ROME, Vendredi 21 janvier 2011 (ZENIT.org) – « Familles et prêtres se fortifient mutuellement ». « Aimer l’Eglise, c’est aimer la famille », rappelle à ZENIT le père Alain Mattheeuws.
Docteur en théologie de l’Institut catholique de Toulouse, il est actuellement professeur de théologie morale et sacramentaire à la Faculté de Théologie de Bruxelles (IET). Il enseigne dans divers lieux dont la Faculté Notre Dame aux Bernardins. Parmi ses thèmes de prédilection : Mariage et bioéthique, sacrements et spiritualité, théologie du don.
Le père Mattheeuws interviendra le 25 janvier au cours d’une conférence grand public à l’Eglise Notre Dame de la Miséricorde dans le cadre du colloque d’Ars sur le célibat sacerdotal. Il développera le thème « Le célibat sacerdotal : un enjeu pour le mariage et le sacerdoce ». Deux vocations qui, à ses yeux, « s’éclairent mutuellement, de par les sacrements reçus, mais également dans la manière ‘sponsale’ de les vivre ».
ZENIT : Quelle est l’importance de la famille dans l’appel reçu ?
P. Alain Mattheeuws : Les prêtres ne surgissent pas du néant : ils sont conçus, naissent et grandissent dans une famille, bien que l’histoire sainte de cette famille ou de ce « milieu familial » puisse être variée (séparations, décès, maladies, éloignement de la foi). De telle sorte qu’il faut tenir compte de deux choses : la grâce du mariage promeut l’ouverture à la vocation sacerdotale, les deux sacrements du « service de la communion » dans le Peuple de Dieu étant intrinsèquement liés (CEC 1533-1666). La famille chrétienne – quelle qu’en soit l’expérience, plus ou moins proche, d’un candidat au sacerdoce – est ainsi le véritable petit et grand « séminaire » dans lequel retentit et peut se développer l’appel de Dieu. Par ailleurs, il faut affirmer aussi qu’il n’y a pas de lien strictement causal ou logique entre la sainteté de la famille et la vocation sacerdotale car Dieu appelle qui Il veut et où Il veut.
Dans tous les cas, pour le prêtre, ses proches et ses formateurs, il est bon et même nécessaire de reconnaître ce qu’il « doit » à ses parents, à la famille dont il est issu, à l’expérience chrétienne qui lui a été – ou non – transmise. Cette mémoire de ses origines le met en « action de grâce », éclaire les dons reçus et les enracine dans l’histoire de l’Eglise.
ZENIT : Quel soutien, quel amour la famille peut-elle apporter au prêtre ?
P. Mattheeuws : Toute famille, dont les parents sont unis par le sacrement de mariage, est une « ecclesiola », une figure concrète de l’Eglise universelle : l’amour des époux signifie que le Christ aime son Eglise, qu’il donne sa vie encore aujourd’hui pour elle. Pour le prêtre, la famille se présente donc comme un lieu particulier du service de l’Eglise, espace de jaillissement de l’amour. Aimer l’Eglise, c’est aimer la famille. Aimer la famille, c’est l’aimer telle qu’elle est, désirant lui annoncer la Bonne Nouvelle et manifester que tout amour humain est sauvé par le Christ.
Le prêtre par ailleurs – peut-être est-ce le signe du célibat qui le dit -, indique à tous les membres d’une famille que l’amour de Dieu pour l’Eglise et pour l’humanité, existe bel et bien, est vivant et donne l’assurance d’être déjà un peu au ciel.
Familles et prêtres se fortifient donc mutuellement : les uns et les autres témoignent d’un même amour présent au monde ; ils s’éclairent, se réconfortent, marchent au même rythme sur la terre pour témoigner de la puissance vivifiante de l’amour.
ZENIT : A l’inverse, la famille peut-elle être un obstacle à la vocation ou plus tard dans le ministère du prêtre ?
P. Mattheeuws : Les difficultés rencontrées par beaucoup de familles, aujourd’hui, peuvent être un frein à la vocation sacerdotale (et conjugale, nous le savons bien !). En face de ces blessures de l’amour, l’espérance d’aimer jusqu’au bout et de consacrer sa vie au service de la libération et de la purification de l’amour humain dans la grâce du Sauveur peut sembler redoutable pour un jeune appelé par le Christ. Il y a une peur à dépasser.
De plus, nous voyons régulièrement des parents qui non seulement ne comprennent pas, mais s’opposent au libre désir de leur enfant de répondre au Christ : ils font peser un poids très lourd sur sa vie et sa formation au sacerdoce. Spirituellement, il s’agit pour eux d’accepter que cet enfant est à la fois « chair de leur chair » et également l’enfant de Dieu ; que tout enfant appartient d’abord à Dieu : le baptême rappelle cette vérité à tous ! L’amour familial (parental, fraternel) doit donc demeurer ouvert à cet appel pour lui donner force et l’accompagner dans les joies et dans les peines.
Enfin, beaucoup de familles ne réalisent pas concrètement ce qu’est la vie d’un prêtre : en ce sens, elles ne trouvent pas toujours les paroles et les attitudes adéquates pour un homme qui porte parfois de pesants fardeaux, qui vit dans le « silence » de ce qui lui est confié, qui est parfois dépassé par la vie qui passe et certaines questions pratiques. Une communauté qui ne perçoit pas les évolutions de la vie d’un prêtre, devient aveugle et pauvre en affection pour lui.
ZENIT : Jusqu’où le prêtre peut-il entrer en relation avec la famille ?
P. Mattheeuws : Si la famille est une « ecclesiola », le prêtre se sent chez lui. Il doit s’y comporter comme un frère. Si l’on fait appel à lui comme le bon berger, il doit agir comme l’unique « grand prêtre » qu’est Jésus : regarder chacun avec estime et respect, chasteté et discrétion. Par ailleurs, on n’est jamais « curé » dans sa propre famille, ni pour une seule ou un seul « genre » de familles. Il est des familles où le Seigneur envoie le prêtre en mission. Il en est d’autres où il prend du repos comme Jésus dans la maison de son ami Lazare. La famille est un milieu ecclésial, fraternel : elle n’est pas un lieu de confidences. Le « jusqu’où » est réglé par le respect de la mission spécifique des parents qui prennent eux, leurs décisions. La pudeur devrait imprégner les relations du prêtre avec les conjoints et leurs enfants qui l’accueillent.
ZENIT : La famille peut-elle aider le prêtre à valoriser son célibat ?
P. Mattheeuws : Certainement. Car si la vocation sacerdotale n’est pas sans lien avec celle de la famille, combien plus le célibat qu’il découvre comme don en lui ne peut surgir de nulle part. Il a une histoire concrète, une signification personnelle, en lien avec cette famille dont il est issu ou avec celles qu’il est amené à servir. Là encore, le travail de mémoire spirituelle est déterminant.
D’autre part, la famille valorise le célibat du prêtre en respectant sa solitude tout en lui évitant d’être ou de vivre en solitaire. La solitude, c’est le temps et le lieu où le prêtre est en communion plus intime avec la personne du Christ : sa prière, son intimité, son hygiène de vie. Mais cette solitude ne portera tout son fruit que là où des amitiés fortes et discrètes l’entourent, lui manifestant aussi une vraie affection et un respect pour ce qu’il vit et ce qu’il essaie d’être à la suite du Christ. Dire au prêtre que sa vie, offerte au Christ dans son Eglise, a un sens et est féconde, et le lui rappeler souvent – par delà les échecs et les souffrances, les siennes et celles des autres – est donc fondamental. Dans l’expression de l’amour, la diversité des visages au sein de l’unité familiale est toujours un témoignage de paix pour le prêtre qui vit à la fois la différence sexuelle, la différence d’âge et de culture, et le célibat offert pour toujours.
Propos recueillis par Marine
Soreau