Après l’angélus de dimanche dernier, 1er septembre, place Saint-Pierre, le pape François a mentionné l’anniversaire des 60 ans du phénomène des « Larmes de Marie », à Syracuse : « A travers Marie, le Seigneur nous fait sentir sa tendresse ! Unissons-nous à tous les fidèles de Syracuse qui fêtent le 60ème anniversaire des larmes de la Vierge. »
Il y a 60 ans en effet, les 29-30-31 août et le 1er septembre 1953, un petit relief de plâtre, représentant la Vierge Marie, placé au chevet du lit d’un jeune couple, Angelo Iannuso et Antonina Giusto, a versé des larmes « humaines », selon l’analyse chimique effectuée.
C’est le cardinal Tarcisio Bertone, Secrétaire d’Etat, envoyé spécial du pape François, qui a présidé les célébrations, au sanctuaire sicilien. Voici notre traduction de l’homélie qu’il a prononcée.
Homélie du card. Bertone
C’est une joie pour moi de pouvoir vous saluer tous, chers fidèles, vous qui êtes réunis ici, et en particulier mes frères dans l’épiscopat, nombreux autour de cet autel. Je salue avec estime et respect les autorités civiles et militaires et les remercie de leur présence.
J’ai accepté volontiers de présider cette célébration, ayant encore très vif en moi le souvenir de l’émotion que j’ai éprouvée il y a 60 ans, en voyant la statue de la Vierge verser des larmes ; un événement qui a touché non seulement le cœur des habitants de Syracuse mais aussi celui de toute l’Eglise, en Italie comme ailleurs.
La vie tourmentée des hommes dans cette « vallée des larmes » offre encore aujourd’hui de douloureuses images qui attirent les yeux miséricordieux de notre mère céleste. Ces images, comme a dit le pape François, en lançant un fort appel pour la paix en Syrie, au terme de la prière de l’angélus de dimanche dernier, sont les images de scènes de « violences entre frères » et de « massacres et faits atroces ». Unissons notre prière à celle du pape et déposons-la dans les mains de Marie.
Maintenant, après avoir médité les lectures bibliques de cette célébration eucharistique, profitons de l’occasion pour réfléchir de manière appropriée à la présence mystique de Marie qui a voulu laisser ici le signe de sa compassion pour les souffrances humaines, en soutenant au fil des siècles la foi, l’espérance et la charité du peuple chrétien, et accompagnant la marche de ses enfants en partageant leurs pleurs.
Considérons tout d’abord le passage de l’Evangile que nous venons d’écouter. Jean, le seul des apôtres qui était sur le Calvaire au moment de la crucifixion, témoigne que « près de la croix de Jésus se tenait sa mère» (Jn 19,25). Jean fait savoir dans son récit que Marie n’était pas seule ; avec elle il y avait d’autres femmes, de courageux disciples de Jésus. Ce que l’évangéliste dit sur Marie est important, mais ce qu’il ne dit pas sur elle est tout aussi important: nous ignorons en effet si celle-ci a parlé, mais elle versa sûrement des larmes quand son cœur, le moment venu, fut lui aussi transpercé.
La fermeté de Marie, son « stabat » est comme la confirmation du « fiat » prononcé au moment de l’annonce de l’Ange. Dotée de la même conviction, du même courage, de la même conscience, voire plus encore, elle reste fidèle aussi sous la croix. De cette manière, Marie fait ce que Jésus a ordonné : « Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas porter du fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. » (Jn 15,4). Marie demeure, et porte donc de nombreux fruits dans une nouvelle maternité : elle devient la Mère de l’Eglise.
Une autre attitude de Marie sous la croix est l’écoute. Elle écoute les paroles de son Fils, comme un fidèle disciple au pied de la chaire du Maître. Comme elle a toujours fait, durant toute sa vie, n’oubliant aucune de ses paroles. Marie écoute les dernières paroles de Jésus avant de mourir et veille sur elles en les méditant dans son cœur de Mère.
Marie est aussi un exemple d’accueil. Elle accueille le disciple Jean comme son fils, et se laisse accueillir par lui. C’est la consigne de Jésus mourant. C’est pourquoi elle accepte de remplacer son fils divin et, obéissante au commandement de l’amour, elle aime les nouveaux fils que Jésus lui a confiés, et se laisse aimer par eux. Le pape François, dans son homélie, en la fête du Sacré-Cœur, a fait remarquer finement combien il n’était pas facile de se laisser aimer : « il est plus difficile de se laisser aimer par Dieu que de l’aimer ! – a-t-il dit – la manière de lui redonner tant d’amour est celle-ci : ouvrir son cœur et se laisser aimer ». Marie se laisse aimer et c’est pour cette raison, précisément, qu’elle se laisse accueillir par le disciple bien-aimé de Jésus.
Dans ces trois attitudes: rester, écouter et accueillir, on résume l’existence de Marie, sa vocation, sa mission. Et puisque Marie est mère et modèle de l’Eglise, ces verbes sont aussi ceux qui marquent la sequela Christi: la communauté des disciples de Jésus est appelée à rester ancrée à Lui, à son Mystère de salut; elle est appelée à écouter les Paroles de grâce de l’Evangile; elle est appelée à accueillir chaque homme et à se laisser accueillir dans la famille de l’Eglise.
Ces trois verbes révèlent aussi les traits caractéristiques du dynamisme de la consolation de Dieu: Dieu demeure à côté, ou dirais-je plutôt « dans » les croix des hommes, en les portant avec nous; Dieu écoute le cri de détresse des affligés et décide d’intervenir par la puissance de son amour; Dieu accueille et se laisse accueillir par ceux qui ont confiance en Lui et accomplissent de grandes choses dans leurs vies.
Ainsi la Parole que nous venons d’écouter dans la première lecture, tirée du Livre des Proverbes, est très appropriée: « Garde, mon fils, le précepte de ton père, ne rejette pas l’enseignement de ta mère. Fixe-les constamment dans ton cœur » (Pr 6,20-21). Nous devons laisser Dieu inscrire sur les parois les plus profondes de notre cœur le commandement de la miséricorde et l’enseignement de la consolation, la loi de la liberté et le précepte de la charité, comme il a fait précisément avec Marie. Et c’est à cela que nous éduque Marie, elle devenue notre Mère.
Ici, dans cette ancienne et splendide cité de Syracuse, il y a 60 ans, Marie versa des larmes humaines d’une simple petite statue de plâtre illustrant son cœur Immaculé. Des pleurs humains, de compassion, un langage du cœur pas toujours facile à comprendre, signe mystérieux de l’attention et de la miséricorde de Dieu, un signe à méditer en profondeur, qui doit nous interroger. Marie, montée en gloire, vit désormais dans la Cité du Ciel, là où Dieu a séché toute larme des yeux des hommes (cf. Ap 21,1-5) – c’est la deuxième lecture du jour.
De ce sanctuaire, « destiné à rappeler à l’Eglise les larmes de la Mère » » – ce sont les paroles du bienheureux Jean Paul II – sort un message de consolation et d’espérance. A travers les larmes de Marie, Dieu nous dit qu’Il participe aux « joies » et aux espoirs, aux tristesses et aux angoisses des hommes » (Gaudium et spes, 1).
Le langage des larmes est un langage universel, qui manifeste la compassion de Dieu. Et l’Eglise, qui reçoit de Marie ce message, est appelée à en devenir l’ambassadrice, comme écrit l’apôtre Paul: «
Le pape François aime utiliser des images simples et efficaces pour nous parler de Dieu et de son amour. Je voudrais en reprendre quelques unes pour illustrer l’événement extraordinaire que nous commémorons aujourd’hui. Les larmes de Marie sont comme « le collyre de la mémoire » contre l’idolâtrie de notre époque, un collyre qui nous aide à avoir un regard plein d’espérance envers l’avenir; un regard plein de foi, pour être prêts à la conversion et dociles à l’Esprit.
Les larmes de Marie nous guérissent de la cécité de la paresse, de l’impatience et de la tristesse. Ce sont des larmes de compassion, qui nous empêchent de passer notre chemin, indifférents quand nous voyons une personne en difficulté, et nous poussent à être proches de gens.
Les larmes de Marie sont enfin l’expression de la « tendresse de Dieu », et justement parce qu’elles le sont, celles-ci sont porteuses de la vraie compassion qui ne trompe pas et ne déçoit pas. La Vierge Marie est une bonne Mère; sont cœur est vif, il bât, c’est un cœur de chair qui se réjouit avec celui qui est dans la joie et pleure avec celui qui est en larmes. C’est ainsi que doit être le cœur d’une communauté chrétienne, qui marche dans la vérité et dans la charité.
Chers frères et sœurs, dans cette ville de Syracuse, la présence de Marie, qui rayonne de ce sanctuaire qui lui est consacré, encourage le peuple fidèle. Pour vous tous, de manière spéciale, son réconfort est un don et une responsabilité. Laissez donc la tendresse de Dieu pénétrer au plus profond de vos cœurs. A l’école de Marie, soyez les uns pour les autres des outils de consolation.
Amen
Traduction de Zenit, Océane Le Gall