Pourquoi les évangélistes parlent-ils tant de la persécution ? Faut-il être martyr pour être un bon chrétien ? Essayons d’y voir plus clair en relisant un des discours de Jésus :
“Méfiez-vous des hommes : ils vous livreront aux sanhédrins et vous flagelleront dans leurs synagogues ; 18 vous serez traduits devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi, pour rendre témoignage en face d’eux et des païens. 19 Mais, lorsqu’on vous livrera, ne cherchez pas avec inquiétude comment parler ou que dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné sur le moment, 20 car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous. 21 “Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant ; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mourir. 22 Et vous serez haïs de tous à cause de mon nom, mais celui qui aura tenu bon jusqu’au bout, celui-là sera sauvé. (Mt 10, 1722)
Le ton de ce passage est celui de l’incompréhension. C’est Jésus qui est incompris, ainsi que le message qu’il porte. C’est bien « à cause de lui » ou « à cause de son nom », précise l’évangéliste à deux reprises, que ses disciples auront à subir de dures épreuves. L’Évangile se présente comme une pierre d’achoppement dans le judaïsme du 1er et du 2ème siècle. Tous les juifs n’accueilleront pas, ni le message annoncé par Jésus, ni ce même message relayé par ses disciples. Le contexte est celui d’un judaïsme hostile à reconnaître Jésus comme le messie d’Israël. En effet, c’est devant les sanhédrins (assemblées des chefs religieux juifs) et dans les synagogues que les disciples de Jésus seront traduits et condamnés.
Remarquons que le discours de Jésus est formulé au futur. Car les épreuves décrites allaient atteindre les générations de chrétiens après la mort et la résurrection de Jésus. L’évangile de saint Matthieu est écrit environ une cinquantaine d’années après la mort de Jésus et s’adresse ainsi à des communautés chrétiennes qu’il est nécessaire d’encourager dans le contexte des persécutions qu’ils subissent, notamment de la part des juifs.
Les persécutions contre les chrétiens ne se sont pas arrêtées là, mais se sont plutôt démultipliées, jusqu’à l’édit de tolérance de Milan, en 313, promulgué par l’empereur Constantin et accordant la liberté de culte aux chrétiens. Voici quelles furent les dix vagues de persécution pendant les quatre premiers siècles de notre ère :
- La persécution de Néron (54-68), à laquelle la tradition rattachera le martyre de Pierre et de Paul
- La persécution de Domitien (81–96)
- La persécution de Trajan (98–117)
- La persécution de Marc Aurèle (161–180), martyrs de Lyon, notamment sainte Blandine
- La persécution de Septime Sévère (193–211)
- La persécution de Maximin le Thrace (235–238)
- La persécution de Dèce (249–251), martyre de Fabien
- La persécution de Valérien (253–260), martyre de Laurent de Rome et Cyprien de Carthage
- La persécution d’Aurélien (270–275)
- La persécution de Dioclétien (284–305), la dernière et la plus grave des persécutions, martyre de Saint Georges
Revenons à notre passage d’évangile. L’évangéliste emploie un terme bien précis pour dire que les disciples seront « livrés ». Il s’agit du même verbe employé pour dire comme Jésus lui-même a été livré (voir par exemple Mt 20,18 ou 26,23). Ainsi, les disciples connaîtront le même sort que leur maître. Les disciples sont en quelque sorte un autre Christ. Ils vivent en leur chair ce que Jésus-Christ a lui-même vécu. L’identification entre Jésus et les siens est donc très étroite. Cette proximité dans l’épreuve et aussi proximité dans l’amitié ou dans le salut promis : « vous serez haïs de tous à cause de mon nom, mais celui qui aura tenu bon jusqu’au bout, celui-là sera sauvé ».
La phrase « être haïs de tous » est portée à son comble par l’exemple emprunté par Jésus. L’incompréhension ou la haine atteindra même les relations interpersonnelles les plus profondes : celles de la fraternité et celles de la filiation. Un frère livrera son frère (le même verbe déjà évoqué plus haut) à la mort et un père son enfant. Paradoxalement, l’Évangile est une bonne nouvelle destinée à tous les hommes, pourtant elle est aussi un facteur de division. On peut sentir, à travers ces mots, le drame qu’ont traversé de nombreuses familles juives lorsqu’un de leur membre se faisait chrétien. Ce type de difficulté n’est cependant pas l’apanage des premiers siècles de notre ère. N’est-on pas confrontés à des situations semblables aujourd’hui lorsqu’un adulte juif ou chrétien demande le baptême chrétien ?
Dans tout ce panorama assez sombre, il y a tout de même une forte marque d’espérance : l’Esprit Saint, l’Esprit du Père, est donné à tous ceux qui traversent ces situations. Remarquons encore que, puisque l’Esprit est donné, le texte est situé après la Pentecôte. Jésus ayant rejoint le Père au ciel, c’est désormais l’Esprit qui guide et soutient les croyants. L’Esprit guide les pensées et les paroles des disciples de Jésus persécutés. L’évangéliste nous exhorte donc à la confiance et à l’abandon. L’Esprit est notre force dans l’épreuve de l’incompréhension et du rejet de l’Évangile. Il se peut que nous-mêmes traversions ce type d’épreuve dans notre vie familiale, professionnelle ou amicale. Mais l’Esprit Saint qui nous a été donné dans notre baptême et notre confirmation constitue une force toujours offerte dans les difficultés. Invoquons l’Esprit !
Viens, Esprit Saint, en nos cœurs,
et envoie du haut du ciel
un rayon de ta lumière.
Viens en nous, père des pauvres,
viens, dispensateur des dons,
viens, lumière de nos cœurs.
Consolateur souverain,
hôte très doux de nos âmes,
adoucissante fraîcheur.
Dans le labeur, le repos ;
dans la fièvre, la fraîcheur ;
dans les pleurs, le réconfort.
Ô lumière bienheureuse,
viens remplir jusqu’à l’intime
le cœur de tous tes fidèles.
Sans ta puissance divine,
il n’est rien en aucun homme,
rien qui ne soit perverti.
Lave ce qui est souillé,
baigne ce qui est aride,
guéris ce qui est blessé.
Assouplis ce qui est raide,
réchauffe ce qui est froid,
redresse ce qui est dévié.
À tous ceux qui ont la foi
et qui en toi se confient,
donne tes sept dons sacrés.
Donne vertu et mérite,
donne le salut final,
donne la joie éternelle.
Amen. Alléluia.