Si « la grâce ne supprime pas la culture, mais l’accomplit », la culture non plus « ne supprime pas la grâce, mais l’incarne, l’exprime, la déploie », affirme la philosophe française Marguerite Léna, qui plaide pour un « double mouvement » : « de la culture à la foi et de la foi à la culture ».
Marguerite Léna, professeur de philosophie au Collège des Bernardins de Paris, a été nommée par le pape François consulteur du Conseil pontifical pour la culture, le 1er juillet 2014 (cf. Zenit du 3 juillet 2014).
Laïque consacrée de la communauté Saint-François Xavier, agrégrée de philosophie, elle est spécialiste des questions d’éducation, une mission de l’Eglise « aujourd’hui plus importante que jamais ».
Il s’agit, à une époque de « pouvoirs techniques », d’ouvrir un avenir en exprimant « une forte espérance dans l’homme et dans le sens de son aventure personnelle et collective » : « les ouvreurs d’avenir, ce sont tous ceux qui appellent et suscitent la capacité de penser par soi-même, de discerner selon le bien et le juste, de créer et d’aimer ».
Marguerite Léna se réjouit aussi de l’« année de la vie consacrée » qui s’ouvrira le 30 novembre 2014 : « une bonne nouvelle pour notre temps : le signe donné par cette forme de vie, signe d’une joie puisée dans la sobriété, la chasteté, la solidarité, le service par amour, rejoint bien des aspirations confuses, et surtout les oriente vers l’amour du Christ, notre unique Nécessaire ».
Zenit – Comment accueillez-vous cette nomination ?
Marguerite Lena – D’abord avec une réelle surprise : je ne m’y attendais absolument pas, consciente que je ne suis pas une créatrice dans le domaine de la culture, simplement quelqu’un qui a passé sa vie à transmettre à d’autres ce qu’il avait reçu d’autres, et à s’émerveiller de le voir grandir de manière inédite. Peut-être est-ce la métaphore agricole qui est ici la meilleure, celle de l’agri-culture, qui consiste à semer et à laisser ensuite la vie elle-même déployer son élan de croissance !
J’accueille bien sûr aussi cette nomination avec grande reconnaissance : envers mes parents d’abord, en pensant que mon frère, astrophysicien, est à l’Académie pontificale des sciences et qu’ainsi la foi et le goût du savoir que nous ont transmis nos parents peuvent se mettre pour chacun de nous deux au service de l’Église ; reconnaissance aussi envers ma Communauté Saint-François-Xavier qui m’a éduquée dans ce service de l’Église et dans la docilité à l’Esprit Saint qui en est la condition, depuis plus de 50 ans ! Enfin envers le pape François, le Conseil pontifical, et particulièrement son secrétaire, Mgr Barthélémy Adoukonou, qui m’accueillent comme consulteur.
En quoi votre formation et vos recherches philosophiques vous éclairent-elles sur votre rôle de consulteur ?
Je ne sais pas encore ce qui dans mon domaine de travail et de réflexion sera utile au conseil ! Mgr Adoukonou dit souvent que non seulement la grâce ne supprime pas la nature mais l’accomplit, comme l’écrivait saint Thomas d’Aquin, mais aussi que la grâce ne supprime pas la culture, mais l’accomplit, c’est-à-dire déploie ses plus hautes possibilités d’humanisation. J’aimerais quant à moi ajouter la réciproque : la culture ne supprime pas la grâce, mais l’incarne, l’exprime, la déploie. C’est en cela que la formation philosophique peut être utile, comme un lieu privilégié où exercer ce double mouvement de la culture à la foi et de la foi à la culture. Il me semble que c’est ce qui me sera demandé, car c’est en profonde cohérence avec la mission du dicastère – et aussi avec celle de notre communauté Saint-François-Xavier.
Vous avez beaucoup travaillé sur la question de l’éducation. Quelle est la place de l’Église en ce domaine, dans les sociétés sécularisés actuelles ?
Il me semble que la mission éducative de l’Église est aujourd’hui plus importante que jamais… Jamais autant de possibles inédits n’ont sollicité les libertés et accru le champ des responsabilités de l’homme sur le monde et sur son propre avenir. Mais ce ne sont pas simplement les pouvoirs techniques ni même les institutions politiques qui ouvrent un avenir. Il y faut aussi une forte espérance dans l’homme et dans le sens de son aventure personnelle et collective. Les ouvreurs d’avenir, ce sont tous ceux qui appellent et suscitent la capacité de penser par soi-même, de discerner selon le bien et le juste, de créer et d’aimer. Notre fondatrice, Madeleine Daniélou, a inventé un beau nom pour les désigner : ils sont des « éducateurs selon l’esprit ». L’Église a la grâce de pouvoir mettre une majuscule à ce mot « esprit » : elle est appelée pour sa part à former des « éducateurs selon l’Esprit ». Nous en avons tous besoin aujourd’hui !
Vous avez aussi participé à l’ouvrage « Lettres aux catholiques troublés » (Bayard, 2009). Quelles sont vos raisons d’espérer aujourd’hui ?
Il y en a beaucoup car le philosophe Gabriel Marcel disait que l’espérance est d’autant plus à sa place et active que les situations sont difficiles ! La présence du pape François au cœur de l’Église, les ressources de générosité, d’inventivité, d’engagement de tant de laïcs, de consacrés, de prêtres, l’attente de tant d’hommes de bonne volonté, tout cela ne peut que nourrir notre espérance. De façon plus personnelle, j’ajoute que l’annonce d’une « année de la vie consacrée » en 2015 est vraiment une bonne nouvelle pour notre temps : le signe donné par cette forme de vie, signe d’une joie puisée dans la sobriété, la chasteté, la solidarité, le service par amour, rejoint bien des aspirations confuses, et surtout les oriente vers l’amour du Christ, notre unique Nécessaire.