Bernarda Llorente interviewe le pape François © Vatican Media

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Interview du pape François pour conclure l’année 2023

Il aborde ses prochains voyages, les crises, la situation de l’Église

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Deux mois avant la fin 2023, le pape François conclut l’année par une nouvelle interview, accordée aujourd’hui à l’agence d’État argentine Tesla.

Parmi les principales révélations, les voyages importants qui lui restent à accomplir au cours de son pontificat. Interrogé à ce sujet, le pape n’hésite pas à dire tout d’abord que l’Argentine : « J’aimerais y aller… » Pour les voyages les plus éloignés, il me reste la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Mais quelqu’un m’a dit que puisque j’allais en Argentine, je devrais m’arrêter à Rio Gallegos, puis aller au pôle Sud, atterrir à Melbourne et visiter la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Ce serait un peu long…

L’un des thèmes de l’interview est le binôme crise et messianisme. La journaliste parle des mouvements d’ultra-droite et demande : « Croyez-vous que ces crises soient momentanées ou durables ? Que peut-on faire pour les éviter ? » 

Le souverain pontife répond : « J’aime bien le mot crise parce qu’il y a un mouvement interne. Mais on sort d’une crise en allant vers le haut, on n’en sort pas avec des manigances. On en sort par le haut et on n’en sort pas seul. Ceux qui veulent s’en sortir seuls transforment la sortie en un labyrinthe, qui tourne toujours en rond. La crise est un dédale. En outre, les crises font grandir : lorsqu’une personne, une famille, un pays ou une civilisation est en crise, s’ils la surmontent bien, ils grandissent.

Je suis inquiet lorsque les problèmes sont bloqués et ne peuvent pas être résolus. L’une des choses que nous devons enseigner aux garçons et aux filles, c’est comment gérer les crises.  Comment résoudre les crises ? Parce que cela donne de la maturité. Nous avons tous été jeunes et inexpérimentés et parfois les garçons et les filles s’accrochent aux miracles, aux messies, à l’idée que les choses peuvent être résolues d’une manière messianique. Le Messie est le seul à nous avoir tous sauvés. Les autres sont tous des clowns messianiques. Aucun d’entre eux ne peut promettre la résolution des conflits, si ce n’est par le biais de crises croissantes. Et pas seulement. Pensons à n’importe quelle crise politique, dans un pays qui ne sait que décider, en Europe il y en a plusieurs… Qu’est-ce que l’on fait ? Est-ce que l’on cherche un messie qui va venir nous sauver de l’extérieur ? Non. Cherchons où se trouve le conflit, emparons-nous-en et réglons-le. Gérer les conflits, c’est faire preuve de sagesse. Mais sans conflit, il n’y a pas de chemin à suivre. »

L’un des thèmes d’intérêt général abordés dans l’interview est l’intelligence artificielle. Le pape y consacrera deux messages, étendant ainsi son magistère à ce domaine : à travers le message pour la Journée mondiale de la paix 2024 et le message pour la Journée mondiale des communications sociales 2024.

« Comment considérez-vous ce développement technologique accéléré, y compris l’intelligence artificielle, et comment pensez-vous qu’il puisse être géré d’un point de vue plus humain ? », lui demande la journaliste. 

Réponse du pape François : 

 « J’aime l’adjectif « accéléré ». Quand quelque chose est accéléré, cela me préoccupe, parce que cela n’a pas le temps de se stabiliser. De la révolution industrielle aux années 1950, nous observons un développement non accéléré, avec des mécanismes de contrôle et d’assistance. Lorsque les changements se produisent à un rythme accéléré, les mécanismes d’assimilation n’ont pas le temps de se mettre en place et nous finissons par devenir ‘’esclaves’’. Et il est tout aussi dangereux d’être esclave d’une personne ou d’un travail que d’une culture.

La ligne directrice du progrès culturel, y compris l’intelligence artificielle, est la capacité des hommes et des femmes à la gérer, à l’assimiler et à la contrôler. En d’autres termes, les hommes et les femmes sont les maîtres de la création, et nous ne devons pas y déroger. La primauté de l’individu par-dessus tout ! Les changements scientifiques sérieux sont des progrès. Nous devons être disposés à cela. »

Dans le domaine de la guerre, le pape est invité à développer un concept qu’il a lui-même inventé : celui de la « sécurité intégrale« . Et François de répondre : « On ne peut pas atteindre une sécurité partielle, d’un pays, s’il n’y a pas une sécurité intégrale, de tous. On ne peut pas parler de sécurité sociale s’il n’y a pas de sécurité universelle, ou en voie de le devenir. Je crois que le dialogue ne peut pas être seulement national, il est universel, surtout aujourd’hui avec toutes les facilités de communication. C’est pourquoi je parle de dialogue universel, d’harmonie universelle, de rencontre universelle. Et bien sûr, l’ennemi de tout cela, c’est la guerre. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, il y a eu des guerres partout. C’est ce qui m’a fait dire que nous vivions une guerre mondiale par bribes. Aujourd’hui, nous nous en rendons compte car cette guerre mondiale arrive. »

Un autre sujet d’actualité abordé dans l’interview est la situation de l’Église. Après avoir rappelé que le Synode sur la synodalité est en cours, le pape est interrogé sur la question suivante : « De quel type d’Église a-t-on besoin à notre époque ? » La réponse du pontife argentin est la suivante :

« Dès le début du Concile Vatican II, Jean XXIII a eu une perception très claire : l’Église devait changer. Paul VI était d’accord et a continué, tout comme les papes qui leur ont succédé. Il ne s’agit pas seulement d’un changement de style, mais d’une progression en faveur de la dignité des personnes. Et il y a une évolution théologique, de la théologie morale et de toutes les sciences ecclésiastiques, y compris l’interprétation des Écritures, qui ont évolué avec le sens de l’Église. Toujours en harmonie. Les ruptures ne sont pas bonnes. Soit on progresse en se développant, soit on finit mal. Les ruptures vous laissent en dehors de la sève du progrès. J’aime utiliser l’image de l’arbre et de ses racines. La racine prend toute l’humidité du sol et la tire vers le haut à travers le tronc. Lorsque vous vous coupez de cela, vous vous retrouvez sec et sans tradition. Tradition dans le bon sens du terme. Nous avons tous une tradition, nous avons tous une famille, nous sommes tous nés avec la culture d’un pays, une culture politique. Nous avons tous une tradition dont nous devons prendre soin. »

Au fil de l’entretien, le pape a répondu à l’une des questions les plus intéressantes : « Comment résoudre la difficulté entre changer et ne pas perdre une partie de votre identité ? »

« L’Église, par le dialogue et la prise en compte de nouveaux défis, a changé beaucoup de choses. Même en matière culturelle. Ou, par exemple, lorsqu’il s’agit de la vie d’un pape. Qu’un pape donne des interviews comme celle-ci n’était pas très courant à la fin du Concile Vatican I. En un siècle et demi, c’est désormais chose faite. En un siècle et demi, les choses ont beaucoup évolué, mais toujours dans le même sens. Un théologien du IVe siècle a déclaré que les changements dans l’Église doivent remplir trois conditions pour être authentiques : se stabiliser, croître et se perfectionner au fil des ans. C’est une définition très inspirante de Vincent de Lerins. L’Église doit changer, nous pensons à la façon dont elle a changé depuis le Concile jusqu’à aujourd’hui et à la façon dont elle doit continuer à changer dans sa forme, dans sa façon de proposer une vérité qui ne change pas. En d’autres termes, la Révélation de Jésus-Christ ne change pas, le dogme de l’Église ne change pas, mais il grandit, se développe et se perfectionne comme la sève d’un arbre. Celui qui n’est pas sur ce chemin est celui qui fait un pas en arrière et se replie sur lui-même. Les changements dans l’Église se produisent dans ce courant de l’identité de l’Église. Elle doit changer en fonction des défis qui lui sont lancés. C’est pourquoi le cœur de son changement est essentiellement pastoral, sans nier l’essentiel de l’Église. »

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Rédaction

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