que celle de la principauté de Monaco. Cet État comprend la cité proprement dite, mais aussi les basiliques romaines, certains palais extérieurs et la résidence estivale de Castel Gandolfo.

Zenit – Pourquoi un si grand espace donné à la culture?

Dominique Chivot – On parle beaucoup d’inculturation sur les continents africain ou asiatique par exemple. Moi, je trouve que le Vatican offre un très beau résumé d’inculturation : ces lieux montrent très bien comment le catholicisme a plongé ses racines dans cette histoire européenne et comment il en a influencé profondément la culture et le mouvement des idées. A travers leurs lumières mais aussi leurs ombres, les pontificats de la Renaissance ont par exemple montré l’importance du mécénat de l’époque, c’est-à-dire du lien naturel construit entre la foi et l’art.

Au cœur des États pontificaux florissants, le Vatican a été pendant plusieurs siècles un centre de rayonnement politique et culturel. Le Vatican est donc remarquable par son site et le patrimoine culturel universel qu’il recèle. Et l’ensemble de la cité, avec les musées, a été classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. C’est également une source inépuisable pour tous les artistes en dehors de ceux qui se sont illustrés à l’intérieur même des palais.

Zenit – Comment lire ce livre: avant de partir à Rome, au retour de Rome (on est frustré de ne pas avoir « tout » vu?), ou pour un voyage intérieur?

Dominique Chivot – Vous avez en effet le choix ! Le Vatican lui-même constitue à la fois un livre et un journal qu’on ne cesse de feuilleter. Certains opteront pour une découverte initiale, leur permettant ainsi de se confectionner quelques repères à travers l’histoire mais aussi les lieux et de procéder ainsi à de premiers choix ; d’autres ont contraire préfèreront ouvrir ce livre à leur retour de visite ou de pèlerinage, pour vérifier par le texte et l’image les étapes de leurs découvertes ou de leurs émotions, et leur permettre ainsi de mieux connaître et comprendre ce qui les a frappés.

Zenit – Quelles sont les pages qui vous ont apporté le plus dans votre travail d’écriture?

Dominique Chivot – J’en vois au moins trois : celles sur Jean-Paul II, qui a été le pape dont j’ai suivi au plus près le ministère et avec qui j’ai par exemple fait plus d’une douzaine de voyages dans le monde. Mais aussi ces pages sur la Renaissance qui, comme je le disais, m’ont impressionné par ce rapport étroit entre la culture, l’art et la foi, et qui justifie que le Vatican soit classé au patrimoine mondial de l’humanité. Enfin, les premières pages sur les origines du Vatican, forcément émouvantes, puisque vous découvrez pourquoi un empereur Constantin a eu cette idée, apparemment incongrue, de bâtir un lieu de culte sur le flanc d’une colline pas très agréable à l’époque. C’est bien ici que tout a commencé. 

Propos recueillis par Anita S. Bourdin

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ZENIT Staff

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