Lavement des pieds © Bradi Barth

Lavement des pieds © Bradi Barth

Saint est qui accueille l’amour de Dieu et le partage, par Mgr Francesco Follo

Méditation sur les lectures de la messe de dimanche 19 février par de Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco,

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1) La perfection c’est accueillir l’amour.

 

Dans les lectures de la messe de ce dimanche, deux phrases m’ont particulièrement touché : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint » (Lv 19, 2 – I lecture) et « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48 – Évangile), qui suscitent les questions suivantes : « En quoi consiste alors la sainteté vers laquelle Dieu nous pousse dans le livre du Lévitique et la perfection à laquelle Jésus nous invite ? Qui peut devenir parfait comme Dieu le Père ? »

 

La phrase du Christ rapportée par saint Luc « Soyez miséricordieux comme votre Père » (Lc 6, 36) peut nous aider à trouver la réponse. Joignant cette phrase à celle rapportée par saint Matthieu, « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48), nous pouvons dire, en premier lieu, que la perfection de Dieu c’est sa miséricorde. Alors l’homme aussi peut être parfait s’il vit de miséricorde. « La bonté et la perfection s’enracinent dans la miséricorde » (Pape François). Avec le Pape nous pouvons donc affirmer que la perfection de l’homme c’est avoir conquis la miséricorde, qui est une synthèse de l’heureuse et bonne nouvelle apportée par le Rédempteur.

 

Ensuite, nous pouvons dire que notre perfection consiste à vivre avec humilité notre condition d‘enfants de Dieu en accomplissant concrètement sa volonté qui nous donne de claires indications : les commandements pour être comme Lui. Saint Cyprien écrivait : « A la paternité de Dieu doit correspondre un comportement d’enfants de Dieu, afin que Dieu soit glorifié et loué pour la bonne conduite de l’homme » (De la jalousie et de l’envie, 15 : CCL 3a, 83).

 

Troisièmement, rappelons-nous que le Christ ne nous demande par la perfection dans l’observance des codes légaux et des règlements. Il nous veut parfaits, certes, mais dans l’amour.

 

Je m’explique en prenant un épisode de la vie de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. A un moment de sa vie, cette sainte religieuse se demanda comment, au paradis, tous nous pourrons être pleinement heureux, parfaitement, en ayant chacun atteint divers échelons dans la sainteté. A un certain point, la petite Thérèse eut cette illumination : « Imaginons que le Paradis soit comme un merveilleux champ de fleurs de toutes les espèces, des plus grandes aux plus petites, des roses aux marguerites, des lys aux cyclamens. La rosée du matin remplit les vases de fleurs selon leur grandeur. Aucun n’est plus plein que les autres. Chacun est plein à ras bord, parfait d’amour et de joie et n’est donc pas jaloux de celui qui est plus grand ».

 

Nous ne serons pas des saints comme le sont, par exemple, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ou saint Benoît ou saint François ou P. Pio de Pietrelcina ou Mère Teresa de Calcutta. Nous le serons certainement beaucoup moins, mais ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte c’est le fait que nous laissions remplir à ras bord notre cœur – petit comme une marguerite ou grand comme un lys – de l’amour de Dieu.

 

Bref, être parfaits, en sainteté, veut dire croire à l’Amour, en dilatant notre cœur pour qu’il accueille Dieu.

 

Ouvrons-nous à l’amour de Dieu. Au final, même si elle est notre réponse à Dieu, elle est un don de Dieu. C’est à nous de nous ouvrir à Lui en ayant foi et accueillant son amour.

 

2) La sainteté des béatitudes.

 

Certains diront peut-être que cette sainteté comme accueil de l’Amour est trop facile. Elle n’est pas plus facile que celle acquise par sainte Marie Madeleine, la pécheresse publique. Cette femme se jeta aux pieds du Christ et quand elle se releva obtint son éloge : « Ses nombreux péchés sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour » (Lc 7, 47). Parce qu’elle « a montré beaucoup d’amour » ? Qu’avait-elle fait ? Elle avait crû à l’Amour, rien d’autre. Tous ses péchés ne l’avaient pas arrêtée dans son amour, qui l’a fait se jeter aux pieds du Christ. Elle avait crû et s’était abandonnée, s’était ouverte pour recevoir l’amour de Dieu, qui l’a comblée.

 

L’histoire de chaque chrétien est celle d’un amour à chaque fois comblé et, dans le même temps, ouvert sur de nouveaux horizons, car Dieu étend sans cesse les possibilités de l’âme, pour la rendre capable d’un bien toujours plus grands. Dieu lui-même, qui a déposé en nous les germes du bien, et dont part toute initiative de sainteté, « modèle le bloc… En limant et en nettoyant notre esprit, il forme en nous le Christ » (Saint Grégoire de Nysse, In Psalmos 2, 11 :  PG 44, 544B).

 

Cet amour est mis en pratique par ceux qui vivent les béatitudes. Il est en effet significatif que saint Mathieu rapporte l’expression de Jésus « soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », à la fin du Discours de la Montagne, dans lequel Jésus proclame les béatitudes et promulgue le code de la nouvelle loi de l’amour.

 

Ce n’est pas un hasard si Jésus dit à ses disciples qu’ils sont le sel de la terre et la lumière du monde, après avoir énoncé les béatitudes. Sans l’esprit et la pratique des Béatitudes on ne peut être ce sel et cette lumière dont le monde, pris dans les ténèbres du nouveau paganisme, a tant besoin.

 

Dans une société dominée par la haine et la violence, déchirée par les divisions et les antagonismes, annoncer l’amour héroïque aux ennemis et la prière pour les persécuteurs signifie mettre en œuvre la vraie révolution dont la société, de tout temps, et en tout lieu, a toujours eu besoin, une révolution de l’amour, qui a sa source et son modèle dans l’amour infini et humble du Père Céleste.

 

L’indication du Rédempteur est claire : pour imiter le Père Céleste il faut vivre dans l’esprit des béatitudes évangéliques et s’ouvrir totalement à l’amour du Père, « qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes” (Mt 5, 45). En effet, comment pourrions-nous affirmer vouloir imiter le Père qui aime, donne et pardonne tout, en restant fermés dans la coquille de notre égoïsme, esclaves des biens éphémères du monde, nos cœurs fermés aux besoins et aux souffrances d’un frère ?

 

L’invitation à être parfaits comme le Père ne demande pas d’escalader le sommet d’une haute montagne. Il ne nous est pas demandé d’être forts ni d’être des alpinistes chevronnés de l’Esprit, comme ont été les saints déjà canonisés par l’Église. La perfection de Dieu est l’objectif visé par tous les disciples de Jésus, par tous les chrétiens qui veulent apporter beaucoup de fruits au Père céleste et faire Sa gloire (Jn 15, 8).

 

La grandeur ou la perfection divine est à la mesure de l’homme, car c’est la grandeur de l’humilité. « Dieu, humble, s’abaisse : vient à nous et s’abaisse » (Pape François). Du ciel à la terre. Le Fils de Dieu s’abaisse dans la Grotte de Bethléem et sur la Croix de Jérusalem, et entre les deux en s’agenouillant devant ses apôtres pour laver leurs pieds. L’humilité du Christ, Fils de Dieu, est une offrande agenouillée de l’Amour. C’est une humilité dont la source et le centre sont le Cœur-même de Dieu. Comme enseignait déjà saint Thomas d’Aquin, qui a écrit tant de choses profondes sur l’humilité de Dieu. « Dieu est bien la source, et le centre, et le cœur de l’humilité, justement parce que Dieu n’a pas d’attirance vers Soi, parce qu’il est tout élan vers l’Autre : du Père vers le Fils et du Fils vers le Père dans l’unité du Saint Esprit » (P. Maurice Zundel). Ce don de soi réciproque se communique à nous et fait de nous des êtres « parfaits » si, humblement, nous Lui donnons non seulement ce que nous avons, mais ce que nous sommes. Dieu s’abaisse sur notre fragilité et la sauve par sa tendresse.

 

Si nous étions persuadés que Dieu « croit » en nous, nous croirions en Lui.  Si nous étions conscients d’être aimés par Lui de manière tendre et sans limite, nous répondrions à Son amour et nous Lui ferions don de toute notre vie, totalement, dans l’humilité, la paix, la vérité, la joie.

 

Nous trouvons cette façon significative de répondre totalement à Dieu, de s’offrir à Lui, chez les vierges consacrées dans le monde. Par le rite de la consécration, et par leur vie quotidienne vécue tendrement et humblement en Lui, ces femmes témoignent qu’appartenir à Dieu ne limite pas la liberté. La vie vécue dans un dialogue d’amour avec Lui est une vie dans la liberté, que la vérité de l’Amour rend effective. La concupiscence de la chair et des yeux, les prétentions de la vie, se transforme en pureté de cœur et de regard vers le Christ qui – sur la croix – tient à jamais ses bras ouverts avec tendresse et humilité. Ces femmes consacrées témoignent que la vie consacrée est une vie de perfection et signe pour tous les chrétiens comme enseigne le cardinal Newman : « Tant de saints pensent que pour être parfaits, nous n’avons qu’à accomplir nos devoirs quotidiens. C’est le plus court chemin pour arriver à la perfection ; court, non pas parce qu’il est facile mais parce que tout le monde peut le suivre… C’est cette perfection dans le quotidien que l’Évêque demande par cette prière, lors de la consécration des vierges : « conduis-les dans la voie du salut, pour qu’elles désirent ce qui te plait et soient toujours vigilantes pour l’accomplir » RCV, N°21.

 

Sur l’essence de la perfection il est facile d’avoir des idées vagues, des idées qui peuvent nous aider à en parler, quand nous n’avons aucune intention d’aller vraiment vers elle. Mais quand on la veut vraiment cette perfection et cherche à l’atteindre, alors seul ce qui est clair et que l’on touche du doigt peut donner des résultats satisfaisants, dans la mesure où elle offre une sorte de direction concrète, qui est un chemin pour y arriver …

 

Être parfait c’est faire correctement ce que nous avons à faire tous les jours ; pour atteindre la perfection, nous n’avons pas besoin d’outrepasser ces limites.

 

Si vous me demandez ce qu’il vous faire pour être parfait, je dirai d’abord: ne restez pas au lit au-delà du temps fixé pour le lever; donnez vos premières pensées à Dieu; faites une bonne visite au Saint-Sacrement; dites dévotement l’Angélus; mangez et buvez pour la gloire de Dieu; récitez bien le chapelet; soyez recueilli; chassez les mauvaises pensées; faites pieusement votre méditation du soir; examinez chaque jour votre conscience; couchez-vous à l’heure fixée, et vous voilà déjà parfait ».  (Card. John-Henri Newman). Des gestes simples qui font que notre « prière est l’effusion de notre cœur en celui de Dieu » (Saint Pio da Pietrelcina) et que nos actions, petites ou grandes qu’elles soient, manifestent de la miséricorde envers tous.

 

 

Lecture patristique

Saint Cyprien (+ 258)

Traité sur la jalousie et l’envie, 12-15

CSEL 3, 427-430.

 

 

Les exigences de la loi nouvelle

 

Revêtir le nom du Christ sans suivre la voie du Christ, n’est-ce point trahir le nom divin et abandonner le chemin du salut ? Car le Seigneur lui-même enseigne et déclare que l’homme qui garde ses commandements entrera dans la vie, que celui qui écoute ses paroles et les met en pratique est un sage et que celui qui les enseigne et y conforme ses actes sera appelé « maître le plus grand » dans le Royaume des cieux. Toute prédication bonne et salutaire, affirme-t-il, ne profitera au prédicateur que si la parole qui sort de sa bouche se traduit ensuite en actes.

 

Or, y a-t-il un commandement que le Seigneur ait enseigné plus souvent à ses disciples que celui de nous aimer les uns les autres du même amour dont il a lui-même aimé ses disciples ? Trouvera-t-on, parmi ses conseils salutaires et ses divins préceptes, un commandement plus important à garder et à observer ? Mais comment celui que la jalousie a rendu incapable d’agir en homme de paix et de cœur pourra-t-il garder la paix ou la charité du Seigneur ?

 

Voilà pourquoi l’Apôtre Paul a publié aussi les mérites de la paix et de la charité. Il a affirmé avec force et enseigné que ni la foi ni les aumônes, ni même les souffrances du confesseur de la foi et du martyr ne lui serviraient de rien, s’il ne respectait pas intégralement et scrupuleusement les liens de la charité. Et il a ajouté : La charité est magnanime, la charité est serviable, la charité ne jalouse pas (1Co 13,4). Il nous apprend et nous fait voir ainsi que seul l’homme magnanime et bienveillant, sur qui la jalousie et l’envie, n’ont pas de prise, peut garder la charité.

 

De même, à un autre endroit, l’Apôtre a exhorté quiconque est déjà rempli du Saint-Esprit et devenu fils de Dieu par la naissance d’en-haut, à ne rechercher que les réalités spirituelles et divines. Puis il déclare : Pour moi, frères, je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des êtres de chair, comme à de petits enfants dans le Christ. C’est du lait que je vous ai donné à boire, non une nourriture solide ; vous ne pouviez encore la supporter. Mais vous ne le pouvez pas davantage maintenant, car vous êtes encore charnels. Du moment qu’il y a parmi vous jalousie, querelle et discorde, n’êtes : vous pas charnels et votre conduite n’est-elle pas tout humaine (1Co 3,1-3)?

 

Nous ne pouvons, en effet, revêtir l’image de l’homme céleste que si nous manifestons notre ressemblance au Christ à travers l’existence dans laquelle nous venons d’entrer maintenant. Ce qui équivaut, en vérité, à devenir différents de ce que nous étions, et à commencer d’être ce que nous n’étions pas. Ainsi notre divine naissance brillera en nous, notre conduite divine de Dieu nous rendra semblables à Dieu le Père, notre vie entourée d’honneur et de louange fera resplendir Dieu en l’homme. Dieu même nous y exhorte et nous y engage en promettant à ceux qui lui rendent gloire qu’ils seront glorifiés en retour. Car j’honorerai, dit-il, ceux qui m’honorent, et ceux qui me dédaignent tomberont dans le mépris (1S 2,30).

 

Pour nous éduquer à lui rendre cette gloire et nous y préparer, le Seigneur et Fils de Dieu a enseigné dans son Évangile ce qu’est la ressemblance avec Dieu le Père en ces termes : Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux (Mt 5,43-45).

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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