À l’occasion de l’ouverture du Tribunal de l’Année judiciaire de la Rota, le pape François a reçu en audience au Palais apostolique les juges, les membres et les collaborateurs du Tribunal et a prononcé l’adresse ci-dessous. Au début de la réunion, Monseigneur Alejandro Arellano Cedillo, doyen du Tribunal, a prononcé quelques mots.
Chers auditeurs prélats !
Je remercie le doyen pour ses aimables paroles et je vous salue cordialement, ainsi que tous ceux qui exercent des fonctions dans l’administration de la justice au Tribunal Apostolique de la Rote Romaine. Je vous réitère mon appréciation pour votre travail au service de l’Église et des fidèles, en particulier dans le domaine des affaires concernant le mariage. Vous y faites beaucoup de bien !
Aujourd’hui, je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur le mariage, car dans l’Église et dans le monde, il y a un fort besoin de redécouvrir le sens et la valeur de l’union conjugale entre l’homme et la femme, sur laquelle se fonde la famille. En effet, un aspect, certainement pas secondaire, de la crise qui touche de nombreuses familles est l’ignorance pratique, personnelle et collective, concernant le mariage.
L’Église a reçu de son Seigneur la mission de proclamer la Bonne Nouvelle et elle éclaire et soutient également ce « grand mystère » qu’est l’amour conjugal et familial. L’Église dans son ensemble peut être considérée comme une grande famille et, de manière très particulière, à travers la vie de ceux qui forment une Église domestique, elle reçoit et transmet la lumière du Christ et de son Évangile dans la sphère familiale. À la suite du Christ qui est « venu » dans le monde « pour servir » (Mt 20,28), l’Église considère le service de la famille comme l’un de ses devoirs essentiels. En ce sens, l’homme et la famille constituent « le chemin de l’Église » » (Saint Jean Paul II, Lettre aux familles, 2 février 1994, 2).
L’évangile de la famille rappelle le plan divin de la création de l’homme et de la femme, c’est-à-dire le « commencement », selon la parole de Jésus : « N’avez-vous pas lu que celui qui les a créés dès le commencement les a faits homme et femme, et qu’il a dit : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront plus qu’un » ? Ils ne sont donc plus deux mais un seul. Ce que Dieu a donc uni, que l’homme ne le sépare pas » (Mt 19, 4-6). Et cet être une seule chair fait partie du plan divin de la rédemption. Saint Paul écrit : « C’est un grand mystère, et je veux dire en ce qui concerne le Christ et l’Église ! » (Ep 5, 32). Et saint Jean-Paul II commente : Le Christ renouvelle le premier dessein que le Créateur a inscrit dans le cœur de l’homme et de la femme et, dans la célébration du sacrement de mariage, il offre un « cœur nouveau » : ainsi, les époux peuvent non seulement surmonter la « dureté du cœur » (Mt 19, 8), mais aussi et surtout partager l’amour plénier et définitif du Christ, l’Alliance nouvelle et éternelle faite chair » (Exhortation apostolique Familiaris consortio, 22 novembre 1981, 20).
Le mariage selon la Révélation chrétienne n’est pas une cérémonie ou un événement social, non ; ce n’est ni une formalité ni un idéal abstrait : c’est une réalité avec sa propre consistance précise, et non » une forme de simple satisfaction émotionnelle qui peut être construite de n’importe quelle manière ou modifiée à volonté » (Exhortation apostolique Evangelii gaudium, 24 novembre 2013, 66).
Nous pouvons nous demander comment il est possible qu’il y ait une union aussi impliquante entre un homme et une femme, une union fidèle et éternelle, de laquelle naît une nouvelle famille ? Comment cela est-il possible, compte tenu des limites et de la fragilité de l’être humain ? Nous devons nous poser ces questions et nous permettre de nous interroger sur la réalité du mariage.
Jésus donne une réponse simple et en même temps profonde : » Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » (Mt 19, 6). « Dieu lui-même est l’auteur du mariage », comme l’affirme le Concile Vatican II (cf. Constitution pastorale Gaudium et Spes, 48), et cela peut être compris comme se référant à chaque union conjugale. En effet, les époux donnent vie à leur union, avec un libre consentement, mais seul l’Esprit Saint a le pouvoir de faire d’un homme et d’une femme une existence unique. En outre, « le Sauveur des hommes et l’Époux de l’Église entre dans la vie des chrétiens mariés par le sacrement du mariage » (ibid., 48). Tout cela nous amène à reconnaître que tout vrai mariage, même non sacramentel, est un don de Dieu aux époux. Le mariage est toujours un don ! La fidélité conjugale repose sur la fidélité divine ; la fécondité conjugale se fonde sur la fécondité divine. L’homme et la femme sont appelés à accueillir ce don et à y répondre librement par le don réciproque de soi.
Cette belle vision peut sembler utopique, dans la mesure où elle ne semble pas tenir compte de la fragilité humaine, de l’inconstance de l’amour. L’indissolubilité est souvent conçue comme un idéal, et l’état d’esprit selon lequel le mariage dure tant qu’il y a de l’amour tend à s’imposer. Il dure tant qu’il y a de l’amour. Mais de quel amour s’agit-il ? Là encore, il y a souvent une méconnaissance du véritable amour conjugal, réduit au niveau sentimental ou à de simples satisfactions égoïstes. Au contraire, l’amour matrimonial est inséparable du mariage lui-même, dans lequel l’amour humain, fragile et limité, rencontre l’amour divin, toujours fidèle et miséricordieux. Je me demande : peut-il y avoir un amour « consciencieux » ? La réponse se trouve dans le commandement sur l’amour, comme l’a dit le Christ : » Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, aimez-vous aussi les uns les autres » (Jn 13, 34). Je tiens à souligner ce dernier point : les crises cachées ne se résolvent pas dans la dissimulation, mais dans le pardon mutuel.
Nous pouvons appliquer ce commandement à l’amour conjugal, qui est aussi un don de Dieu. Ce commandement peut être accompli parce que c’est lui-même qui soutient les époux par sa grâce : « comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres ». C’est un don confié à leur liberté, avec ses limites et ses défaillances, de sorte que l’amour entre mari et femme a besoin d’une purification et d’une maturation continues, d’une compréhension mutuelle et d’un pardon.
Le mariage ne doit pas être idéalisé, comme s’il n’existait que là où il n’y a pas de problèmes. Le plan de Dieu, placé entre nos mains, est toujours imparfaitement réalisé, et pourtant « la présence du Seigneur habite dans des familles réelles et concrètes, avec tous leurs problèmes et leurs luttes quotidiennes, leurs joies et leurs espoirs ». En vivant dans une famille, il nous est difficile de feindre ou de mentir ; nous ne pouvons pas nous cacher derrière un masque. Si cette authenticité est inspirée par l’amour, alors le Seigneur y règne, avec sa joie et sa paix. La spiritualité de l’amour familial est faite de milliers de gestes réels, de gestes concrets. Dans cette variété de dons et de rencontres qui approfondissent la communion, Dieu a sa demeure. Cette sollicitude mutuelle « réunit l’humain et le divin », car elle est remplie de l’amour de Dieu. En définitive, la spiritualité conjugale est une spiritualité du lien, dans lequel habite l’amour divin » (Exhortation apostolique post-synodale Amoris laetitia, 19 mars 2016, 315).
La réalité permanente du mariage doit être redécouverte, et c’est le mariage comme lien. Ce mot est parfois considéré avec suspicion, comme s’il s’agissait d’une imposition extérieure, d’un fardeau, d’une » attache » en opposition à l’authenticité et à la liberté de l’amour. Si, au contraire, le lien est compris précisément comme un lien d’amour, il se révèle alors comme le noyau du mariage, comme un don divin qui est la source de la vraie liberté et qui préserve la vie matrimoniale. En ce sens, « la pastorale des fiancés et des mariés doit être centrée sur le lien matrimonial, en aidant les couples non seulement à approfondir leur amour mais aussi à surmonter les problèmes et les difficultés. Il s’agit non seulement de les aider à accepter l’enseignement de l’Église et à recourir à ses précieuses ressources, mais aussi de leur proposer des programmes pratiques, des conseils avisés, des stratégies éprouvées et un accompagnement psychologique », etc. (ibid., 211).
Chers frères et sœurs, nous avons souligné que le mariage, don de Dieu, n’est pas un idéal ou une formalité, mais le mariage, don de Dieu, est une réalité avec sa propre consistance précise. Je voudrais maintenant souligner que c’est un bien ! Un bien extraordinaire, un bien d’une valeur extraordinaire pour tous : pour les époux eux-mêmes, pour leurs enfants, pour toutes les familles avec lesquelles ils entrent en relation, pour toute l’Église, pour toute l’humanité. C’est un bien qui se diffuse, qui attire les jeunes à répondre avec joie à la vocation du mariage, qui réconforte et ravive continuellement les époux, qui porte des fruits nombreux et variés dans la communion ecclésiale et dans la société civile.
Dans l’économie chrétienne du salut, le mariage constitue avant tout le chemin vers la sainteté des époux eux-mêmes, une sainteté vécue dans le quotidien de la vie : c’est un aspect essentiel de l’Évangile de la famille. Il est significatif que l’Église propose aujourd’hui certains couples mariés comme exemples de sainteté ; et je pense aussi aux innombrables conjoints qui se sanctifient et édifient l’Église avec ce que j’ai appelé la » sainteté d’à côté » (cf. Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, 19 mars 2018, 4-6).
Parmi les nombreux défis qui affectent la pastorale familiale dans sa réponse aux problèmes, aux blessures et aux souffrances de chaque personne, je pense maintenant aux couples mariés en crise. L’Église, tant les pasteurs que les autres fidèles, les accompagne avec amour et espérance, en cherchant à les soutenir. La réponse pastorale de l’Église cherche à transmettre de manière vitale l’Évangile de la famille. En ce sens, une ressource fondamentale pour affronter et surmonter les crises est de renouveler la conscience du don reçu dans le sacrement du mariage, un don irrévocable, une source de grâce sur laquelle nous pouvons toujours compter. Dans la complexité des situations concrètes, qui nécessitent parfois la collaboration des sciences humaines, cet éclairage sur son mariage est une partie essentielle du chemin de réconciliation. Ainsi, la fragilité, qui demeure toujours et qui accompagne aussi la vie conjugale, ne conduira pas à la rupture, grâce à la puissance de l’Esprit Saint.
Chers frères et sœurs, nourrissons toujours en nous l’esprit de reconnaissance et de gratitude envers le Seigneur pour ses dons ; et de cette façon, nous pourrons aussi aider les autres à le nourrir dans les différentes situations de leur vie. Que la Vierge Marie, Vierge fidèle et Mère de la Grâce Divine, nous obtienne cela. J’invoque les dons de l’Esprit Saint sur votre service de la vérité du mariage. Je vous bénis de tout mon cœur. Et je vous demande de prier pour moi. Je vous remercie.
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Bulletin du Bureau de presse du Saint-Siège, 27 janvier 2023
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