« Dans le contexte actuel, il est indispensable d’offrir aux agriculteurs une solide formation, une constante mise à jour et une assistance technique dans leur activité » : c’est le plaidoyer de Benoît XVI, dans un message adressé à M. Kanayo F. Nwanze, président de l’IFAD.
La 36e session annuelle du Conseil des gouverneurs du Fonds international de développement agricole (IFAD) est en cours les 13 et 14 février 2013 à Rome, sur le thème « La force des partenariats : établir des alliances pour une agriculture familiale durable », avec la participation de hauts représentants des gouvernements de Chine et d’Italie.
Le pape rappelle aux participants que « le cœur de l’ordre social est la famille, dont la vie est réglée par des principes moraux intégrés dans le patrimoine naturel de valeurs qui sont immédiatement reconnaissables aussi dans le monde rural ».
Parc conséquent, met-il en garde : « méconnaître ou négliger cette réalité équivaut à saper les fondements, non seulement de la famille, mais de la communauté rurale tout entière, avec des conséquences dont il n’est pas difficile de prévoir la gravité ».
Message de Benoît XVI à M. Kanayo F. Nwanze
À Monsieur Kanayo F. Nwanze
Président du Fonds International pour le Développement Agricole (IFAD)
Je suis heureux de vous adresser un salut cordial, Monsieur le Président, ainsi qu’aux Autorités, aux Représentants des États membres et aux participants à la 36ème session du Conseil des Gouverneurs. Cette réunion s’ouvre le jour même où commence le Carême, période durant laquelle l’Église catholique – selon l’enseignement du Christ qui a dit : «Tout ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40) – renouvelle, entre autre, l’invitation au partage des biens avec les personnes les plus nécessiteuses. Dans cette perspective, votre organisation peut toujours compter sur le soutien et l’encouragement du Saint-Siège.
1. L’action du Fonds témoigne que la coopération, tout en étant liée à divers contextes sociaux et environnementaux, comme aussi au respect des lois propres de la technique et de l’économie, est plus efficace si elle est dirigée par les principes éthiques constitutifs de la cohabitation humaine. Il s’agit de ces valeurs essentielles qui par leur caractère universel peuvent animer toutes les activités politiques, économiques et institutionnelles, y compris les formes de collaboration multilatérale. À cet égard, je me réfère en premier lieu à la méthodologie suivie par l’IFAD, qui fait passer le développement durable avant la seule assistance. Elle joint la dimension du groupe à la dimension exclusivement individuelle, jusqu’à prévoir des formes de dons et de prêts sans intérêts, choisissant souvent, comme premiers bénéficiaires, les « plus pauvres parmi les pauvres ». Cette action montre qu’une logique inspirée par le principe de gratuité et de la culture du don peut « trouver place à l’intérieur de l’activité économique normale » (Enc. Caritas in veritate, n. 36). En effet, l’approche suivie par le Fonds unit l’élimination de la pauvreté non seulement à la lutte contre la faim et à la garantie de la sécurité alimentaire, mais aussi à la création d’opportunités de travail et de structures institutionnelles et décisionnelles. Tout le monde sait que, quand ces facteurs manquent, la participation des travailleurs ruraux aux choix qui les concernent se réduit et, en conséquence, la conviction d’être limités dans leurs propres capacités et dans leur propre dignité s’accentue en eux.
Dans ce domaine on peut apprécier deux orientations spécifiques mises en œuvre par l’Organisation. La première est la constante attention portée à l’Afrique, où, en soutenant des projets de « crédit rural », l’IFAD vise à doter de moyens financiers, modiques mais essentiels, les petits agriculteurs, et à les rendre aussi protagonistes dans la phase de décision et de gestion. La seconde orientation est le soutien aux communautés indigènes, qui ont un soin particulier pour la conservation des biodiversités, reconnues comme des biens précieux mis par Dieu Créateur à la disposition de la famille humaine tout entière. La sauvegarde de l’identité de ces peuples est à poursuivre, en reconnaissant leur rôle irremplaçable dans la connaissance du savoir traditionnel. Cette recherche particulière de solidarité et de partage se retrouve aussi dans le type de financement que l’IFAD assure en relation aux nécessités effectives des pays bénéficiaires et dans l’intérêt de leur économie agricole, évitant des conditionnements et des charges insoutenables. C’est une approche qui reconnaît le secteur agricole comme une composante fondamentale de la croissance économique et du progrès social, et redonne à l’agriculture et aux gens des campagnes la place qui leur revient. À ce propos, il semble important que le choix de constituer des partenariats avec les formes d’Organisations de la société civile fasse émerger l’idée de subsidiarité très utile pour identifier les nécessités des populations et les méthodes adéquates pour les satisfaire.
2. L’Église catholique, dans son enseignement et dans ses œuvres a toujours soutenu la centralité du travailleur de la terre, souhaitant un caractère concret dans l’action politique et économique qui le concerne. C’est une position dont il me plaît de signaler qu’elle est en harmonie avec ce qui est mis en œuvre par le Fonds pour la promotion des agriculteurs, comme individus ou petits groupes, les rendant ainsi protagonistes du développement de leurs communautés et de leurs pays. L’attention à la personne, dans sa dimension individuelle et sociale, sera la plus efficace si elle est réalisée à travers des formes d’associations, de coopératives et de petites entreprises familiales qui soient mises en mesure de produire un revenu suffisant pour un niveau de vie décent.
Dans cet ordre d’idées ma pensée va à la prochaine Année internationale que les Nations Unies ont décidé de consacrer à la famille rurale, en faveur d’une conception enracinée et saine du développement agricole et de la lutte contre la pauvreté, centrées sur cette cellule fondamentale de la société (cf. A/RES/66/222). L’IFAD sait bien, par expérience, que le cœur de l’ordre social est la famille, dont la vie est réglée, – avant qu’elle ne le soit par les lois d’un État ou par des normes internationales –, par des principes moraux intégrés dans le patrimoine naturel de valeurs qui sont immédiatement reconnaissables aussi dans le monde rural. Ces principes inspirent la conduite de chacun, la relation entre les conjoints et entre les générations, le sens du partage. Méconnaître ou négliger cette réalité équivaut à saper les fondements, non seulement de la famille, mais de la communauté rurale tout entière, avec des conséquences dont il n’est pas difficile de prévoir la gravité.
<p>Dans le contexte actuel, il est indispensable d’offrir aux agriculteurs une solide formation, une constante mise à jour et une assistance technique dans leur activité, de même qu’un appui à des initiatives associatives et coopératives capables de proposer des modèles de production efficaces. Déjà le Concile Vatican II, il y a cinquante ans, indiquait comment « bon nombre de peuples pourraient sérieusement améliorer leur niveau de vie si, instruits comme il convient, ils passaient de méthodes archaïques d’exploitation agricole à des techniques modernes et les appliquaient avec la prudence nécessaire à leur situation, tout en instaurant aussi un meilleur ordre social et en procédant à un partage plus équitable de la propriété terrienne » (Const. Gaudium et spes, n. 87). Nous n’aurons pas ainsi seulement une augmentati
on de la production – dont les bénéfices risquent de ne pas être perçus par les plus pauvres, comme cela arrive souvent aujourd’hui – mais un élan efficace vers des réformes agraires légitimes pour garantir la culture des terrains, quand ceux-ci ne sont pas convenablement utilisés par ceux qui en ont la propriété et qui, parfois, empêchent l’accès du paysan à la terre. En outre, l’assistance internationale pourrait aussi répondre plus utilement aux besoins des bénéficiaires effectifs, de façon à offrir des avantages assurés à ceux qui vivent dans le monde rural.
En ce moment les ressources dont la coopération internationale a besoin de façon évidente restent très modestes et les pays les plus avancés motivent la baisse de leur apport par une disponibilité réduite. Mais, à bien voir, interrompre l’effort de solidarité au motif de la crise peut cacher une certaine fermeture aux nécessités d’autrui.
3. Le Saint-Siège a considéré depuis le début et considère toujours avec estime l’IFAD, comme Institution intergouvernementale capable d’adjoindre une solidarité efficace aux principes d’un ordre international juste. Seul l’amour, et non pas un esprit d’antagonisme, peut définir toujours mieux les méthodes à adopter pour le soutien effectif des pauvres, en réveillant en tous un vrai sens de fraternité et de générosité active. Il s’agit de reconnaître l’égale dignité conférée par Dieu Créateur à tout être humain.
C’est pourquoi je formule le souhait que l’IFAD continue à œuvrer toujours plus activement pour le développement rural et améliore la réalisation des expressions de solidarité mentionnées. De cette façon il pourra faire preuve non seulement de connaissance technique et de capacité professionnelle, mais aussi d’engagement pour contribuer à donner au monde une dimension plus humaine, qui seule permet de regarder vers l’avenir avec une confiance et une espérance renouvelées (cf. Enc. Spe salvi, n. 35).
Sur vous tous qui à divers titres partagez les responsabilités d’orientation et de gestion du Fonds international pour le Développement agricole j’invoque du Tout-Puissant les dons de la sagesse, afin de poursuivre sur le chemin de la solidarité que vous avez entrepris, et du courage, afin de le parcourir jusqu’à laisser derrière vous la pauvreté et la faim, en avançant toujours vers de nouveaux horizons de justice et de paix.
Du Vatican, le 13 février 2013.
BENEDICTUS PP XVI